Symbole du bien manger à bord des trains japonais, le bentô de gare a perdu un peu de sa superbe.
Le terme ekiben, les bentô vendus dans les gares (voir Zoom Japon n°34, octobre 2013), n’est plus inconnu des Français amateurs du Japon : il est même déjà arrivé qu’une société japonaise en ait proposé à la Gare de Lyon, à Paris. Ce système, qui rend nostalgiques tous les Japonais, a été initié à la fin du XIXe siècle. A l’époque, les déplacements en train prenaient beaucoup plus de temps qu’aujourd’hui, et les ekiben ont fait leur apparition pour répondre à une nécessité.
Ces “bentô de gare” étaient écoulés par des vendeurs ambulants, les ekiben-uri (uri=vendeur). Ils portaient devant eux un grand panier sur lequel étaient entassés les bentô et faisaient des allers-retours sur le quai. Les voyageurs les achetaient par la fenêtre. Cette scène, que l’on voit parfois dans les films, commençait déjà à être caduque dans les années 1970.
La disparition des ekiben-uri a suivi une certaine logique. Dans les années 1960, le chemin de fer national a installé des trains climatisés avec des fenêtres qui ne s’ouvraient pas, puis le temps d’arrêt dans les gares a été raccourci par souci de rentabilité. Deux facteurs qui ont fait perdre l’habitude aux passagers d’acheter des bentô par la fenêtre du wagon. Dans le même temps, les entreprises d’ekiben ont remplacé les ekiben-uri par des échoppes ou par la vente ambulante à l’intérieur des trains. Cette période correspond également à la naissance des boutiques de hokaben (bentô réchauffé) et des konbini, ces supérettes ouvertes 24h/24. Avant cela, certains se rendaient parfois spécialement en gare pour y acheter un bentô, même s’ils ne prenaient pas le train, car ils savaient qu’on en trouvait toujours. Désormais, ce sont les échoppes des villes qui se chargent de cette fonction.
Pour attirer autrement la clientèle, les entreprises d’ekiben ont commencé à s’associer aux grands magasins pour organiser des événements de type “tour du Japon par les ekiben”, en proposant des bentô de différentes régions. Autrefois, les ekiben attiraient par leur rareté : il fallait se rendre sur place pour avoir la chance de déguster un ekiben du terroir. Mais dès les années 1960, les bentô de gare sont devenus un symbole gustatif, qui incarne une région, mais ironiquement assez faciles à trouver ailleurs que sur place, et sans avoir à aller dans une gare.
De la même façon qu’une langue presque morte laisse derrière elle quelques vieilles personnes qui la pratiquent, les derniers des Mohicans des ekiben existent toujours. Le site The ekiben museum online (https://kfm.sakura.ne.jp/ekiben/) recense quatre ou cinq gares où l’on aperçoit encore des vendeurs ambulants de bentô ou d’autres nourritures sur les quais. A Fukuoka, sur la ligne JR
Kagoshima, en gare d’Orio, un vendeur propose ses bentô en chantant. Tôchikuken, un fabricant de bentô Kashiwa-meshi, accorde de l’importance à la perpétuation de cette tradition et continue à la pratiquer. Les habitués lui achètent un ekiben simplement pour le plaisir d’engager la conversation, et cette coutume devenue rare fait la renommée de la gare. Comme quoi, une tradition mourante peut peut-être renaître de ses cendres… On a toujours le droit de rêver.
Sekiguchi Ryôko