L’engagement des petits producteurs permet aujourd’hui de conquérir de nouveaux consommateurs.
La sauce soja ne se conjugue pas au singulier. Sous les cinq grandes catégories divisées selon les méthodes de fabrication et les ingrédients utilisés, il existe une multitude de variétés de goûts et de saveurs. À l’instar de l’huile d’olive en Italie, chaque village japonais fabriquait sa propre sauce soja et on ne s’aventurait pas à tester celles de ses voisins. Autrefois, on disait même en rigolant que le choix de la sauce soja était une source de dispute dans un couple issu de deux régions différentes. Mais les temps ont changé. Désormais, non seulement les Japonais savent qu’il existe une grande variété de sauce soja, mais ils sont aussi prêts à les découvrir.
Aujourd’hui, plusieurs enseignes en proposent différents styles. Par exemple, la société Shokunin shôyu (sauce soja artisanale) parcourt tout le Japon pour visiter plus de quatre cents producteurs avant d’en sélectionner une centaine. Elle les reconditionne par la suite en petits flacons de 100 ml, pour inciter les clients à en essayer plusieurs sortes afin de les comparer ou pour offrir. Leur magasin propose même de la sauce soja crue fraîchement extraite sans passer par l’étape de pasteurisation à haute température. Elle doit alors être conservée au frais. Il est aussi possible d’apporter son propre contenant afin d’acheter la quantité souhaitée.
Le bar Flute Flute à Ôsaka propose quant à lui un mariage audacieux entre sauce soja et champagne. On peut y choisir entre plus de 90 sortes de sauce soja et une quarantaine de champagne. Pour accompagner ces cocktails d’un nouveau genre il est possible d’y déguster six sortes de sauce soja à verser sur de la mozzarella ou encore d’en essayer une vingtaine sur du riz aux œufs – le très populaire tamago kake gohan.
Mais pourquoi cette mode ? Tout d’abord, elle peut s’expliquer par un certain regain d’intérêt des jeunes Japonais pour la préservation des valeurs et des produits de la cuisine traditionnelle. On peut aussi imaginer qu’à cause des condiments industriels qui abondent les grandes surfaces, le palais des Japonais s’est uniformisé et que c’est paradoxalement pour cela que certains “redécouvrent” les sauces soja de leur région. Ou encore, on peut supposer qu’ils sont prêts à acheter des sauces soja artisanales, certes plus chères, justement car ils n’en consomment plus aussi quotidiennement qu’auparavant. Peut-être la sauce soja n’occupe-t-elle aujourd’hui plus qu’une place égale à celle de l’huile d’olive ou d’épices venant de pays étrangers ?
Mais il serait faux de penser que la sauce soja a toujours été au centre de la cuisine japonaise. Pendant longtemps, elle est restée une denrée rare et inaccessible pour de nombreux japonais. Dans le livre Makkura [Dans les ténèbre, 1977], l’écrivain Morisaki Kazue dépeint le Kyûshû de la première moitié du XXe siècle, où même les fabricants de sauce soja ne pouvaient pas se permettre d’en verser tous les jours sur leurs plats tellement elle était précieuse. C’est l’industrialisation qui a permis son entrée dans tous les foyers japonais. Mais aujourd’hui, le temps est venu de retourner à la source pour apprécier toutes les subtilités les différentes saveurs que cette sauce exceptionnelle peut nous donner.
Sekiguchi Ryôko