Avec La Famille Asada et Goodbye, les spectateurs sont sûrs de passer un authentique bon moment.
Depuis que le cinéma occidental est rongé par le cancer du politiquement correct, la plupart des œuvres proposées sont portées par des personnages dont la seule qualité est d’être des victimes en puissance d’un monde injuste. Les héros ordinaires ont disparu au profit de superhéros Marvel eux-mêmes soumis désormais aux nouvelles contraintes d’un environnement aseptisé. L’univers de l’animation n’y échappe pas en témoigne la dernière production des studios Disney, Avalonia, l’étrange voyage, où les scénaristes ont construit une histoire polluée par la nécessité de répondre à un cahier des charges tellement épais que le spectateur finit par craquer au bout de quelques minutes à moins qu’il ne soit lui-même déjà contaminé par cette vision du monde déformée où nous sommes tous de potentielles victimes.
Aussi peut-on se féliciter qu’il existe encore quelques cinéastes qui échappent à cette maladie. C’est le cas du cinéma japonais même si quelques réalisateurs influencés par l’Occident commencent à proposer des œuvres qui fleurent bon “la bien-pensance”. Depuis quelques jours, les spectateurs français ont la chance de voir deux films qui non seulement témoignent de ce qu’est le monde avec ces bons et ces mauvais côtés, mais aussi nous apportent une énergie positive dont bon nombre d’autres productions sont dépourvues faute d’être sincères. Il s’agit de La Famille Asada (Asada-ke !) de Nakano Ryôta et de Goodbye (Gubbai, Don Gurîzu !) d’Ishizuka Atsuko, un film en prises de vues réelles et un anime, qui peuvent être vus en famille et qui s’adressent à un large public qui y trouvera de quoi rire, pleurer et s’émerveiller sans que rien ne semble fabriqué même s’il s’agit dans les deux cas de fictions.
Il se trouve que le long-métrage de Nakano Ryôta, récompensé lors de la dernière édition du festival Kinotayo, s’inspire d’une histoire vraie, celle du photographe Asada Masashi, dont l’œuvre s’est construite autour de la complicité de sa famille qui a accepté de poser dans des situations parfois burlesques et surtout de son expérience dans la région du Tôhoku, nord-est de l’Archipel, après le tsunami de mars 2011. A partir de ces deux éléments, le cinéaste a bâti un scénario à la fois léger et grave par moments qui traduit finalement assez bien ce que sont nos existences au cours desquelles nous rencontrons des situations difficiles mais aussi des instants de bonheur même courts susceptibles de bouleverser nos existences. Habitué à faire des films autour de la famille, Nakano Ryôta maîtrise parfaitement son sujet et propose une image peu classique de la famille japonaise où c’est le père qui reste au foyer quand la mère, infirmière en chef, mène une carrière pleine de responsabilités. En d’autres termes, le cinéaste entraîne les spectateurs dans un monde idéal, mais il ne le fait pas avec de gros sabots, préférant la subtilité et l’humour.
De la même manière, il fait preuve d’une grande sensibilité lorsqu’il nous replonge dans la tragédie du 11 mars 2011. Se servant de l’expérience vécue par le photographe qui a participé à une mission inattendue, celle de collecter des albums de photos que le tsunami a entraînés dans son sillage afin de restituer les photos nettoyées à leur propriétaire. Toute cette séquence est très réussie car, comme pour le reste du film, elle est servie par des acteurs formidables dont on apprécie la justesse du jeu. En sortant de la salle après la projection, le spectateur a un sentiment de légèreté et de bien-être quand bien même ce film a abordé un sujet aussi sérieux que la mort.
C’est un peu la même sensation que l’on a après avoir vu l’anime d’Ishizuka Atsuko bien que celui-ci se situe un cran en dessous en raison d’un scénario assez peu original. Il s’agit d’un voyage initiatique bâti autour de trois jeunes garçons, Roma, Toto et Drop. Dans l’espoir que les images prises par leur drone les disculpent après un incendie dont les réseaux sociaux les accusent, les trois adolescents partent à sa recherche dans la montagne, cette zone qui reste au Japon un espace largement sauvage où tout est finalement possible.
Formée au studio Madhouse, la réalisatrice a su mettre en valeur à la fois l’expérience acquise dans ce haut lieu de l’animation japonaise et ce rapport particulier qu’ont les Japonais avec l’univers des montagnes pour élaborer un décor éblouissant qui rappelle à certains moments les gravures européennes qu’on trouve dans les anciens livres de contes. Cela contribue évidemment à donner une dimension parfois fantastique à cette histoire d’amitié entre trois personnages dont les profils n’ont à la base rien d’extraordinaire. Au fond, c’est ce qui fait la force de ce film à travers lequel se dessine également le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Même s’il n’y a guère de surprises dans le déroulé de Goodbye, on se laisse porter par cette histoire où il est aussi question de mort puisque Drop, le dernier membre de la petite bande originaire d’Islande, disparaît. Mais sa disparition est aussi synonyme d’un renforcement des liens entre les deux autres que la vie avait eu tendance à séparer jusque-là. Autant dire que ces deux films valent d’être vus et revus tant ils nous font du bien et nous réconcilient avec le cinéma.
Odaira Namihei