Désireux de faire de l’argent, les géants de l’agroalimentaire ont tendance à galvauder les us et coutumes.
Début février, au Japon, on fête le setsubun, qui signifie littéralement le “changement de saison” et qui était autrefois considéré comme le Nouvel An. Cette tradition d’origine chinoise avait pour but de chasser les mauvais esprits qui pouvaient s’inviter lors du passage entre deux saisons. Ces rituels sont toujours pratiqués aujourd’hui dans les temples shintoïstes de tout le pays. On lance des fèves de soja grillées pour les écarter de la maison et on décore son entrée avec une branche d’osmanthe à feuilles de houx et une tête de sardine grillée pour empêcher les mauvais esprits d’y entrer.
Ce rituel s’accompagne aussi de certains mets que l’on déguste spécialement pour l’occasion. Comme pour la plupart des célébrations, on déguste la cuisine japonaise traditionnelle, où chaque produit comporte une signification symbolique. Les plats diffèrent selon les régions, mais récemment il y en a un qui est devenu particulièrement célèbre : l’ehômaki.
L’ehômaki, venu de l’ouest du pays, n’était à l’origine qu’un des plats parmi les autres qu’on dégustait à l’occasion. Ces trente dernières années, cette sorte de futomaki (maki de grande taille composé de plusieurs ingrédients), s’est répandu dans tout le reste de l’Archipel par le biais de grandes campagnes publicitaire dans les supérettes et les supermarchés car c’est un plat à faible coût et facile à commercialiser. Très populaire, il est devenu un business particulièrement juteux pour les enseignes qui essayent toutes de gratter leur part — en 2022 la vente d’ehômaki s’est élevée à 214, 3 millions d’euros. Le problème, c’est que ce plat, qui fait partie d’une des variétés de sushi ne se conserve pas, et ces dernières années des scandales de gaspillage alimentaires ont éclaté. Depuis, les grandes enseignes ont dû faire les efforts pour réduire une part de ce gaspillage.
Les repas liés aux rituels, qu’ils soient saisonniers, religieux ou régionaux, enrichissent nos vies culinaires en symboles et nous rapprochent de notre histoire ou de notre terroir. A condition qu’ils soient concoctés par nous-mêmes ou par des artisans du quartier. Car une fois sous l’emprise de l’industrie agroalimentaire, ces plats deviennent simplement un prétexte pour vendre plus à une période bien précise de l’année. Et encore, si l’on pouvait le consommer pendant un mois comme la galette des rois il y aurait sûrement moins de gâchis, mais l’ehômaki se consomme uniquement pendant la célébration. Ce qui n’a pas été vendu le jour J est ainsi condamné à finir à la poubelle. Cette logique purement commerciale va à l’encontre de l’esprit d’origine de ces repas rituels, qui, pour la plupart, existent pour souhaiter le bonheur à l’aide de la force de la nature.
Le jour de setsubun, on peut par exemple le fêter avec des fukumame, “pois bénis”, des fèves de sojas grillées au nombre de son âge, le fukucha, le “thé porte-bonheur” composé aussi de soja grillé auquel on ajoute des prunes salées et un peu d’algue kombu, ou encore des sardines ou des nouilles soba… Tous ces mets, en plus d’être traditionnels et bons pour la santé, peuvent se préparer à la maison, facilement, sans avoir besoin de courir dans les supermarchés pour acheter des plats déjà faits et prêts à consommer. On peut toujours respecter la tradition sans se laisser séduire par les slogans publicitaires, et se contenter de l’essentiel : remercier le don de la Terre.
Sekiguchi Ryôko