Pour une Japonaise vivant en France depuis un quart de siècle, je prétends avoir une bonne connaissance de l’actualité de mon pays, qu’il s’agisse de politique, d’économie ou encore de people. Tout cela fait partie de mon travail. Afin de rester à jour, je me renseigne quotidiennement de différentes façons. Grâce à cela, lorsque je voyage au Japon, je peux suivre sans mal les conversations entourant les nouveautés. Or, lors de ma dernière visite, j’ai été surprise de ne pas comprendre le mot utilisé par une personne avec qui j’avais prévu un déjeuner. Ayant un contretemps, elle a modifié l’heure du rendez-vous et m’a écrit : “C’est bon, le risuke est fait !”. Ça ressemble à “risqué”, mais c’est la première fois que je voyais ce risuke écrit en katakana, l’écriture employée pour transcrire les mots étrangers. J’ai effectué une recherche et découvert qu’il s’agit de l’abréviation de ri-sukejûru de l’anglais “reschedule” qui signifie “reprogrammer” en français. Déjà le “japanglais” n’est pas évident à saisir (tout comme le franglais) et si on l’abrège, ça devient du chinois ! Mais pourquoi les Japonais abrègent-ils toujours des mots ? Il doit y avoir une raison. Prenons un peu de recul : sayônara (au revoir) signifie à l’origine “dans ce cas-là” ou “sur ce”. Au lieu de dire “Sur ce, je m’en vais”, nous avons supprimé la partie principale. Konnichiwa (bonjour) est similaire. Il équivaut à “Aujourd’hui,”. Comme pour le haïku, on évite d’exprimer directement les choses et on laisse aux autres le soin de “sentir” le sens derrière les mots. Peut-on dire que c’est grâce à cette pratique que nous développons notre sensibilité et que l’abréviation est une culture ? Mouais, c’est beau, mais c’est sans doute à cause de cela que j’ai souvent du mal à me faire comprendre par des francophones. J’ai tendance à trop résumer mes phrases même après 25 ans de vie française… Quand est-ce que je serai capable de dire tout ce qui se passe dans ma tête ? A la française quoi ! Sur ce !
Koga Ritsuko