Décédé en 1996, Shiba Ryôtarô reste un des auteurs les plus appréciés du pays. Ses romans historiques ont été lus par des millions de Japonais qui ont ainsi pu se familiariser avec leur histoire. Il y a tout juste 50 ans, il publiait Tokugawa Ieyasu, shôgun suprême (Haô no Ie) dont la traduction française due à Yoko Kawada-Sim et Silvain Chupin est parue, en 2011, aux éditions du Rocher. Nous vous proposons des extraits du dernier chapitre.
“leyasu mourut le 17 avril 1616, dans sa soixante-quinzième année, moins d’un an après avoir écrasé la maison Toyotomi au siège d’été d’Ôsaka.
Il resta en bonne santé jusqu’à la fin de sa vie, et bien que répétant qu’il devait se préserver un peu des plaisirs de la chambre, il eut néanmoins des enfants sur le tard : à cinquante-huit ans un fils,
Yoshinao (le fondateur de la maison Tokugawa d’Owari), avec une suivante, Okame, puis à soixante ans un autre, Yorinobu (celui des Tokugawa de Kii), avec une concubine, Oman, et l’année suivante un autre encore, Yorifusa (celui des Tokugawa de Mito), avec la même concubine. Mais il se maîtrisa fort bien car il savait que ce genre d’excès accélérait la décrépitude, et il trouva d’autres moyens de vivre dans le bien-être et de rester en forme en se dépensant agréablement, notamment par la chasse au faucon et la marche dans les montagnes.
Quand le château d’Ôsaka, pris d’assaut et incendié, s’effondra dans un amas de cendres, il rentra à sa résidence de retraite, le château de Sunpu (Shizuoka), où il se reposa environ un mois avant de déclarer :
– Mes reins et mes jambes sont défatigués des chevauchées de la bataille. Il est temps de partir chasser avec mes faucons dans différents lieux du Kantô.
Il quitta Sunpu le 29 septembre et tout en lâchant ses faucons dans les montagnes tout au long de la route, arriva au château d’Edo le 10 octobre.
Là, il rencontra son fils Hide-tada, le shôgun, et s’occupa de sa succession. (…)
Cette nuit-là, vers deux heures du matin, leyasu eut mal au ventre et les appela. La sueur perlait sur son front.
– C’est sûrement à cause de ce que j’ai mangé, diagnostiqua-t-il.
Son médecin, Katayama Sôetsu, accourut et lui prit le pouls, mais Ieyasu le repoussa en lui disant :
– Inutile de m’examiner. C’est à cause de ce que j’ai mangé. Apporte-moi le Manbyôtan !
leyasu se prescrivit lui-même son remède. (…)
leyasu était effectivement excellent en médecine. Il pratiquait la prévention et l’hygiène à l’époque où ces disciplines n’existaient pas, en les appliquant à lui-même. Il avait atteint l’âge adulte à l’époque où la syphilis faisait rage pour la première fois au Japon. Ayant été témoin de nombreux cas de contamination parmi ses généraux, il en avait conclu que c’était le contact des prostituées qui en était la cause, et il s’était gardé toute sa vie de les fréquenter. C’était là une exception pour un guerrier de cette période. Il fut également le premier en Orient à comprendre que le sport était bénéfique pour la santé, et l’avait pratiqué toute sa vie. (…)
leyasu pressentit cette nuit-là que son mal de ventre n’était pas dû à un simple problème d’alimentation car il ne vomissait pas. Il sentait quelque chose d’autre qui n’était pas une simple douleur d’estomac. Il comprit, dans un mélange de terreur et de sang-froid, que son heure était venue.
Il se dit qu’il ne pouvait pas mourir maintenant. II y avait encore quantité d’affaires politiques à régler. Cela lui prendrait du temps, et il avait besoin de trois ou quatre mois pour y parvenir. (…)
Avant que son état ne s’aggravât, leyasu avait donné des instructions. Il souhaitait
être enterré au mont Kunô, dans le Suruga, que les obsèques eussent lieu au temple Zôjô-ji à Edo, que la stèle fût déposée au temple Taiju-ji dans le Mikawa, que, au bout d’un an, son mausolée fût construit au mont Nikkô dans le Shimo-tsuke, et que l’on fit de celui-ci le temple d’un dieu veillant sur la paix des huit provinces du Kantô.”