Le nouvel immeuble entièrement dédié aux divertissements a été conçu pour la première fois par une femme.
Tôkyô ne perd jamais sa capacité à étonner. Qu’il s’agisse de culture pop de renommée mondiale, d’architecture fantasmagorique, de technologie de pointe ou de vie nocturne sans fin, c’est une ville qui ne s’arrête jamais, mais qui, au contraire, innove et évolue sans cesse. Rien que cette année, le nombre de nouveaux projets est impressionnant. A l’été 2023, le Studio Tour Warner Bros. de Harry Potter sera aussi grand que les deux fameux dômes de la capitale qui accueillent des événements sportifs et culturels. Au printemps 2023, le Tokyo Yaesu Midtown shop and office complex de 45 étages a ouvert ses portes, comprenant une école primaire et un hôtel Bulgari de six étages doté de robots de livraison et d’une technologie de reconnaissance faciale. Le magasin phare Animaté Ikebukuro (ouvert en mars 2023) est le plus grand magasin lié à l’animation japonaise au monde et l’un des 88 lieux de pèlerinage Animé certifiés pour 2023.
Reste que l’une des nouveautés les plus éblouissantes de l’horizon tokyoïte est la colossale tour Tôkyû Kabukichô, qui a ouvert ses portes, le 23 avril, dans le quartier de Kabukichô, à Shinjuku, l’un des lieux de divertissement les plus prisés de Tôkyô. Cet immeuble, entièrement dédié au divertissement et aux loisirs, s’étend sur 53 étages : 48 étages en surface et 5 étages souterrains. Sans surprise, il s’agit de l’un des plus grands complexes hôteliers et de loisirs du Japon.
“Nous voulons que ce complexe soit spécialisé dans le divertissement et qu’il incite les gens à venir dans la région”, affirme Kimura Tomoo, directeur général de Tôkyû, la société qui a piloté le projet. L’objectif est de créer un espace qui reflète le mélange d’énergie juvénile, d’art et de musique qui caractérise l’esprit de Shinjuku. Pour atteindre cet objectif, 26 artistes ont été chargés de créer des installations à grande échelle dans tout le bâtiment.
Les étages inférieurs et moyens abritent des restaurants, des galeries d’art, des théâtres, des cinémas et des boutiques. Tout le deuxième étage est occupé par des restaurants de style yokochô, ces ruelles étroites et remplies de bars et d’étals de nourriture (voir Zoom Japon n°105, novembre 2020). Pour ajouter au plaisir, ce food hall a été conçu dans une ambiance de festival, avec musique, cabine de DJ, scène et karaoké. Le troisième étage est consacré à la culture pop, avec les salles d’arcade géantes de Bandai Namco et des personnages populaires d’anime, de manga et de jeux vidéo. Sony Music Entertainment occupe le quatrième étage pour offrir une expérience high-tech comprenant des salles d’évasion, des donjons et bien d’autres choses bizarres et entraînantes. Au cinquième étage, vous trouverez une zone consacrée à la santé et au bien-être, avec une salle de sport ouverte 24 heures sur 24, un sauna privé et une piscine en terrasse.
Les étages 6 à 8 accueilleront le Théâtre Milano-Za, une scène de spectacle ultramoderne pouvant accueillir environ 900 personnes. Le 109 Cinemas Premium, avec huit écrans, est situé aux 9e et 10e étages et promet “une expérience de visionnage totalement nouvelle par rapport aux cinémas habituels”. Au 17e étage, vous trouverez un restaurant, un bar et une terrasse.
Les étages supérieurs sont occupés par deux hôtels (ouverts le 19 mai). Le Groove Hotel Shinjuku occupe du 18e au 38e étages. Groove est un hôtel lifestyle où, selon les propriétaires, vous pouvez “ressentir la culture artistique et musicale qui ne cesse d’agiter Shinjuku”. L’hôtel propose même des installations artistiques dans quatre chambres à thème. Enfin, du 39e au 45e étage, l’hôtel Bellustar est si luxueux qu’il se présente comme votre “villa privée dans le ciel” (à cette altitude, vous pouvez croire que les vues sont à couper le souffle).
Au sous-sol, cinq étages entiers sont consacrés à Zero Tokyo, une zone de vie nocturne où l’on trouve de la musique, des clubs et des salles de spectacle. Le Zepp Tokyo, lieu de musique populaire qui avait fermé ses portes en 2022, a rouvert dans cette zone souterraine et sera certainement l’une des principales attractions du sous-sol, promettant de maintenir sa politique d’accueil d’une grande variété de concerts d’artistes nationaux et internationaux de renom.
Mais la Kabukicho Tower n’est pas seulement remarquable pour le monde vertical à couper le souffle qui vous attend à l’intérieur. L’aspect le plus remarquable est la conception même du bâtiment. La façade bleue et blanche de la tour, haute de 225 mètres, est conçue pour ressembler à une fontaine, cascadant et scintillant au milieu des tours plus conventionnelles qui l’entourent, alors qu’elle s’élève et se confond avec le bleu du ciel. En outre, contrairement à d’autres tours, elle n’abrite pas de bureaux. Ce bâtiment est entièrement dédié au divertissement – c’est une première au Japon. C’est également la première fois qu’un gratte-ciel japonais est conçu par une femme : Nagayama Yuko.
Quand on lui demande où elle a trouvé l’inspiration pour le thème de la fontaine, elle répond que “la conception a été inspirée par l’eau, car le quartier de Shinjuku était autrefois un marécage. D’autre part, comme cet endroit est intimement lié à la reconstruction d’après-guerre réalisée par la population locale, nous avons imaginé une fontaine s’élevant du sol. Comme ce bâtiment est le premier gratte-ciel du Japon à se spécialiser dans le divertissement, je l’ai imaginé éphémère et érigé de manière à ce qu’il disparaisse sans élan de la part de la population. Sur la place qui se trouve devant le bâtiment, il existait d’ailleurs une fontaine symbolique qui a disparu. On peut dire que nous l’avons fait revivre”.
La jeune architecte souligne également qu’il existe une “déesse de l’eau” bouddhiste appelée Benzai Ten, communément appelée Benten, la seule femme membre du Shichifukujin ou des sept dieux de la bonne fortune. C’est un symbole approprié pour cette tour ambitieuse, car Benten est aussi la déesse de la féminité et de la musique. Elle est généralement représentée jouant du biwa, ou luth japonais.
Les femmes peuvent-elles donc apporter une sensibilité différente à l’architecture (et au design en général) par rapport aux architectes masculins ? “Je pense que les différences individuelles sont plus fortes que les différences entre les sexes”, estime-t-elle. “Toutefois, je crois personnellement que les projets des femmes semblent parfois plus flexibles.” Dans une interview accordée au site
www.world-architects.com, Nagayama Yuko a aussi fait remarquer avec justesse que “les tours de bureaux peuvent être considérées comme des symboles de pouvoir, mais la tour Kabukicho est plus fragile, car elle se dissout visuellement dans le ciel”. Cela lui donne un aspect très différent de celui des boîtes rectangulaires de nombreux gratte-ciel. En effet, les lignes fluides de la Kabukicho Tower rappellent la façon dont l’architecte catalan Antoni Gaudi a également remis en question la tyrannie de la ligne droite il y a plus de 100 ans. Celui-ci s’inspirait de la nature, qu’il appelait “le grand livre que nous devrions tous lire”.
En s’inspirant de l’eau, elle semble également avoir lu le même grand livre. Connaît-elle les créations de Gaudi ? “Je suis allée à Barcelone quand j’étais étudiante pour voir ses réalisations. J’ai visité la Sagrada Familia, le Parc Güell et la Casa Mila. J’ai trouvé que la logique organique et structurelle de la forme était très belle”, confie-t-elle.
Le prochain projet de Nagayama n’est pas moins ambitieux : concevoir le plus haut bâtiment du Japon. “Je suis actuellement en train de concevoir la partie basse d’un immeuble de grande hauteur, qui sera le plus haut du Japon. Nous voulons exprimer l’idée de l’activité elle-même en tant que façade, c’est pourquoi nous avons entouré le bâtiment d’une passerelle de 2 kilomètres de long et d’une hauteur de 60 mètres. Les escaliers mécaniques et les ascenseurs sont les éléments essentiels de ce projet. Les escaliers mécaniques et les ascenseurs constituent le moyen de base pour se déplacer dans le gratte-ciel, mais il s’agit d’un bâtiment que l’on peut également escalader de ses propres pieds. Les trottoirs qui entourent le bâtiment font de la partie frontale de l’immeuble une vitrine au niveau de la rue, ce qui permet à l’activité à l’intérieur de s’infiltrer à l’extérieur”, explique-t-elle.
La capacité de Tôkyô à nous surprendre semble devoir perdurer encore longtemps..
Steve John Powell & Angeles Marin Cabello