Rendez-vous quotidien, rajio taisô est une émission qui mobilise des millions d’auditeurs prêts à se remuer.
Il est 6 h 30 du matin par une chaude journée d’été. Le soleil est déjà haut dans le ciel et tape sur la tête des gens qui vont lentement à la gare pour se rendre au travail. D’autres sortent leurs poubelles, en essayant de se rappeler si, aujourd’hui, ils sont censés jeter des déchets plastiques ou organiques. Dans de nombreux parcs et cours d’école, des élèves du primaire se rassemblent, certains accompagnés de leur mère, et commencent à faire de la gymnastique au rythme d’un programme diffusé par le lecteur de radiocassettes apporté par l’organisateur.
Les Occidentaux peuvent être déconcertés par l’idée que de jeunes enfants se lèvent tôt pendant leurs vacances d’été et quittent leur maison climatisée pour faire un peu d’exercice physique rapide, mais au Japon, ces scènes sont depuis longtemps une tradition estivale car, dans tout le pays, des associations communautaires composées de parents bénévoles organisent ces réunions matinales. Bienvenue dans le monde fascinant de la gymnastique radiophonique, ou rajio taisô, comme on l’appelle ici.
Les fans de La Ballade de l’impossible (Noruwei no mori, trad. par Rose-Marie Makino-Fayolle, éd. 10/18, 2011) de Murakami Haruki (voir Zoom Japon n°13, septembre 2011) savent déjà de quoi nous parlons, puisque Storm Trooper, le colocataire du protagoniste dans la résidence universitaire, obsédé par la santé et la propreté, fait de l’exercice tous les matins à l’aube, au grand dam de tout le monde. Mais pour la majorité des gens qui ne savent pas de quoi il s’agit, les rajio taisô sont des exercices de gymnastique d’échauffement effectués en musique et avec des conseils donnés par la radio. Ces émissions quotidiennes sont devenues une institution appréciée.
Le premier programme de gymnastique radiophonique a vu le jour aux Etats-Unis en avril 1922 et, dès 1925, des émissions similaires ont été diffusées en Allemagne et ailleurs. Les Japonais ont découvert cette pratique en 1923 lorsqu’Inokuma Sadaharu, directeur du bureau des assurances postales du ministère des Communications, s’est rendu en Amérique pour faire des recherches sur leurs activités d’assurance et qu’il a entendu l’émission de radio. En août 1927, lors d’une réunion du bureau de l’assurance postale, il a proposé d’introduire le rajio taisô pour célébrer l’intronisation de l’empereur Hirohito. Le programme était également considéré comme un moyen d’améliorer la condition physique des Japonais, un exercice que tous les citoyens pouvaient et devaient pratiquer, indépendamment de leur âge ou de leur sexe.
La radiodiffusion au Japon a débuté le 22 mars 1925 et le média a rapidement conquis le cœur des gens grâce à des programmes populaires tels que les combats de sumo (diffusés pour la première fois le 12 janvier 1928). Le 24 mai 1928, le bureau des assurances postales, l’Association des compagnies d’assurance-vie de Nippon et la Société japonaise de radiodiffusion (NHK) ont donc demandé au ministère de l’Education de concevoir les exercices appropriés pour la gymnastique radiophonique – quelque chose que tout le monde peut faire n’importe où, à l’intérieur ou à l’extérieur.
Annoncé officiellement le 29 octobre sous le nom d’Exercice national de santé et diffusé dans tout le pays par les services postaux, rajio taisô a finalement débuté à 7 heures du matin le 1er novembre. Certes, les débuts ont été difficiles. Le premier présentateur, Egi Riichi, était musicien dans l’orchestre militaire de l’école de Toyama. Le jour de la toute première émission, il est apparu au studio en uniforme militaire (avec un sabre) et a commencé à donner des instructions comme s’il s’agissait de commandements militaires : “Attention ! Préparez-vous à commencer les exercices de la radio !” Les auditeurs n’ont pas apprécié l’ambiance martiale, et le lendemain, il a changé d’attitude : il est entré dans le studio en tenue de sport et a accueilli ses auditeurs avec un chaleureux “Bonjour tout le monde” qui est devenu instantanément populaire. Militaire jusqu’au bout des ongles, il se levait tous les jours à 4h30, quittait son domicile à 5h précises et prenait le premier tramway pour se rendre à son travail à la NHK. Un jour, alors qu’il venait d’apprendre que la princesse Terunomiya Shigeko était fan de son émission, il se présenta devant le micro habillé en queue-de-pie et nœud papillon au lieu de ses vêtements de gymnastique habituels.
Bien qu’Egi Riichi ait adouci son approche, il ne fait aucun doute que le gouvernement était parfaitement conscient du lien entre l’exercice physique, l’entraînement militaire et la construction d’une nation. Après l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931 (voir Zoom Japon n°120, mai 2022), une guerre totale avec la Chine a éclaté en 1937. A partir de là, la gymnastique radiophonique a été encouragée comme moyen de mobilisation nationale par le biais de ce que l’on appelle le Mouvement national d’entraînement mental et physique. En outre, pendant une semaine à partir du 13 octobre de la même année, elle a été diffusée à l’occasion de l’Assemblée nationale du matin, dont l’objectif était de mettre l’accent sur “la mobilisation de l’esprit national”.
Comme l’écrit Igarashi Yoshiyuki dans Bodies of Memory : Narratives of War in Postwar Japanese Culture 1945-1970 (éd. Princeton University Press, 2012), le corps a fait l’objet d’une attention officielle non seulement en tant qu’instrument permettant de faire des bébés en bonne santé et de soutenir la production nationale, mais aussi en tant que moyen permettant de matérialiser l’idéologie officielle d’une nation. En 1929, le professeur de l’université de Tôkyô et idéologue nationaliste Kakei Katsuhiko a proposé des interprétations mythologiques pour chaque mouvement physique. En 1939, le Kôa taisô (cours de gymnastique pour l’avancement de l’Asie) a été conçu pour former du personnel d’éducation physique qui servirait de force motrice dans l’avancement des intérêts coloniaux du Japon en Asie. Puis, vers la fin de la guerre du Pacifique, les participants au rajio taisô devaient s’exercer en suivant le slogan chauvin “Bei-Ei-geki-metsu” [détruire, faire périr l’Amérique et l’Angleterre]. Les excès de chauvinisme mis à part, les gens du peuple ont conservé au fil des ans une approche saine et pragmatique de l’exercice, et la gymnastique suédoise, dans sa simplicité, a rempli son objectif principal, à savoir maintenir les gens en forme.
Deux types de gymnastique suédoise ont été conçus : Rajio taisô no 1 (un exercice plus simple et moins exigeant) et le Rajio taisô no 2 , qui a vu le jour en 1932. Destiné à l’origine au monde du travail (à faire avant de commencer sa journée de travail), ce dernier se concentre sur le renforcement des muscles et sa mélodie a un tempo légèrement plus rapide que le n° 1. Il comporte également plus de mouvements de saut et, dans l’ensemble, il est composé de combinaisons plus complexes. La plupart des chansons interprétées pendant la routine sont des compositions originales pour piano, mais certains exercices intègrent parfois des comptines et des chansons populaires qui correspondent à la saison.
Les exercices de gymnastique suédoise actuels ont été introduits respectivement en 1951 (n° 1) et 1952 (n° 2) et constituent la troisième version depuis que le rajio taisô a commencé en 1928. Elles sont diffusées tous les matins à 6 h 30 sur NHK Radio 1 et tous les après-midi à midi sur NHK Radio 2, sauf le dimanche. En outre, Radio 2 les rediffuse plus tard dans la journée.
Il existe également une version télévisée, Minna no taisô (gymnastique suédoise pour tous), qui a été diffusée pour la première fois sur NHK en 1999 afin d’atteindre un public plus large (elle peut même être regardée sur NHK WORLD-JAPAN au Japon et à l’étranger). Le programme télévisé diffère en plusieurs points du programme radiophonique, non seulement pour le rendre plus attrayant sur le plan visuel, mais aussi pour qu’il puisse s’adresser à différents types de personnes. C’est pourquoi deux versions ont été conçues, l’une plus courte (cinq minutes) et l’autre plus longue (dix minutes) avec des exercices supplémentaires, et le contenu change tous les deux mois en fonction de la saison. La plus grande innovation réside probablement dans le fait que les démonstrations sont effectuées à la fois debout et assis sur une chaise pour les téléspectateurs souffrant de problèmes de jambes. En outre, afin de réduire la charge imposée aux personnes âgées, la quantité d’exercices est réduite par rapport à la gymnastique suédoise à la radio.
Les artistes qui apparaissent à la télévision sont l’instructeur, l’accompagnateur au piano et plusieurs assistants. Les explications et les démonstrations de l’instructeur sont effectuées sans regarder le script, mais comme l’heure de diffusion est fixe et qu’il peut y avoir des changements soudains dans le programme, les pianistes doivent avoir de bonnes capacités d’improvisation afin de pouvoir faire de petits ajustements en quelques secondes.
Au fil des ans, de nouvelles versions locales ont été ajoutées à la liste, avec des instructions données dans différents dialectes et langues ou en utilisant des instruments particuliers, de Hokkaidô à Okinawa. Elles sont disponibles sur CD.
Minna no taisô est diffusé tous les jours sauf le samedi et le dimanche – la version de 10 minutes le matin sur la chaîne éducative de la NHK, et la version plus courte le matin et l’après-midi sur la chaîne principale de la NHK.
L’engagement de la chaîne publique envers rajio taisô et la popularité du programme auprès de la population sont tels que seuls des événements extrêmement graves et importants peuvent entraîner son report ou son annulation. Par exemple, le programme a été annulé entre le 15 et le 22 août 1945 pendant la semaine qui a suivi la fin de la guerre du Pacifique. Plus récemment, le 7 janvier 1989, elle a été remplacée par la diffusion d’une nouvelle d’urgence concernant l’état critique de l’empereur Hirohito, puis le lendemain par la diffusion d’un programme spécial lié au décès de l’empereur.
Les catastrophes naturelles peuvent également entraîner un changement d’horaire, comme le 27 février 2010, lorsqu’un tremblement de terre près de l’île principale d’Okinawa a déclenché une alerte au tsunami vers 5 h 31, ou le 12 mars 2011, lorsque toutes les séances de gymnastique suédoise à la télévision et à la radio ont été suspendues en raison de la diffusion répétée d’alertes au tsunami et d’informations de sécurité à la suite du violent tremblement de terre qui a frappé la région du Tôhoku la veille (voir Zoom Japon n° 9, avril 2011). C’était d’ailleurs la première fois en 22 ans, depuis la mort de l’empereur Hirohito, que les exercices radiophoniques n’étaient pas diffusés dans tout le pays.
La Corée du Nord n’est pas non plus une amie de la gymnastique japonaise. Le 5 juillet 2006, l’émission a été diffusée avec cinq minutes de retard pour faire de la place aux informations concernant le lancement d’un missile par Pyongyang. Le 29 août 2017, l’activation du J-Alert (système national d’alerte instantanée) a entraîné l’annulation de l’émission. Sur une note plus légère, le programme télévisé a été suspendu le 12 juillet 2010 lorsque la finale de la Coupe du monde de la FIFA 2010 en Afrique du Sud entre l’Espagne et les Pays-Bas s’est prolongée.
D’un autre côté, rajio taisô a donné de l’espoir et a promu un sens de la communauté pendant certaines de ces périodes tragiques. Après la catastrophe de mars 2011, par exemple, la ville d’Ishinomaki, dans la préfecture de Miyagi, a commencé à organiser des réunions dans le dialecte local, qui ont été couronnées de succès. Un CD a également été édité et une partie des recettes a été reversée pour la reconstruction de la zone sinistrée.
Ce qui ne risque pas d’être affecté par les événements nationaux ou internationaux, ce sont les rencontres des vacances d’été. Le tout premier rassemblement remonte à 1930, alors que le rajio taiso n’avait pas encore deux ans, et qu’un officier de police du district de Kanda-Manseibashi à Tôkyô, chargé des activités pour enfants, pensait que la gymnastique radiophonique serait un bon moyen pour les enfants du quartier d’entraîner leur corps et de s’occuper l’esprit pendant les vacances d’été.
C’est ainsi qu’au petit matin du 21 juillet, il a organisé “la gymnastique radiophonique des lève-tôt” au parc Sakuma à Kanda-Sakumachô. D’autres endroits du centre de Tôkyô revendiquent la naissance de ces réunions (et ont même érigé un monument pour appuyer leur revendication), mais quelle que soit l’origine, la pratique s’est rapidement répandue dans tout le Japon, à tel point qu’un total de 25,93 millions de personnes ont participé aux réunions nationales d’exercices radiophoniques de juillet 1932.
Ces dernières années, en raison de la baisse du taux de natalité, de la diminution du nombre d’associations d’enfants et du problème du bruit causé par la musique, de plus en plus d’endroits ont supprimé les réunions, et même dans ceux où elles ont encore lieu, la période du festival de gymnastique a été réduite à environ deux semaines au lieu des vacances d’été entières. Un autre facteur qui affecte négativement les rencontres est le fait qu’un plus grand nombre d’enfants se rendent maintenant tôt le matin à l’entraînement pour des activités sportives et des activités de club. En conséquence, selon une enquête de Benesse, environ 40 % des écoliers n’ont pas participé aux exercices radiophoniques d’été en 2014.
Toutefois, ceux qui restent fidèles au programme sont toujours récompensés par des prix. Chaque enfant reçoit une carte de présence fabriquée par la Japan Post Insurance, qui sponsorise l’événement, et distribuée gratuitement dans les écoles et les associations (avec la généralisation des smartphones, il existe désormais une application officielle avec une fonction de carte de présence). A la fin de chaque session, leur présence est tamponnée sur leur carte – ou ils reçoivent un tampon numérique – et le dernier jour du festival, ceux qui n’ont pas manqué une seule journée sont récompensés par des articles de papeterie, des bonbons et des coupons de livres.
Bien que la fréquentation de ces événements soit en baisse, les séances de gymnastique à la radio, non seulement dans les parcs mais aussi dans les centres d’aide sociale, semblent toujours très populaires parmi les personnes d’âge moyen et les personnes âgées, car elles favorisent une vie saine. En effet, de nombreux adultes qui n’ont pas le temps ou la possibilité de faire de l’exercice autrement pratiquent religieusement la gymnastique suédoise jour après jour.
Rajio taisô a près de 95 ans, mais n’en a pas l’air. Cet exercice peut être facilement pratiqué à tout moment, n’importe où et par n’importe qui. Chaque séance dure environ 3 minutes et 15 secondes. Cela peut sembler court, mais ces exercices de gymnastique suédoise comprennent 13 types d’exercices, dont l’aérobic, la musculation, les étirements et les exercices d’équilibre, qui nécessitent l’utilisation d’environ 400 muscles sur l’ensemble du corps.
Vous pouvez également trouver ces exercices sur YouTube, alors pourquoi ne pas les essayer ?
G. S.