Fondé avec le soutien de Matsumoto Leiji, le Kitakyushu Manga Museum défend une approche régionale.
Bien que Tôkyô et Ôsaka soient généralement considérées comme les principaux centres d’activité du manga, Kitakyûshû se présente elle-même comme la “ville du manga”. Située dans la préfecture de Fukuoka, à Kyûshû (la troisième plus grande île du Japon), la ville est non seulement le lieu de naissance de nombreux artistes de manga célèbres tels que Matsumoto Leiji, Watase Seizô, Hatanaka Jun et Hôjô Tsukasa, mais plus d’une centaine d’artistes y seraient également liés. Pour célébrer son héritage manga, la ville a ouvert, en août 2012, le Kitakyushu Manga Museum (KKMM).
“L’objectif principal du musée est de préserver le matériel et de présenter le travail des artistes liés à Kitakyûshû”, assure Omote Tomoyuki, conservateur du KKMM. “Depuis le début des années 2000, la ville et les entreprises locales organisaient des événements liés aux mangas. Les artistes eux-mêmes étaient très désireux de coopérer. Nous avons donc pensé qu’au lieu d’organiser quelques événements ponctuels, il serait préférable de disposer d’une installation permanente pour collecter et préserver ces œuvres. Nous avons consulté Matsumoto Leiji, l’artiste le plus représentatif de la ville, et il nous a aidés à construire le musée”.
Il explique que l’histoire et la situation géographique de Kitakyûshû ont contribué à faire de la ville un centre d’activité manga. “Kitakyûshû est né en 1963 de la fusion de plusieurs villes telles que Kokura, Moji et Yahata. Même avant la guerre, il y avait un port de commerce international florissant à Moji, et Yahata abritait la première usine sidérurgique du Japon, aujourd’hui connue sous le nom de Nippon Steel Corporation. De nombreux ouvriers ont dessiné des bandes dessinées et des illustrations pour les bulletins d’information de leur entreprise et les documents des syndicats. Par ailleurs, une base militaire a été installée à Kokura avant la guerre et, après 1945, les forces américaines y ont été stationnées. Cette concentration d’installations portuaires, de districts industriels et d’une base militaire a attiré de nombreuses personnes dans cette région, car elle offrait de nombreuses possibilités d’emploi. En effet, certains artistes de manga liés à Kitakyûshû sont nés dans la ville, mais beaucoup d’autres ont déménagé avec leur famille lorsqu’ils étaient enfants ou sont venus étudier à l’université”.
Selon Omote Tomoyuki, la présence de nombreuses entreprises de presse a été le dernier facteur décisif dans le développement d’une scène manga locale. “Tous les grands journaux japonais ont trois branches principales. L’une se trouve à Tôkyô, l’autre à Ôsaka, et leur siège pour l’ouest du Japon est situé dans la ville de Kitakyûshû. Ces journaux ont engagé de nombreux dessinateurs de manga locaux pour dessiner des bandes dessinées”, note-t-il.
Situé au 6e étage d’Aru Aru City, une sorte de centre commercial consacré aux mangas, aux animes, aux jeux et aux jouets à 5 minutes de la sortie Nord de la gare de Kokura, le KKMM n’est peut-être pas très grand, mais il permet d’explorer le monde du manga sous différents angles. Immédiatement après avoir pénétré dans le musée, on trouve De Kitakyûshû à Ginga : La ville où est né Matsumoto Leiji. Ce coin présente l’histoire et les réalisations de l’ancien directeur honoraire du KKMM, ainsi que son art. On peut également y visionner des vidéos d’interviews et des œuvres animées de l’artiste disparu en février 2023.
Ensuite, la section Les sept merveilles du manga explique de manière simple le fonctionnement du manga, notamment le processus de création des bandes dessinées et les règles de division des planches. La véritable table de travail de Sekiya Hisashi est également exposée. Plus loin à l’intérieur, vous trouverez un coin intitulé Manga Town Kitakyushu, qui présente la relation entre les mangas et la ville. L’exposition “Manga Time Tunnel”, en particulier, présente l’histoire des mangas et de la société japonaise d’après-guerre, de 1945 à nos jours, à travers des livres que l’on peut lire. Les premiers volumes des chefs-d’œuvre de l’époque sont classés par époque.
Vient ensuite la Ashita no Gallery, hommage à Ashita no Joe (Glénat), le célèbre manga écrit par Takamori Asaki, originaire de Kitakyûshû, où sont présentées les œuvres de créateurs locaux en pleine ascension. Les expositions changent régulièrement, vous êtes donc sûr de trouver quelque chose de nouveau à chaque visite. Une autre section populaire est la “zone de navigation” où l’on peut lire librement environ 70 000 mangas. Il existe une grande variété de genres, y compris des œuvres populaires ainsi que des titres anciens et rares qui ne sont plus disponibles en librairie. Si vous souhaitez lire un manga mais que vous ne le trouvez pas, vous pouvez demander au comptoir qui vous indiquera où il se trouve.
Diverses expositions spéciales sont également organisées au KKMM. Le musée présente des expositions originales créées par les conservateurs du musée, des expositions itinérantes provenant de tout le pays et des projets conjoints organisés avec d’autres musées.
Enfin, dans la section Manga School, des instructeurs viennent enseigner l’art de dessiner des mangas et donnent des conseils pour améliorer son style. Le musée organise des cours de dessin environ quatre fois par mois, chaque fois sur un thème différent, ainsi qu’un concours de bandes dessinées en quatre planches une fois par mois. “Même les personnes qui pensent ne pas avoir de talent pour le dessin sont en fait capables de dessiner”, explique Omote Tomoyuki. “Il suffit de leur donner l’occasion de s’exercer. Tous les artistes de manga imitent d’autres personnes célèbres lorsqu’ils sont enfants. Le dessin est le point de départ, alors peut-être que certains de ceux qui étudient ici deviendront des artistes professionnels dont les livres seront collectionnés par notre musée.”
En ce qui concerne la création de mangas, le conservateur explique que l’une des missions du KKMM est de découvrir de nouveaux talents. “Je suis très heureux lorsque l’un de nos anciens élèves devient un artiste professionnel, mais dans la plupart des cas, il finit par signer avec une société basée à Tôkyô, où sont concentrés tous les grands éditeurs. Ce que nous voulons vraiment, c’est que ces talents contribuent à l’économie locale. Cela vaut bien sûr pour d’autres productions, comme les animes et les jeux. La question principale est de savoir comment nous pouvons attirer des entreprises et des studios à Kitakyûshû. Même si leur siège se trouve dans une ville plus importante, nous aimerions qu’ils ouvrent une succursale ou un studio satellite ici. Nous nous efforçons donc d’aider les créateurs à entrer en contact avec ces entreprises et, à terme, à monétiser leur travail. Nous organisons constamment des événements de soutien et collaborons avec la mairie”, assure-t-il.
“L’un de ces projets est le Creators Meeting Japan, un événement où les créateurs apportent leurs œuvres sous la forme de magazines dôjinshi (fanzines) et les vendent. Ou encore, une société de production de jeux ou d’animes met en place un bureau de consultation pour la recherche d’emploi et rencontre des créateurs locaux qui présentent leurs propres œuvres. Nous espérons ainsi jeter à
Kitakyûshû les bases d’un réseau créatif dans lequel toutes ces personnes (auteurs de mangas et d’animés et développeurs de jeux) pourront trouver une bonne place dans le monde commercial et trouver du travail”, ajoute-t-il.
Selon Omote Tomoyuki, la région de Kita-kyûshû est extrêmement intéressante d’un point de vue historique et culturel, car de nombreux événements dramatiques s’y sont produits. “Géographiquement parlant, nous avons un paysage varié, entouré de rivières, de montagnes et de la mer. En bref, c’est un endroit idéal pour servir de décor à de nombreux types d’histoires. En fait, nous avons une commission cinématographique active qui s’efforce d’attirer des réalisateurs et des producteurs de films à Kitakyûshû. Elle les aide à trouver les bons lieux de tournage et à obtenir les autorisations de la police et des pompiers. S’il existait une organisation similaire capable de prendre en charge ces tâches dans le domaine du manga et de l’anime, nous pourrions contribuer à renforcer la scène créative locale”.
G. S.