Deux conservateurs, spécialistes du manga, confient leur vision du travail de mise en valeur qu’il reste à réaliser.
Omote Tomoyuki est actuellement chercheur spécialisé au Kitakyushu City Manga Museum (KKMM). Il est spécialisé dans l’histoire de la pensée et la recherche sur les mangas. Itô Yû est chercheur au Kyoto International Manga Museum (KIMM)/Kyoto Seika University International Manga Research Center. Il est également chargé de l’organisation de nombreuses expositions sur les mangas. Nous les avons rencontrés pour qu’ils évoquent le rôle joué par les musées consacrés au manga.
La création de ce type d’établissements à travers le pays suscite un intérêt croissant. Que pensez-vous de ce phénomène ?
Omote Tomoyuki : Il n’y a pas encore si longtemps, lorsque les collectivités locales soutenaient et promouvaient la culture, elles se concentraient sur la culture avec un grand C. Cependant, les jeunes générations ont tendance à être plus attirées par la culture pop. Par conséquent, elles ont changé leur fusil d’épaule en s’ouvrant davantage, ce qui constitue une évolution naturelle. Dans le cas des musées liés au manga, attirer les touristes est bien sûr un objectif important, mais c’est aussi le fruit d’un consensus croissant sur le fait que le manga et l’anime devraient être traités avec le même respect que celui généralement accordé à l’art et au théâtre.
De nombreux artistes de manga célèbres ont des liens étroits avec les lieux où ils ont grandi. Pensez à Mizuki Shigeru et à la préfecture de Tottori (voir Zoom Japon n°23, septembre 2012). Ces artistes ont souvent entre les mains un nombre considérable de manuscrits, mais il leur est souvent difficile de les gérer. Cependant, comme chaque pièce est dessinée à la main et offre une fenêtre unique sur le travail de l’artiste, nous ne pouvons pas nous contenter de les jeter. Ces dernières années, les artistes et les éditeurs de mangas ont demandé que ces œuvres soient préservées avant d’être perdues. C’est donc un point qu’il faut aussi garder à l’esprit lorsque l’on considère le développement récent des musées du manga.
Itô Yû : Au début des années 2000, le gouvernement a annoncé que le pays utiliserait les mangas et les animes pour améliorer l’image du Japon à l’étranger. En réponse à cette décision, les gouvernements locaux, les préfectures et les villes ont commencé à utiliser la culture pop comme une nouvelle ressource touristique qui servirait de catalyseur pour attirer les gens. Ils ont commencé à organiser des événements et des expositions et ont pensé qu’il serait bon d’avoir un établissement comme un musée consacré au manga.
Ces lieux ont ouvert un peu partout. J’ai dénombré environ 70 établissements liés aux mangas dans tout le Japon. Toutefois, la plupart d’entre eux sont consacrés à des personnages de manga populaires ou à un seul artiste. En outre, bon nombre de ces établissements reposent sur l’idée qu’un personnage ou un artiste attirera un nombre comparable de fans. Je pense que c’est une idée fausse. Par exemple, chaque volume de One Piece se vend à environ 4,9 millions d’exemplaires dans le monde. On pourrait donc penser qu’un hypothétique musée One Piece serait visité par plus de 4 millions de personnes. Il est évident que ce n’est pas le cas.
De plus, dans l’idéal, un musée du manga devrait faire toutes sortes de choses, comme organiser des événements, créer des expositions et mener des recherches. Or, sur les quelque 70 établissements spécialisés dans le manga que j’ai répertoriés, la plupart ne comptent que peu ou pas d’experts parmi leur personnel. Personnellement, je n’en connais que cinq environ qui répondent à ce critère. Il est vrai que l’on peut dire que le personnel est limité, mais le personnage ou l’artiste auquel notre musée est consacré est suffisamment populaire pour que les gens viennent de toute façon. Ce qui est vrai, dans une certaine mesure. En même temps, je crois qu’il faut se demander ce qu’ils ont d’attirant. Si nous n’avons pas de personnes qui font des recherches constantes et qui peuvent les expliquer au public, nous nous retrouverons dans une situation insoutenable. En d’autres termes, ils peuvent attirer beaucoup de monde au début, mais avec le temps, le nombre de visiteurs diminuera probablement. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas construire de tels musées. Il faut simplement qu’ils élargissent leur champ d’action.
Je suis sûr que vous avez visité de nombreux musées dans différents endroits. Quel est celui que vous préférez ?
O. T. : Dans le sens où c’est complètement différent de ce que nous faisons à Kitakyûshû (voir pp. 11-12) et dans d’autres grandes villes, les endroits qui me plaisent le plus sont ceux qui ont été créés dans de petites villes. Dans ces cas-là, j’ai la très forte impression que toute la communauté est impliquée parce qu’elle considère un certain artiste comme une sorte de trésor local. A cet égard, le Yokote Manga Art Museum, situé dans la ville de Yokote, dans la préfecture d’Akita (voir pp. 9-10), m’intéresse beaucoup. Lorsqu’il s’agit de préserver des manuscrits de manga et des œuvres d’art originales, ce musée possède une collection de 400 000 pièces et mène toutes sortes d’initiatives et de collaborations.
Un autre endroit que j’adore est le célèbre musée commémoratif Mizuki Shigeru à Sakai-
minato. Lorsqu’on visite cette ville, on découvre de nombreuses statues en bronze de personnages yôkai (voir Zoom Japon n°75, novembre 2017) dans toute la ville, et le fait que tout l’endroit soit associé à cet artiste m’a laissé une impression durable. J’avoue que je suis un peu jaloux de ce qu’ils ont accompli.
Parmi les activités d’un musée consacré au manga, il y a la recherche, la préservation des œuvres d’art et des matériaux, et les expositions. Quelle est la relation entre ces trois éléments ?
O. T. : Tout commence par la recherche. Au KKMM, nous préservons et recherchons avec soin les œuvres d’art et les publications originales. Dans le cas des mangas, c’est la partie la plus difficile, mais aussi la plus importante, car il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas comprendre à propos de ces œuvres si l’on ne dispose pas d’une bibliographie appropriée. Si la personne est suffisamment célèbre, de nombreux articles et publications sont disponibles. Pour des auteurs comme Matsumoto Leiji (ancien directeur honoraire du KKMM), par exemple, nous disposons déjà de tels documents. Mais pour les personnes moins célèbres, nous n’avons pas cette chance, c’est pourquoi nous recherchons des documents, nous les rassemblons et nous les enregistrons. Après cela, nous essayons de comprendre la nature de l’œuvre de cet artiste. Plus précisément, nous essayons d’approfondir le type de relation qu’ils entretiennent avec Kitakyûshû et la manière dont la ville a influencé leur art et leurs histoires. Actuellement, nous avons plus de 200 000 manuscrits de manga à évaluer, et nous n’arrivons pas à le faire, si bien que nous avons du mal à les trier en détail. Nous finissons par rassembler une partie du matériel dont nous disposons et nous l’exposons.
Il existe un tout autre type d’exposition de mangas : les expositions itinérantes, généralement organisées par des entreprises de presse. Ils font tout le travail : trouver un thème, obtenir l’autorisation de l’artiste ou de l’éditeur, emprunter le matériel et le proposer à des musées dans tout le pays. Il leur incombe ensuite de transporter les expositions, de les installer, de les démonter et de restituer les œuvres à leurs propriétaires, tout en s’occupant de l’aspect financier de l’événement.
Au KKMM, notre budget est limité et nous ne pouvons donc pas nous permettre d’organiser plus d’une exposition par an. Toutefois, outre les événements liés à nos recherches, nous avons récemment augmenté le nombre de collaborations avec d’autres musées spécialisés dans le manga. Parfois, nous formons une équipe dès le début et créons des choses ensemble, parfois nous empruntons des expositions à d’autres institutions, et parfois nous louons des choses que nous avons créées nous-mêmes. Lorsque nous exposons quelque chose créé par d’autres, nous recevons une liste complète des œuvres et des explications de l’autre établissement et, sur la base de cette liste, nous retournons voir l’artiste pour emprunter l’œuvre originale et l’exposer. Nous effectuons donc le même travail physique, mais nous pouvons sauter l’étape de la planification, ce qui allège considérablement la charge de travail globale. Nous avons constaté une augmentation du nombre de projets conjoints. Je pense qu’il est important que nous continuions à coopérer afin de pouvoir utiliser le travail et l’expertise de chacun.
I. Y. : Très peu de musées du manga fonctionnent actuellement comme des établissements universitaires destinés à la recherche sur le manga. Un autre musée est la Contemporary Manga Library, gérée par l’université Meiji à Tôkyô (voir Zoom Japon n°127, février 2023). Au KIMM, nous organisons bien sûr des expositions, des événements et des ateliers, mais tout commence par la recherche. Grâce à nos activités de collecte et d’étude, nous trouvons des idées pour présenter les résultats de nos recherches au grand public. Nous expérimentons sans cesse de nouvelles façons de montrer aux visiteurs à quel point les mangas sont extraordinaires. La plupart des gens s’intéressent aux bandes dessinées en lisant des livres et des magazines, mais dans notre musée, ils découvrent une autre façon de les aborder qui, nous l’espérons, est à la fois amusante et instructive.
Prenons l’exemple des produits dérivés. Comme vous le savez, le musée vend beaucoup d’articles de papeterie et de vêtements liés aux mangas. Une poupée ou un article de papeterie n’est pas une œuvre de manga, mais les fans les achètent et les collectionnent précisément parce qu’ils les aiment et qu’ils constituent un moyen différent de se rapprocher des histoires qu’ils aiment. Par ailleurs, les fans de manga lisent généralement si vite qu’ils passent souvent à côté de nombreux détails visuels, mais lorsqu’ils regardent une image originale lors d’une exposition de manga, ils ont l’occasion de ralentir et de voir tous ces détails. Cela leur permet de mieux comprendre le manga en tant que média et la manière dont la narration fonctionne dans les bandes dessinées. Nous faisons également appel à un artiste de manga qui peut expliquer ce qu’il fait et tout le travail en coulisses qui entre dans la création d’une histoire. Là encore, il s’agit d’une manière différente d’apprécier un manga. La lecture est une expérience solitaire, mais lors d’un événement au musée, les gens sont réunis pour partager leur amour des mangas.
Par exemple, nous avons un événement régulier au KIMM où nous invitons chaque année
Ueyama Tochi, auteur d’un manga culinaire intitulé Cooking Papa, publié depuis 1985. Chaque fois, il prépare devant les visiteurs certains des plats qui apparaissent dans ses histoires. Les fans peuvent ainsi goûter et sentir les aliments et voir comment ils sont cuisinés. C’est quelque chose qui est à la fois complémentaire et qui va au-delà de l’acte de lire un manga.
A quoi ressemble, selon vous, une exposition de mangas idéale ?
O. T. : Il y a deux façons de procéder. La première consiste à se concentrer sur le charme de l’œuvre originale elle-même. Si vous connaissez déjà l’artiste ou son travail, vous avez la possibilité d’admirer ses dessins originaux et de vous émerveiller de leur beauté. D’un autre côté, il peut être difficile de comprendre ce qu’ils ont d’extraordinaire, ou à quel point ils sont techniquement merveilleux. Le travail de l’organisateur consiste donc à s’assurer que l’exposition fournisse les meilleures explications sur ce que les visiteurs voient. Comme vous pouvez l’imaginer, ce type d’exposition a une grande importance pour les fans, car c’est l’occasion pour eux de découvrir quelque chose qu’ils ne connaissaient pas à leur sujet et de s’immerger dans leur univers.
D’autre part, il y a des expositions où le public ne sait rien du sujet ou du thème. Dans ce cas, nous cherchons à mettre en valeur la méthode, le style et l’approche de la narration d’un artiste, à montrer à quel point un manuscrit de manga est étonnant ou à quel point son style de dessin et d’écriture est unique. Dans d’autres cas, nous pouvons souligner le fait qu’un manuscrit est le fruit du travail d’une équipe de six personnes et expliquer la contribution de chacun à l’histoire. Cela peut prendre la forme d’une dissection technique ou d’une explication du fonctionnement de leur système ; tout ce qui peut nous aider à comprendre plus profondément le processus de fabrication d’un manga.
L’un des problèmes que nous devons invariablement résoudre lorsque nous organisons une exposition est de savoir comment expliquer au mieux toutes ces choses. Nous n’avons pas beaucoup d’espace disponible et nous devons donc trouver un moyen de transmettre ce type d’informations en quelques phrases courtes.
Pour moi, l’exposition idéale présente les questions sociales et les aspects culturels de l’époque où un artiste était actif ou bien où une certaine œuvre a été publiée. Elle met également en avant les œuvres qui ont précédé et peut-être influencé un manga particulier, ou qui ont été publiées dans le même magazine à la même époque. Tout ce qui peut être utile pour brosser un tableau plus large de l’époque et du climat culturel dans lequel un manga a été créé. En montrant le contexte plus large et plus profond d’une œuvre d’art, on aide les amateurs de manga à comprendre pourquoi ce qu’ils ont devant les yeux est si intéressant.
I. Y. : Lorsque vous lisez un manga dans un livre ou sur une tablette ou un smartphone, vous n’avez besoin que d’un petit espace pour l’apprécier. Un musée, en revanche, vous permet d’apprécier n’importe quel sujet dans un grand espace. Nous devons donc trouver des moyens d’utiliser cet espace à notre avantage pour offrir au public une expérience unique. Par exemple, les images qui paraissent si petites dans un livre peuvent être agrandies et imprimées en grand. C’est toujours amusant lorsque les gens regardent quelque chose qu’ils connaissent bien d’un point de vue différent. Par ailleurs, comme je l’ai dit, nous organisons des expositions basées sur la recherche. Ainsi, un musée devient l’endroit où nous présentons des bandes dessinées que les gens n’ont jamais vues, comme les bandes dessinées françaises ou africaines.
Au Japon, le nombre d’expositions de bandes dessinées a considérablement augmenté ces derniers temps. D’après mes estimations, il y a environ 170 ou 180 expositions par an. Dans environ 60 % des cas, il s’agit de dessins originaux encadrés et de manuscrits. J’ai l’impression que la plupart de ces expositions sont organisées par les éditeurs comme une sorte de service rendu aux fans. Par conséquent, elles portent principalement sur des œuvres populaires et des dessinateurs célèbres, et elles sont très majoritairement fréquentées par leurs admirateurs.
Ce n’est pas que ces expositions ne soient pas intéressantes, bien au contraire. C’est juste qu’elles constituent une sorte de rituel ou d’événement au cours duquel les fans réaffirment leur amour pour les œuvres exposées. En ce sens, ils ne “voient” pas vraiment ce qui est exposé. Ils n’ont pas non plus l’occasion de vivre des événements sur des artistes et des œuvres de manga qu’ils ne connaissent pas.
De nos jours, Internet regorge de mangas, et j’ai entendu dire que ce support était également utilisé dans les expositions de mangas. Que pensez-vous de ce phénomène ?
I. Y. : Le KIMM est spécialisé dans la collecte de matériel et de documents anciens liés aux mangas. Plus précisément, nous avons beaucoup d’ukiyo-e (estampes) de la période Edo (1603-1868) et des documents de l’ère Meiji (1868-1912) et de l’ère Taishô (1912-25). Nous avons également des documents d’après-guerre, mais d’autres établissements possèdent des collections similaires à partir de la fin des années 1940, c’est pourquoi nous nous concentrons sur les documents plus anciens.
Comme vous l’avez dit, de nombreux mangas récents ne sont réalisés que sous forme numérique et ne sont pas imprimés sur papier. En effet, les webtoons (bandes dessinées numériques publiées sur une longue bande verticale, plus facile à lire sur un smartphone ou un ordinateur) sont très populaires aujourd’hui. J’avoue que je n’ai pas fait beaucoup de recherches dans ce domaine, mais un nombre croissant d’experts consacrent leur temps à les étudier, et je m’attends donc à ce que de plus en plus d’expositions soient consacrées au support numérique à l’avenir.
O. T. : A Kitakyûshû, nous continuons à développer cet aspect de la production de mangas. Comme je l’ai dit précédemment, nos expositions ont tendance à se concentrer sur les coulisses de la fabrication des mangas et, en ce sens, les manuscrits originaux sont les plus faciles à utiliser comme objets d’exposition. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’il existe actuellement une méthodologie bien établie en matière de manga numérique. Certaines choses sont un peu difficiles à imaginer lorsque ce que vous avez devant vous n’est qu’une impression de données d’image ou un moniteur. Je pense qu’il serait amusant d’aborder de telles expositions en employant une méthode où quelqu’un prendrait des photos du processus d’écriture numérique à différents moments. Bien sûr, ce n’est pas une méthode qui peut être utilisée tout le temps, car elle est limitée aux cas où l’artiste a laissé de telles traces.
Cela dit, le support numérique offre un potentiel considérable, et la Corée du Sud a fait beaucoup de choses dont nous pouvons nous inspirer. Sur Internet, les bandes dessinées à défilement vertical sont populaires en Corée du Sud où un musée consacré à ce genre, le Busan Webtoon Center, a ouvert. Je collabore chaque année avec le festival de webtoon et j’ai pu constater la créativité avec laquelle ils organisent leurs expositions, par exemple en imprimant des images des œuvres et en les collant sur les murs, au plafond et à d’autres endroits de la salle d’exposition. L’utilisation d’images agrandies donne l’impression d’être à l’intérieur de l’œuvre, ce qui permet d’expérimenter la vision du monde de l’artiste avec des résultats très intéressants. En d’autres termes, ce qui rend ces expositions si attrayantes, c’est la manière dont elles abordent la conception de l’espace.
L’association d’images et de musique est également testée à Busan. On demande à un artiste de dessiner une illustration d’un magnifique paysage de Busan la nuit, puis à un musicien de composer un nouveau morceau inspiré de cette image.
Au Japon, je crains qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Si nous n’améliorons pas nos compétences, je pense qu’il sera difficile de créer des expositions numériques attrayantes.
Parmi les expositions organisées par votre musée jusqu’à présent, y en a-t-il une dont vous êtes particulièrement fier ?
O. T. : L’exposition qui m’a le plus impressionné est celle consacrée à Morohoshi Daijirô en 2021. Il s’agissait d’un type d’exposition plutôt inhabituel, dans lequel le dessinateur de manga présentait les mythes, les légendes et les documents historiques qu’il incorpore dans ses œuvres. Morohoshi a publié des mangas tels que Yôkai Hunter, Ankoku Shinwa et Kôshi Ankokuden. Il est célèbre pour avoir basé ses histoires sur l’histoire ancienne, la mythologie et le folklore. Dans cette exposition particulière, des documents historiques et des œuvres d’art originales ont été combinés pour créer un monde semi-fictionnel où l’on ne sait pas où finit la réalité et où commence la fiction. Le résultat était très intéressant et a suscité de nombreuses réactions.
Bien sûr, j’aime personnellement l’artiste lui-même, mais je pense aussi qu’il a montré de nouvelles possibilités dans cette exposition de mangas. En montrant comment ses œuvres sont nées, il a créé non pas un contexte historique typique, mais un réseau dense et complexe d’histoire, de mythes, de légendes et de contes de fées. Pour comprendre quel type de référence a été utilisé pour transmettre une certaine histoire, il est nécessaire de fournir des matériaux réels comme ceux liés à l’histoire et aux mythes auxquels les œuvres de Morohoshi font référence. Par exemple, il écrit beaucoup de bandes dessinées qui traitent d’archéologie, nous avons donc emprunté les faïences et les matériaux de fouille réels qui apparaissent dans ses œuvres. Il a également réalisé un manga basé sur La Pérégrination vers l’Ouest, un roman chinois publié au XVIe siècle (voir Zoom Japon n°136, décembre 2023 – janvier 2024), et nous avons donc exposé un vieux parchemin lié à ce type de mythologie chinoise.
Outre l’examen de ces documents historiques et des manuscrits originaux, le musée disposait d’un coin où les visiteurs pouvaient lire librement les livres de Morohoshi, afin de comparer les œuvres finies avec le processus créatif de l’auteur. Il est toujours intéressant de voir comment quelqu’un invente une histoire aussi peu conventionnelle en se basant sur ce contexte historique.
Comment voyez-vous l’avenir des musées consacrés au manga ?
O. T. : En ce qui concerne les projets, notre musée étudie les moyens de créer les conditions permettant aux auteurs locaux d’atteindre un certain niveau de promotion économique, par exemple en attirant des maisons d’édition. En outre, au cours des dix dernières années, nous avons rassemblé beaucoup de choses, et j’aimerais donc renforcer la diffusion de l’information. Plus précisément, j’aimerais publier une liste des documents en notre possession sous la forme d’une base de données. Il existe déjà un système qui permet aux utilisateurs de rechercher ces documents en ligne, mais l’organisation et la présentation de toutes ces informations prennent du temps. Outre les mangas, nous avons collecté de nombreux articles de journaux et de magazines, de sorte que notre base de données devient également un site pour ceux qui veulent faire des recherches sérieuses.
En résumé, en tant qu’établissement culturel destiné au grand public, nous avons atteint un certain niveau de reconnaissance et de réussite, mais j’aimerais renforcer la communication et la collaboration au niveau de la recherche. De cette manière, je pense que nous pouvons créer un système qui approfondira notre interaction avec d’autres musées et créera des opportunités pour plus d’expositions. C’est notre prochain défi.
I. Y. : Depuis une dizaine d’années, les personnes impliquées dans ces musées, dont je fais partie, ont mis en place des réseaux pour connecter toutes ces installations. Notre objectif est de surmonter les limites physiques d’un musée. Le KIMM, par exemple, possède quelque 300 000 livres. Ce chiffre peut paraître énorme, mais si l’on considère qu’aujourd’hui plus de 10 000 titres sont publiés chaque année au Japon, on se rend compte que même 300 000 volumes ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. Il est évident qu’il serait difficile, voire impossible, de rassembler tous les mangas en un seul endroit. C’est pourquoi nous aimerions créer une sorte de système muséal à l’échelle nationale par le biais d’un réseau composé de divers établissements, de collectionneurs individuels et d’autres personnes intéressées par les mangas. Ce réseau permettra à chaque membre de partager des informations et de prêter ou d’emprunter facilement des documents grâce à une base de données en ligne. C’est notre objectif principal et je m’efforce actuellement d’accroître mes contacts à cette fin. Nous travaillons avec des musées d’art, pensant qu’il serait formidable de collaborer avec eux et de créer quelque chose comme un musée japonais du manga.
Propos recueillis par G. S.