Le souvenir de l’accident de Fukushima a été ravivé à l’occasion du séisme. Mais l’installation locale a tenu bon.
A la nouvelle du très fort séisme du 1er janvier, la réaction de beaucoup de Japonais a été de se demander si la centrale nucléaire, qui se trouve à proximité, avait résisté au choc. Le grand tremblement de terre de mars 2011 dans la région du Tôhoku, à l’origine de la catastrophe nucléaire de Fukushima, est encore dans toutes les têtes. 70 kilomètres est la distance qui sépare la centrale nucléaire de Shika, gérée par la compagnie d’électricité Hokuriku Denryoku, de l’hypocentre du séisme. Cela peut sembler une distance rassurante, mais la complexité des phénomènes sismiques fait que c’est en fait précisément dans la région de Shika, au sud-ouest de la péninsule de Noto, que l’intensité sismique (mesurée à 2 828 gal, soit proche de celle mesurée le 11 mars 2011) a été la plus forte. C’est une jolie campagne, connue entre autres pour ses kaki séchés, où de vastes plaines alternent avec des zones de montagnes.
Le petit port de pêche d’Akasumi qui se trouve lové dans une crique à seulement un kilomètre de la centrale, est composé d’une centaine de maisons en bois aux toits de tuiles noires typiques de Noto et d’un minuscule bureau de poste. Le village n’a pratiquement pas été endommagé par le séisme, toutes les maisons tiennent encore debout et seuls quelques murs de parpaings se sont effondrés. “C’est parce que le sol est stable par ici”, affirme la seule employée de la Poste. Rencontrée le long du port, Kawabata Kyôko, une femme frêle de 71 ans, masque sur le visage et lunettes recouvertes de buée, raconte pourtant les terribles secousses. Elle se trouvait avec la famille de son frère, un ancien employé de la centrale, ses enfants et petits-enfants, et discutait des préparatifs du dîner du soir quand tout a commencé à trembler. “C’était terrifiant, jamais je n’avais connu cela, les objets tombaient de partout, mais j’ai surtout eu peur quand j’ai constaté, une fois les secousses calmées, que tous les enfants avaient disparu !” Ils s’étaient en fait glissés, comme ils l’apprennent à l’école, sous des tables basses ou dans des recoins pour se protéger des chutes d’objets. “Ils attendaient pour sortir qu’on vienne les chercher !” dit-elle en riant. A-t-elle eu des craintes à l’égard de la centrale ? “Oh non, elle est à l’arrêt depuis 2011, donc on n’avait rien à craindre”, réagit-elle d’un ton assuré. Comme il n’y a toujours pas d’eau dans le village, elle s’est réfugiée avec la famille de son frère dans le centre d’hébergement provisoire réservé aux employés de la centrale. “On y est très bien traité”, confie-t-elle avec un sourire.
Comme de nombreuses communes accueillant des centrales nucléaires au Japon, l’agglomération de Shika a bénéficié des mânes de l’atome et, par conséquent, de bâtiments publics plus luxueux que ceux des municipalités environnantes. Ainsi le tout petit village de Fukui, au sud de Shika, est doté d’un confortable centre communautaire qui fait office de bain public et de salle de réunion, il a été transformé en refuge provisoire pour sinistrés au lendemain de la catastrophe.
Maekawa Satoru, 64 ans, et chef du village en est de fait le responsable, mais aussi l’un des bénéficiaires puisque sa maison a été détruite. Vingt rescapés y sont hébergés, dont 80 % de personnes très âgées. Des cas de Covid étant apparus dans le centre, comme dans de nombreux refuges de la péninsule, masques, relevés de température et désinfection des mains sont obligatoires pour y accéder. L’accueil est assuré par des fonctionnaires de la préfecture d’Aichi venus prêter main-forte à Noto.
M. Maekawa veille aux conditions de confort et d’hygiène des résidents et insiste par exemple que le centre soit aéré de façon très régulière. Un des problèmes majeurs auxquels fait face le Japon, lors de désastres naturels, est en effet celui des décès indirects, essentiellement de personnes âgées ayant survécu, par exemple à la destruction de leur maison, mais qui meurent des suites des conditions de vie difficiles dans les centres d’évacuation. Maladies infectieuses dues à la promiscuité, nourriture inappropriée, manque de soins, perte de repères, ajoutés au terrible choc d’avoir perdu des proches ou de voir sa maison détruite, coûtent malheureusement la vie à de nombreuses personnes déjà fragiles.
Dans une grande pièce en tatamis bien chauffée, qu’elle partage avec une seule autre dame et qui offre une vue sur un jardin, Horita Shizuko, 85 ans, semble trôner sur le vaste lit fait de cartons où elle est assise face à un grand écran de télévision. Sa maison s’est effondrée le 1er janvier sous la violence des secousses, elle s’est réfugiée sous le kotatsu pour se protéger et par chance son petit-fils, qui était venu lui rendre visite pour le Nouvel an, a pu l’aider à sortir des décombres et à trouver refuge. “Le plus difficile est de ne pas savoir jusqu’à quand je vais devoir rester ici”, dit-elle, encore visiblement choquée.
“Notre centre est privilégié par rapport aux autres”, reconnaît M. Maekawa, il possède même une serre dans le jardin qui permet d’accueillir des animaux de compagnie. Nombreux sont ceux à Noto qui préfèrent en effet passer la nuit dans leur voiture avec leur animal de compagnie, plutôt que de rejoindre un centre d’évacuation où les animaux sont en règle générale interdits.
Le responsable du village retrace les semaines épuisantes qu’il vient de vivre avec tout d’abord l’afflux de réfugiés juste après le séisme, bien au-delà des capacités du centre, car de nombreuses familles se trouvaient réunies pour la nouvelle année. Les inquiétudes liées à la centrale ont été rapidement levées. “Nous avons été prévenus rapidement que tout risque était écarté, et comme la centrale est à l’arrêt depuis 2011, il n’y avait pas de dangers majeurs”, rapporte-t-il d’autant qu’un long mur anti-tsunami y a été ajouté après la catastrophe de Fukushima. Ensuite, il a fallu gérer les pénuries d’eau, d’électricité et de nourriture et s’assurer que chacun dans le village avait trouvé refuge. Il juge de façon sévère le travail des autorités et la confusion dans l’organisation des premiers secours. “J’ai l’impression qu’ils n’ont rien appris de la catastrophe de 2011”, dit-il sèchement. Ainsi les équipes de médecins ne sont-elles pas coordonnées et viennent en trop grand nombre. Il y a celle du DMAT (Diimatto, le service des secours médicaux en cas de catastrophes), de la préfecture, de la ville. “Je passe mes journées à les renvoyer !” se plaint-il. Le centre a également reçu la visite de nombreux politiciens locaux qui profitent de l’occasion pour faire campagne. “Ils viennent les mains vides, mais je suis sûr que c’est l’un d’eux qui nous a refilé la Covid !”, gronde-t-il.
Comme un mois après la catastrophe il n’y a toujours pas d’eau à Noto, les réfugiés du centre ainsi que les habitants des villages voisins doivent pour se laver se rendre dans un onsen (source thermale d’eau chaude) du centre-ville de Shika qui fait office de bain public. De très longues queues se forment chaque soir pour récupérer un seiriken, un ticket d’entrée valable pour le lendemain, à une heure déterminée. Dans certains bourgs de montagne, la solidarité villageoise s’organise, les hommes s’attellent à la corvée d’eau potable, ils se rendent aux sources et chargent leurs camionnettes de bidons qu’ils distribuent ensuite au village. Au bord de la route qui longe le rivage vers le nord, nombreux sont ceux qui, à la faveur d’une accalmie des précipitations, grimpent sur leurs toits endommagés afin de les recouvrir de bâches de plastique bleue qu’ils lestent avec des sacs du sable ramassé sur les plages. La plupart des Japonais n’ont pas d’assurance contre les séismes, les primes sont exorbitantes, et comme l’aide du gouvernement pour reconstruire sa maison en cas de catastrophe naturelle est plafonnée à 3 millions de yens (18 000 euros), cela ne suffira pas pour réparer les dégâts d’un tel séisme.
C’est le long de la mer du Japon, au nord de la commune de Shika que se trouve une attraction touristique majeure de la péninsule, la côte de Noto Kongo, qui s’étend sur une vingtaine de kilomètres, et dont le site le plus célèbre est la formation rocheuse de Ganmon (la porte de roche). Développés durant la période de haute croissance des années soixante pour le tourisme domestique de masse alors en expansion, nombre de ces sites étaient déjà en perte de vitesse, le séisme du 1er janvier pourrait bien leur avoir porté le coup de grâce. Glissements de terrain, éboulements, chute d’arbres et de rocher ont défiguré la côte, tandis que de nombreuses installations touristiques sont à terre. Plus au nord, en direction de Wajima, un autre site touristique majeur a lui aussi beaucoup souffert : le Sôji-ji qui était autrefois l’un des temples les plus importants du bouddhisme Zen au Japon. Fondé en 1321 il était l’un des deux temples principaux de l’école Sôtô et supervisait plus de 16 000 temples à travers le pays, jusqu’à ce que sa fortune décline. Nombreux bâtiments du temple et de la ville qui l’entoure se sont effondrés. Le tourisme dans la ville de Wajima rimait lui avec l’artisanat traditionnel de la laque (Wajima-nuri), produite à Noto depuis des siècles et transmis de génération en génération. Il a été particulièrement touché par le séisme, entre 70 et 80 % des ateliers et maisons des quelque mille artisans de Wajima-nuri auraient été détruits. C’est une industrie vieillissante, ces artisans hautement spécialisés divisent le travail en plus de 100 processus différents, et la disparition d’une seule étape entraînerait l’arrêt complet de la production.
Si la centrale de Shika a tenu bon, les autres secteurs clés de l’économie locale comme la pêche, l’agriculture et l’exploitation forestière ont, à l’instar du tourisme, été dévastés. Et la reconstruction de cette région vieillissante sera difficile car les infrastructures – routes, lignes électriques et canalisations d’eau – sont très endommagées. “Nous ne pourrons pas réparer ces dégâts en trois ou quatre ans”, a estimé à la presse locale Hase Hiroshi, le gouverneur d’Ishikawa. Alors que la péninsule de Noto panse ses blessures, de majestueux cygnes venus de Sibérie sont de retour pour l’hiver dans les plaines de Shika, comme si de rien n’était.
E. R.