Si les habitations y ont moins souffert en apparence, le séisme a fortement endommagé les infrastructures agricoles.
Tôme, district perché dans les montagnes d’Oku-Noto, est une succession d’étroites vallées recouvertes de rizières en terrasse, les maisons sont éparpillées le long de cours d’eau et de forêts de hêtres et de conifères. Les habitations, imposantes bâtisses en bois, témoignent de la richesse passée de ce grenier à riz. Le long de la route qui y mène, le paysage varie du tout au tout, certains villages très endommagés, maisons effondrées et routes défoncées, semblent abandonnés, d’autres paraissent avoir été épargnés par les forces telluriques.
Tôme donne de prime abord l’impression d’avoir tenu bon, ses belles fermes traditionnelles sont intactes et leurs lourds toits de tuiles noires ruissellent sous la pluie glaciale. La région est normalement en hiver recouverte d’une épaisse couche de neige mais, ici aussi, le réchauffement climatique bouleverse la donne : il y a cette année très peu de neige à Noto, elle alterne avec des épisodes de pluies qui la font fondre. Plus en avant dans le village cependant, un pan entier de montagne s’est affaissé et le glissement de terrain a emporté des pylônes électriques. Tôme se trouve donc sans électricité mais aussi, comme toute la péninsule, privé d’eau, les secousses ayant endommagé les conduites ainsi que les stations de pompage et d’épuration.
Shûden Katsuyoshi, un riziculteur de 70 ans, que Zoom Japon avait rencontré il y a deux ans (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021) assure la responsabilité de l’un des deux centres d’hébergement provisoire que compte le village. C’est l’heure du déjeuner, des tables basses sont alignées sur les tatamis de la grande pièce principale. Boules de riz onigiri, légumes marinés tsukemono et thé vert en bouteilles de plastique sont partagés par une quinzaine de personnes tenues au chaud par un poêle à kérosène, l’ambiance est détendue.
Les deux centres hébergent environ 70 personnes. Certaines d’entre elles habitant dans des parties reculées du district ont dû être évacuées par hélicoptère juste après le séisme, car les routes menant à leurs hameaux avaient été détruites par des glissements de terrain. Ce sont les Forces d’autodéfense qui ont procédé à l’évacuation afin de regrouper les habitants et faciliter l’organisation des secours et la distribution de vivres. Mme Hashizume, une vieille dame qui perd un peu la tête et semble heureuse d’être si bien entourée dans son logis provisoire, raconte son aventure. “Je n’ai pas eu du tout peur de prendre l’hélicoptère, c’était comme monter dans une voiture !” dit-elle fièrement.
Trois semaines se sont écoulées depuis le séisme. Shûden-san, tout à l’organisation du centre, n’a pas eu le temps de souffler, la fatigue se fait sentir. La première semaine a été la plus difficile, sans eau, sans électricité, et avec l’afflux d’un grand nombre de sinistrés. “Heureusement ici, on a du riz”, lance-t-il. Une fois la machine des secours mise en marche, et les familles venues pour le Nouvel an reparties, les conditions de vie se sont peu à peu améliorées. Le centre a été doté de toilettes chimiques, une compagnie privée est venue installer des antennes satellites pour recevoir la télévision, et surtout des groupes électrogènes qui assurent l’approvisionnement en électricité du centre ont été installés par des employés de la préfecture de Wakayama venus en renfort. “Nous n’aurions jamais pu nous en sortir sans eux, 60 % des habitants de la commune sont des gens âgés”, explique-t-il.
Lorsque le tremblement de terre a frappé, le riziculteur se trouvait en famille en train de jouer avec ses petits-enfants, le plus jeune d’entre eux endormi. Le père du petit a eu le réflexe de se jeter sur son berceau afin de le protéger et malgré le bruit effroyable provoqué par les très fortes secousses, les bris de verre, la chute du crépi des murs, le bébé ne s’est pas réveillé et la superbe maison de famille, une immense bâtisse en bois construite à la fin de l’ère Meiji (1868-1912), a tenu bon. Tous ont passé les trois premières nuits dans les voitures en contrebas de la maison, le moteur pouvant tourner, car il ne neigeait pas. Le téléphone, qui par chance a continué à fonctionner, a permis aux villageois de s’organiser.
L’avantage d’être dans les montagnes, c’est qu’il y a des sources, l’approvisionnement du village en eau s’est donc rapidement mis en place et a rappelé aux anciens leur jeunesse, lorsque la corvée d’eau faisait partie du quotidien et que les longs mois d’hiver s’écoulaient à confectionner des pièges pour attraper renards et lapins, à réparer les outils de la ferme, à cultiver des champignons shiitake ou à fabriquer du charbon. Si toutes les habitations de Tôme ont résisté aux secousses sismiques, y compris la majestueuse demeure de la famille Nakatani, monument historique de l’époque d’Edo (1603-1868), il n’en est pas de même des rizières, la principale ressource du district. “Nous n’avons pas encore eu le temps d’évaluer tous les dégâts, mais le réseau d’irrigation a été endommagé, les terrassements se sont effondrés à de nombreux endroits, des bâtiments de ferme et du matériel ont été abîmés. Le travail dans les rizières débute normalement en avril, mais cela va être très difficile de tout reconstruire d’ici là”, confie Shûden Katsuyoshi. “Et puis le manque de neige est mauvais pour la culture du riz, contrairement à la pluie qui draine les sols, le manteau de neige les protège et leur permet de se reposer”, ajoute-t-il.
Avec une dizaine d’autres petits producteurs de riz, il a fondé, il y a quelques années, une coopérative, dont le symbole est une libellule rouge, afin de développer l’appellation riz de Tôme et promouvoir la culture locale. Ils organisent des séjours à la ferme, ont établi un petit musée des pratiques agraires, et fidélisent les clients en leur envoyant des légumes bio et des plantes sauvages. Ils ont également le projet de rénover une maison ancienne afin de pouvoir accueillir dans le village les visiteurs intéressés par le tourisme vert. Mais tous ont déjà passé l’âge de la retraite et ces projets avancent très lentement. Comme l’aide individuelle du gouvernement en cas de tremblement de terre n’est que de 3 millions de yens (18 000 euros), beaucoup de gens âgés n’auront pas la force de reconstruire. “Ils préféreront quitter les villages et rejoindre leurs familles en ville”, prédit l’agriculteur. “Moi, je souhaite relancer les projets de développement du district qui me tiennent à cœur, mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de jeunes ici”, soupire-t-il d’un air triste.
E. R.