Pour ceux qui souhaitent “renaître”, les Yamabushi de la préfecture de Yamagata sont prêts à vous aider.
Que diriez-vous de renaître dans les montagnes reculées du Tôhoku lors de votre prochain voyage au Japon ? C’est désormais possible, grâce aux mystiques adorateurs des montagnes connus sous le nom de Yamabushi (voir Zoom Japon n°29, avril 2013). Un récent message publié sur la page Japangov du gouvernement japonais indique que les Yamabushi “recherchent depuis longtemps des pouvoirs surnaturels et l’illumination grâce à un entraînement ascétique dans les montagnes”.
Les Yamabushi parcourent les montagnes du Japon depuis plus de 1 400 ans. Traditionnellement, ils quittaient leur communauté pour s’immerger dans les montagnes sauvages. Là, grâce à une autodiscipline extrême et à un entraînement intensif, ils obtenaient des pouvoirs spéciaux, appelés genriki, qu’ils pouvaient ensuite utiliser pour aider les autres. Ces pouvoirs comprenaient la capacité de guérir les autres, d’exorciser les démons, de communiquer avec les kami (divinités) pour obtenir de l’aide, et de conserver une bonne santé jusqu’à un âge avancé.
L’histoire des Yamabushi et de leurs retraites dans les montagnes remonte au VIIe siècle. De nombreuses sources suggèrent que tout a commencé avec le mystérieux magicien des montagnes, En no Gyôja (634-700). Ce personnage haut en couleur est ensuite devenu un kami à part entière.
Néanmoins, l’adoration des montagnes existe au Japon depuis des temps immémoriaux, à une époque où les gens ne considéraient pas seulement les montagnes comme des lieux saints où résidaient les kami. Ils croyaient que les montagnes elles-mêmes étaient des divinités. En no Gyôja est également souvent considéré comme le fondateur du shugendô (un mélange syncrétique de shintoïsme, de bouddhisme, de culte de la nature et de magie taoïste), qui est devenu la religion des Yamabushi. Leurs pratiques étaient très secrètes. Aujourd’hui encore, les Yamabushi sont tenus de garder le secret sur certains aspects de leur entraînement.
A l’époque du Japon classique (710-1185), les Yamabushi proliféraient dans les montagnes du pays. Aujourd’hui, seules quelques poches isolées subsistent, en particulier autour du mont
Yoshino et des sanctuaires de Kumano à Wakayama (voir Zoom Japon n°43, septembre 2014), et de Dewa Sanzan (littéralement les trois montagnes de la province de Dewa), dans la préfecture de Yamagata, dans le Tôhoku, au nord-est de l’archipel. Le Tôhoku est une région sauvage et isolée, dominée par des montagnes escarpées, des forêts denses et d’importantes chutes de neige, idéale pour s’immerger dans la nature. C’est le Japon qu’a exploré le maître du haïku, Matsuo Bashô, dans son classique La Sente étroite du Bout-du-Monde (1694), lorsqu’il a quitté Edo à la recherche de sa propre illumination.
Le statut sacré des trois montagnes de Dewa –les monts Haguro, Gassan et Yudono – remonte à 593 de notre ère, lorsque le prince Hachiko a fui Kyôto, alors capitale du Japon, à la suite de l’assassinat de son père, l’empereur Sushun. Le prince Shôtoku, neveu de l’empereur (voir Zoom Japon n°123, septembre 2022), conseilla à Hachiko de fuir vers le mont Haguro où, lui assura-t-il, il rencontrerait la déesse de la compassion, Kannon.
Naviguant vers le nord le long de la mer du Japon, Hachiko fut attiré sur le rivage par des sirènes bienveillantes. Elles lui conseillèrent de se diriger vers l’est. Au milieu d’une épaisse forêt, un corbeau à trois pattes guida Hachiko vers le mont Haguro. Là, comme l’avait prédit le prince Shôtoku, Kannon apparut à Hachiko. Ce dernier construisit des sanctuaires sur chacun des trois pics, comme centres de pratiques ascétiques pour honorer les kami de la montagne. Par gratitude envers la population locale, il consacra le reste de sa vie à l’aider.
Un jour, alors qu’une épidémie décimait la communauté agricole locale, Hachiko s’est retiré et a médité pendant 100 jours. Il eut la vision que la peste pouvait être éradiquée en construisant un grand feu. Il partagea cette vision avec la population, laquelle construisit une énorme effigie d’un démon et la brûla. La peste s’est arrêtée. Dewa Sanzan est ensuite devenu un lieu de pèlerinage très fréquenté.
Le symbolisme de la vie, de la mort et de la renaissance est omniprésent à Dewa Sanzan. Le mont Haguro représente le passé, le mont Gassan le présent et le mont Yudono l’avenir. Durant l’ère Edo (1603-1868), la croyance selon laquelle la vigueur de la jeunesse pouvait être maintenue grâce au shugendô s’est répandue. La randonnée sur les trois montagnes était connue sous le nom de “pèlerinage de la renaissance”.
“Pour les Yamabushi, pénétrer dans le rude environnement naturel de ces montagnes symbolise la mort de leur moi terrestre. C’est pourquoi ils portent des robes blanches, ou shiroshozoku, qui sont traditionnellement utilisées pour habiller les morts”, explique Yamabushi Kazuhiro, maître Yamabushi et guide à Dewa Sanzan. “Après s’être unis à l’esprit de la montagne, ils en ressortent renés et éclairés.”
En 2018, le Haguro Yamabushi a commencé à proposer des programmes de formation au public, reproduisant bon nombre des rigueurs des pratiques traditionnelles des Yamabushi, notamment la méditation sous une cascade jaillissante, la marche sur des charbons ardents et la randonnée vers des lieux sacrés sur les trois sommets.
Le concept d’uketamo est au cœur du programme. Signifiant littéralement “j’accepte”, c’est le seul mot que vous êtes autorisé à prononcer pendant la randonnée. Le reste du temps, le silence règne. Cela favorise non seulement l’attention au moment présent, mais aussi l’acceptation. Aussi difficile que cela puisse paraître, l’uketamo vous aide à transcender vos modes de pensée et d’action habituels et à vous concentrer sur le moment présent plutôt que sur l’avenir. L’utilisation de montres et de téléphones portables est également interdite.
Si la randonnée à haute intensité et les chutes d’eau glacées ne vous conviennent pas, n’ayez crainte ! Les Yamabushi ont récemment introduit un nouveau programme appelé Three Peaks Reset Training qui propose une approche à votre rythme, tout en incluant des randonnées guidées par des Yamabushi locaux et des maîtres zen sur les trois sommets de Dewa Sanzan.
En quoi ce programme diffère-t-il des autres ? “Ce programme est assez polyvalent. La méditation sous cascade (misogi) n’est pas incluse dans le programme, mais elle peut être ajoutée si les participants estiment que c’est quelque chose dont ils ont besoin pour leur entraînement. De même, la règle de l’uketamo n’est pas obligatoire pour ce programme”, explique Rick “Doan” Erdman, formateur de Yamabushi à Dewa Sanzan. “De plus, nous adaptons le programme en fonction de ce que chaque participant peut supporter à ce moment-là. Ainsi, nous pouvons les emmener à différents endroits importants de la montagne”.
En résumé, le programme Reset est conçu pour vous permettre de découvrir la nature profonde et les sites sacrés de Dewa Sanzan, en préservant l’essence de l’entraînement authentique des Yamabushi, mais à un rythme que vous pouvez supporter. “Retour à la nature, retour à soi-même”, comme le proclame la devise des Yamabushi.
La randonnée commence au grand torii rouge au pied du mont Haguro. Comme tous les portiques, il marque l’entrée d’une terre sacrée où vivent les kami. Du haut de ses 414 mètres, Haguro – la montagne qui représente le présent – est le seul sommet à rester ouvert toute l’année, alors que les deux autres montagnes, plus hautes, passent l’hiver enneigées. Haguro abrite une splendide pagode en bois de cinq étages – 30 mètres de haut – qui s’élève au milieu des arbres comme un élément naturel de la forêt. Un spectaculaire escalier de 2 446 marches en pierre (environ 1,7 km) mène ensuite au sommet. Le chemin, datant de 1648, est bordé de 580 cèdres, dont certains ont plus de 600 ans.
Plongé dans un silence absolu au milieu de ces arbres magnifiques, les seuls bruits sont le vent dans les arbres, le chant des oiseaux et le bruit de vos propres pas. C’est bien plus qu’un simple bain de forêt. C’est comme un escalier vers le paradis.
Le silence renforce la concentration et la conscience de l’environnement. Bientôt, les préoccupations insignifiantes et les bavardages bruyants qui encombrent habituellement votre esprit sont remplacés par un bien-être serein. Comme le dit Maître Yoshino, 76 ans, Yamabushi de la 13e génération et chef du Haguro Yamabushi, “nous nous abandonnons à la nature, nous faisons de la place dans notre esprit”.
Enfin, vous arrivez au sanctuaire Sanjin Gôsaiden, où les divinités des trois montagnes sont enchâssées, ce qui en fait un lieu hautement sacré. Le mont Gassan, le deuxième sommet, est le plus haut et le plus imposant des trois montagnes, avec ses 1 984 mètres. Une longue crête relie Gassan aux deux autres pics, offrant de superbes vues sur la campagne environnante. Le mont Gassan, la montagne de la lune, représente le passé, où reposent les esprits des ancêtres. Vous traversez donc symboliquement le pays des morts sur le chemin de la renaissance.
Le point culminant de la randonnée est le mont Yudono, la montagne de 1 504 mètres, le plus sacré des trois sommets. Comme Yudono représente l’avenir, c’est aussi la montagne de votre renaissance. A mi-chemin, on arrive à un rocher cuivré d’où jaillissent des eaux de source chaude. Cet endroit est tellement sacré qu’aucune photo n’est autorisée. Il est même interdit de parler en détail de ce que vous avez vu au sanctuaire. Comme l’a écrit Bashô :
“Au mont Yudono, partout l’on marche sur l’argent, et coulent les larmes”.
Ce que l’on peut dire, c’est que le mont Yudono abrite une chute d’eau spectaculaire qui se jette dans un bassin rocheux en contrebas. C’est là que l’on vous demandera de vous tenir sous la cascade glacée tout en récitant un sutra. Vous acceptez avec un chaleureux “uketamo”.
Et vous découvrirez vous aussi que, comme le dit Maître Yoshino : “En marchant, nous renaissons. Nous rajeunissons notre vie.”
Steve John Powell & Angeles Marin Cabello
Comment s’y rendre
ANA assure la liaison aérienne entre l’aéroport de Tokyo Haneda et l’aéroport de Shônai, situé à Tsuruoka, où se trouve le Haguro Yamabushi. En train, prenez le Shinkansen depuis Tokyo jusqu’à la gare de Niigata, puis poursuivez avec l’Inaho Limited Express jusqu’à la gare de Tsuruoka. Ce trajet longe la côte de la mer du Japon, offrant des paysages spectaculaires.Pour en savoir plus : team@yamabushido.jp