
Salée ou sucrée ? La sauce soja fait l’objet d’un vaste débat qui s’avère complexe et lié aux différents terroirs.
Récemment on a pu lire plusieurs articles sur la sauce soja commercialisée en France, plus sucrée que celle vendue plus communément au Japon. Les Français sont en train de découvrir que le goût de la sauce soja “standard” au Japon n’est pas forcément le même que celui qu’ils ont connu. Ils se mettent à dire que la sauce soja sucrée a été adaptée pour le palais des non-initiés. Vrai ou faux ?
C’est à la fois vrai et faux. Car chaque région a développé sa sauce comme pour le miso (voir Zoom Japon n°125, novembre 2022). Au Japon, il est des régions connues pour leur sauce soja plus sucrée, telles Kyûshû, ou dans plusieurs régions sur la côte de la Mer du Japon. Les Tokyoïtes peuvent se moquer de la sauce soja de Kagoshima en disant qu’il leur est impossible de manger le sashimi avec cette sauce sucrée, mais les habitants de Kyûshû pourraient tout aussi bien leur rétorquer que leur sauce soja est trop salée.
La différence vient du fait qu’elle répond au goût du terroir. A Kagoshima, au sud du Japon, les poissons plus gras se marient avec la sauce ronde. De même, historiquement, la sauce soja exportée de Nagasaki à l’époque d’Edo (1603-1868) était considérée comme une denrée de luxe, raison pour laquelle sans doute on y ajoutait du sucre, aliment tout aussi précieux mais qu’on pouvait se procurer à Nagasaki car importé de l’étranger, pour la mettre davantage en valeur.
Le quartier d’Ôno de la ville de Kanazawa regorge encore de quelques fabricants traditionnels de sauce soja à l’instar de Yamamoto Kôhei, patron de Yamato Shôyu. “La sauce soja douce s’est développée ici parce que la région vivait beaucoup de la pêche. Dans les bateaux on ne peut pas faire de cuisine compliquée. Les pêcheurs, pour prendre les repas sur leur bateaux avec les poissons qu’ils venaient d’attraper, avaient besoin d’un condiment avec lequel ils pouvaient assaisonner le plus de plats possibles. Je pense que la sauce soja sucrée est ainsi née, plus comme un condiment à multi-usage, car avec cette sauce, on n’a pas besoin d’ajouter le mirin pour arrondir le goût, par exemple”, explique-t-il. D’ailleurs, encore aujourd’hui, les habitants de Kanazawa aiment cuisiner la chair blanche de poisson uniquement avec leur sauce soja et le saké. Si on le préparait de la sorte avec la sauce soja de Tôkyô, il manquerait du goût et le poisson deviendrait trop salé.
Il est possible que la sauce soja sucrée soit devenue la préférée des Français sans doute pour une raison similaire ; facile à utiliser aussi bien avec de la viande (qui contient le gras et qui se marie avec la sauce soja sucrée) qu’avec des légumes. Elle est idéale pour cuisiner des plats sans avoir besoin de se procurer divers condiments traditionnels japonais. Il est facile de rejeter la sauce soja disant que ce n’est pas traditionnel. Mais on peut dire aussi que si les Français ont adopté la sauce soja, ce n’est pas forcément parce que les non-initiés se sont fait duper ou que les Français aiment plus le goût sucré, mais que cette préférence répond à une certaine logique gustative.
Sekiguchi Ryôko