
Les Japonais sont prêts à tout pour pimenter leurs plats, même à renoncer au respect des saisons.
Les condiments pimentés sont à la mode en France. Même au Japon, où les gens avaient déjà une certaine tolérance au goût relevé, la mode les pousse aujourd’hui dans l’extrême. Après les piments, c’est le tour du poivre de Sichuan, sansho en japonais, qui anesthésie la langue, d’arriver sur le devant de la scène. Dans la cuisine japonaise, le sansho se déguste en général sur de l’anguille grillée, ou sur des graines assaisonnées à la sauce soja pour accompagner le riz ou les poissons par exemple, mais la tendance est de trouver des accords originaux, de le marier à la cuisine occidentale, associé au canard, ou même au chocolat ou dans les desserts comme la glace, le flan, la tarte ou les meringues. On parle d’un essor shibirekei (pro-anesthésiant) ou mâkatsu (activité qui promeut les aliments anesthésiants).
Dans cette expansion, les fleurs de sansho, qu’on appelle hanazanshô, qui autrefois ne s’utilisaient que dans la haute cuisine japonaise, sont tout d’un coup aussi sous le feu des projecteurs.
Traditionnellement, vers la fin de la saison des fleurs de cerisiers, pendant une courte période de deux semaines, on récolte les fleurs, ou plutôt les boutons, avant la floraison de l’arbre mâle (les fruits se récoltent sur l’arbre femelle) et on les utilise sur le poisson cuit pour l’accompagner de sa saveur, ou en en faisant du tempura. Les fleurs ont également un goût légèrement pimenté, mais on apprécie leur parfum délicat et leur texture lorsqu’on les écrase entre les dents. Une denrée rare (1 800 euros le kg) puisque la récolte demande du temps (on trouve en moyenne une fleur parmi 100 à 200 feuilles) et de l’attention (pendant la récolte, il ne faut pas les chauffer sinon elles noircissent immédiatement) et fait ainsi sentir la préciosité du moment qui passe.
Pendant la saison, surtout dans la région occidentale où l’on plantait les arbres mâles de sansho, la viande (sanglier, poulet ou bœuf) ainsi que les pousses de bambous (takenoko) étaient assaisonnées avec du sansho. Autrefois, c’était plutôt un ingrédient servi dans des auberges de montagne et ces plats nous faisaient sentir cette proximité avec la nature.
Mais ces derniers temps, on voit même les restaurants tokyoïtes, dont cette cuisine n’était pourtant pas la spécialité, servir des hanazanshô. La tendance n’est en soi pas à blâmer, mais cette vogue a fait augmenter les prix, ce qui rend ce produit parfois difficilement accessible pour les restaurants locaux qui l’utilisaient comme ingrédient de terroir.
En ce moment, certains sites vendent un kit des ingrédients pour préparer la marmite de viande aux fleurs de sansho congelés, et qu’on peut goûter tout au long de l’année. Le site explique qu’il met en vente ces ingrédients pour répondre à la demande des consommateurs, mais est-ce que banaliser ce goût éphémère du printemps et permettre sa consommation toute l’année a un sens ? Les Occidentaux ont tendance à penser que les Japonais respectent la saison, mais la tendance actuelle prouve que ce respect est en voie de disparition…
Sekiguchi Ryôko