
Zoom Japon n°136, décembre 2023 / Eric Rechsteiner photo pour Zoom Japon
Présent depuis le début de l’aventure avec sa rubrique Le regard d’Eric Rechsteiner, il reste l’un de nos piliers.
Un des principaux mérites de Zoom Japon est de s’être intéressé, au fil des années, à toutes les facettes de la vie dans l’archipel. Il est difficile de trouver ne serait-ce qu’un seul recoin du pays, ou de sa culture, qui aurait été négligé. Toutes les régions, toutes les professions, tous les groupes d’âge ont figuré un jour dans ses pages, révélant par touches successives un panorama complet du Japon.
Photographier la ville dans laquelle on vit depuis des décennies n’est cependant pas toujours chose aisée. Les quartiers anciens de Tôkyô, auxquels on s’attache avec le temps, sont démolis, les uns après les autres, et remplacés à un rythme effréné par des blocs de béton insipides. Dans le centre ville, l’échelle des démolitions est telle qu’il est souvent difficile de se souvenir à quoi ressemblait la petite maison avec jardin du coin de la rue, ou la boutique du marchand de tôfu, dont il ne reste soudainement que des gravats. Mais si son aspect s’uniformise, il reste à Tôkyô son énergie, qui semble inépuisable, la diversité de ses habitants et de ses modes sans cesse renouvelées. Les paysages du Japon rural n’offrent que peu de variations du nord de Honshû au sud de Kyûshû : des rizières bien tenues, de délicates forêts de bambou, des montagnes sombres de conifères ou des côtes rocheuses. Ce sont surtout les changements rapides du temps qu’il fait, et les différences très marquées des saisons, qui leur donnent ce relief et ce charme si particulier. A la grande laideur des villes, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom, et à la standardisation de leurs périphéries, s’oppose des campagnes où fleurissent dégradés de couleurs et contrastes saisissants entre plaines des bords de mer soigneusement cultivées et régions de montagnes inaccessibles et sauvages.
Porter son regard sur les habitants des villes du Japon renvoie à la solitude des individus qui, bien qu’entourés de millions de leur semblables, se trouvent souvent isolés dans des logements formatés et anonymes, entre charge de travail écrasante et frénésie de la société de consommation, il reste peu de place pour respirer. Dans les campagnes, où les liens communautaires ou de voisinage restent forts, et où les traditions du Japon ancien persistent, on est parfois surpris d’un rapport au temps radicalement différent, qui remonte à la pré-industrialisation du pays. Des fêtes de village durent des jours entiers, les activités traînent en longueur et les gens, tout en prétendant le contraire (l’avouer serait mal vu) prennent le temps de vivre.
Par beaucoup de ses aspects, la multitude des règles et des obligations, la forte pression sociale, l’impératif de se conformer, la société japonaise est oppressante pour les individus, surtout pour ceux qui diffèrent, ne serait-ce qu’un peu, de la norme. Mais photographier les être humains qui vivent dans l’archipel et observer leurs façons de s’adapter, de survivre ou de s’épanouir dans cette société, et une activité dont on ne se lasse pas. Souhaitons donc longue vie à Zoom Japon !
Eric Rechsteiner