
Les autorités au niveau national et local peinent à trouver des solutions pour remédier à ce problème croissant.
Tellement complexe, le problème des akiya semble presque impossible à résoudre. Kubo Tomoko, professeure assistante à l’université de Tsukuba où elle enseigne les sciences de la vie et de l’environnement, a beaucoup écrit sur ces questions. Après avoir travaillé comme chercheuse à la Société japonaise pour la promotion de la Science (JSPS), elle occupe son poste actuel depuis 2018. Elle a reçu le prix du jeune scientifique du ministère de l’Education, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie en 2021 et le prix de l’Union géographique internationale pour les jeunes chercheurs en 2022.
“Une maison vacante (akiya) désigne généralement une résidence dont le chef de famille est absent depuis une longue période. Il n’y a pas de délai fixe. La définition est plutôt flexible et dépend du contexte”, explique-t-elle. Selon la loi japonaise sur les mesures spéciales visant à promouvoir les mesures relatives aux maisons vacantes, une akiya est définie comme “un bâtiment, ainsi que toutes les structures qui y sont rattachées, qui n’est pas habituellement habité ou utilisé à d’autres fins, y compris le terrain qu’il occupe (avec les arbres ou les objets fixés à ce terrain). Cette définition exclut les propriétés appartenant à l’État ou aux collectivités locales ou gérées par ceux-ci”.
Kubo Tomoko souligne que les personnes qui négligent une akiya sont passibles de différentes sanctions. “En vertu de la loi sur les mesures spéciales visant à promouvoir les mesures relatives aux maisons vacantes et de diverses ordonnances locales, les propriétés considérées comme dangereuses pour les résidents environnants – désignées comme “maisons vacantes spécifiques” (tokutei akiya) – font l’objet d’une intervention gouvernementale. Si un tel bien immobilier est identifié, les autorités locales émettent un avis officiel au propriétaire. Si celui-ci ne réagit pas ou ne prend pas de mesures correctives, les autorités peuvent renforcer les mesures coercitives. Cela peut inclure la divulgation publique du nom du propriétaire, une ordonnance de réparation, de sécurisation ou de démolition de la structure et, si toutes les autres mesures échouent, la démolition par les autorités publiques, dont les coûts sont ensuite facturés au propriétaire.
La ville de Fukuoka a été l’une des premières municipalités à émettre des ordres de démolition officiels en vertu de la loi sur les maisons vacantes. Dans un cas, une maison en bois négligée dont le toit s’était effondré a été condamnée à la démolition en 2016. Le propriétaire n’ayant pas donné suite, la ville a procédé à la démolition et lui a ensuite facturé plus de 2 millions de yens”, raconte-t-elle.
“La ville de Chiba a pris des mesures à l’encontre de plus de 100 maisons vacantes en vertu de son ordonnance locale. Dans certains cas, lorsque les propriétaires ne pouvaient être contactés ou refusaient d’agir, la ville a apposé des panneaux d’avertissement sur les propriétés et rendu publics les noms des propriétaires afin de les inciter à assumer leurs responsabilités. Ces mesures reflètent l’urgence croissante pour les municipalités de répondre aux préoccupations en matière de sécurité, de prévenir la dégradation urbaine et de promouvoir une propriété responsable. La leçon à tirer ici est que si vous êtes propriétaire d’un bien immobilier vacant, soyez proactif. Un entretien régulier, un enregistrement en bonne et due forme et une communication claire avec les autorités locales peuvent vous éviter des sanctions légales, une atteinte à votre réputation et des mesures coercitives coûteuses”, ajoute-t-elle.
Selon l’universitaire, les efforts déployés pour remédier au problème vont de solutions pratiques à court terme à des stratégies plus larges et plus fondamentales. “Il est évident que s’attaquer uniquement aux symptômes superficiels ne permettra pas de trouver une solution durable. Cependant, de nombreuses régions expérimentent activement des approches créatives à court terme pour exploiter les propriétés vacantes et réduire leur impact négatif. Voici quelques exemples de mesures prises :
– La reconversion des maisons en centres communautaires, notamment en lieux de rencontre pour les personnes âgées afin de lutter contre l’isolement.
– La transformation en magasins, logements locatifs ou bureaux.
– Dans les zones touristiques où l’espace hôtelier est limité, les maisons vacantes sont rénovées et agréées comme chambres d’hôtes (minpaku), ce qui apporte à la fois des revenus locaux et des solutions d’hébergement.
– Les gouvernements nationaux et locaux offrent des subventions pour couvrir une partie des coûts de démolition des structures dangereuses ou indésirables.
– Des bases de données en ligne, souvent gérées par les autorités locales, répertorient les biens immobiliers que les agences immobilières privées ne traitent généralement pas, mettant en relation les vendeurs avec des acheteurs ou des locataires potentiels. Dans certains cas, les acheteurs de maisons vacantes peuvent également bénéficier de réductions d’impôts fonciers ou d’aides financières.
– Des programmes visant à faciliter les transferts directs de propriété entre particuliers voient également le jour, permettant à l’ancien propriétaire et au nouveau résident de trouver des solutions mutuellement avantageuses pour réutiliser la maison.”
“Cependant, même si une maison vacante est réutilisée avec succès, l’impact reste limité si ces efforts ne s’étendent pas à l’ensemble du quartier et ne déclenchent pas un effet d’entraînement plus large. Ne s’attaquer qu’aux symptômes visibles peut en fait entraver la mise en place de solutions plus profondes et à long terme”, regrette-t-elle. Prenons l’exemple de la “spongification” urbaine, où le territoire est de plus en plus parsemé irrégulièrement de petites surfaces vacantes. Le simple fait de réutiliser un seul bien immobilier ne résout pas le problème plus large de la sous-utilisation de l’immobilier.
“A cet égard, de nombreux facteurs humains complexes entrent en jeu. Par exemple, certains résidents âgés continuent de vivre dans d’anciens magasins même après avoir fermé leur commerce. Il y a aussi des enfants qui héritent de propriétés et souhaitent préserver la mémoire de leurs parents, ou des grands-parents qui qui ont conservé leur maison dans l’espoir qu’un de leurs petits-enfants revienne un jour pour la reprendre.
Avec l’âge, il devient plus difficile de déménager, et de nombreux habitants âgés préfèrent rester où ils sont, disant : “Tant que je suis en vie, je me sens bien ici”. Cette mentalité, bien que compréhensible, rend difficile la mise en œuvre de stratégies d’utilisation des terrains ou l’encouragement d’une rotation plus dynamique de l’immobilier.
C’est là le cœur du problème des maisons vacantes : des solutions superficielles peuvent soulager certains cas individuels, mais sans s’attaquer aux obstacles structurels et émotionnels plus profonds, le problème reste entier”, souligne Kubo Tomoko.
Elle estime que les discussions ouvertes entre parents et enfants sont particulièrement importantes pour traiter le problème des maisons vacantes résultant de transitions générationnelles. “Selon certaines enquêtes, de nombreuses personnes âgées déclarent n’avoir jamais discuté avec leurs enfants de questions importantes telles que l’entretien de leur maison et des tombes familiales, ou la gestion de leurs biens après leur décès ou celui de leur conjoint. Souvent, la génération plus âgée suppose que ses enfants (ou son conjoint) s’en occuperont après son décès, tandis que la jeune génération a tendance à éviter ces conversations, soit parce qu’elle est mal à l’aise avec le sujet de la fin de vie, soit par respect pour ses parents. Dans le cadre d’une planification responsable de la fin de vie, il est essentiel que les parents et les enfants communiquent ouvertement, clarifient leurs intentions et prennent des décisions communes sur la gestion des biens et des actifs. Un dialogue proactif peut aider à éviter la confusion, les conflits ou l’abandon involontaire du domicile familial”, assure-t-elle.
Le phénomène récent des “héritiers disparus” a récemment fait la une des journaux, notamment en ce qui concerne les appartements. “De nombreux héritiers sont confrontés à des décisions difficiles concernant les anciens appartements de leurs parents”, remarque Kubo Tomoko. “Lorsqu’un immeuble atteint 40 ou 50 ans, la plupart des propriétaires ont eux-mêmes 70 ou 80 ans. Les bâtiments et leurs résidents vieillissent ensemble. Ces propriétés sont désormais transmises aux enfants adultes. Mais en hériter n’est pas toujours un cadeau bienvenu. Dans de nombreux cas, les enfants de parents âgés possèdent déjà leur propre maison, souvent située dans un quartier plus central ou plus récent que les appartements vieillissants de leurs parents en banlieue. Si le logement hérité est situé dans un quartier prisé du centre-ville, avec une demande locative stable et une valeur de revente élevée, il peut être considéré comme un atout. Mais pour la majorité des logements situés dans des zones moins attractives, l’héritage peut rapidement devenir un fardeau”, constate-t-elle.
Vendre ces propriétés peut également s’avérer difficile. Si certaines situées en centre-ville conservent leur valeur, comme un appartement de 50 ans à Aoyama (Tôkyô) qui peut être considéré comme une propriété “vintage”, les appartements vieillissants situés dans des quartiers moins prestigieux, comme la banlieue de Yokohama, sont souvent considérés comme simplement vieux et vétustes. Cette dévaluation rend encore plus difficile pour les héritiers de se débarrasser de ces propriétés, les piégeant dans un cycle de propriété indésirable et de charge financière.

Contrairement aux maisons individuelles, qui nécessitent un entretien occasionnel mais n’entraînent pas de frais mensuels, les appartements sont assortis de dépenses inévitables : charges mensuelles et contributions à la réserve destinée aux travaux. Dans les immeubles anciens, ces frais peuvent être élevés, atteignant souvent 50 000 yens [300 euros] ou plus par mois. Si l’on ajoute à cela les taxes foncières et les taxes d’urbanisme, les héritiers peuvent se retrouver à payer plusieurs centaines de milliers de yens par an pour un appartement qu’ils n’ont pas l’intention d’utiliser.
Cette charge a donné lieu à une tendance inquiétante. Il arrive de plus en plus que les héritiers n’informent pas l’association de gestion de l’appartement de l’héritage. Le scénario se déroule souvent comme suit : un propriétaire âgé emménage dans une maison de retraite et finit par décéder. Quelques mois plus tard, les prélèvements automatiques pour les frais de gestion et les réserves pour réparations commencent à échouer, car le compte bancaire du propriétaire a été clôturé. Mais personne ne se présente pour assumer la propriété, et le syndic ne peut pas percevoir les fonds nécessaires. Les coordonnées d’urgence enregistrées sont obsolètes et les lettres restent sans réponse. Les associations de gestion se retrouvent dans une situation incertaine, incapables d’identifier ou de contacter les nouveaux propriétaires, tandis que l’immeuble continue de vieillir et d’accumuler des frais. Dans les cas où les héritiers renoncent officiellement à l’héritage, la situation devient encore plus complexe.
“En réponse à ce problème croissant, le gouvernement a introduit une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er avril 2024. Les héritiers qui acquièrent un bien immobilier par succession doivent désormais enregistrer ce bien dans les trois ans suivant la prise de connaissance de leur propriété. Cette mesure vise à aider les collectivités locales et les associations de gestion à identifier les propriétaires légitimes et à les tenir pour responsables”, explique la chercheuse.
“Cependant, du point de vue des héritiers, les paiements exigés peuvent être perçus comme une pénalité pour avoir simplement hérité d’un bien dont ils n’ont pas demandé la propriété. Ces appartements, qui étaient autrefois un symbole de stabilité et d’accession à la propriété pour la classe moyenne, sont devenus des passifs plutôt que des actifs. Sans systèmes de soutien plus solides, sans dispositifs plus claires pour la cession des biens immobiliers et sans politiques visant à lutter contre le vieillissement du parc immobilier, le fléau des “appartements vacants” ne fera que s’étendre”, ajoute-t-elle.
Le gouvernement japonais poursuit une série d’initiatives visant à remédier au problème croissant des logements vacants, en combinant des efforts politiques nationaux et des innovations locales afin de promouvoir une utilisation efficace des biens immobiliers sous-exploités. “L’une des initiatives nationales les plus importantes est la création de la Banque des logements vacants, supervisée par le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme. Ce système sert de plateforme de mise en relation entre les propriétaires de logements vacants et les personnes ou familles qui souhaitent déménager, en particulier dans les zones rurales. Si les annonces immobilières sont gérées par les collectivités locales, les informations sont également centralisées et consultables sur le site Internet du ministère, ce qui permet aux résidents potentiels de trouver plus facilement des logements en dehors des grands centres urbains”, note Kubo Tomoko.
“Au niveau local, la ville de Nasu, dans la préfecture de Tochigi, offre un exemple remarquable de partenariat entre les municipalités et le secteur privé. En collaboration avec l’Association des transactions immobilières de Tochigi, la ville propose sur le marché immobilier général les propriétés vacantes commercialisables, tandis que les moins compétitives sont enregistrées dans la banque de maisons vacantes. Cette double approche contribue à élargir les possibilités d’utilisation, en garantissant que même les biens négligés par le secteur privé ont une chance de trouver une nouvelle vie.
La ville offre également des incitations financières pour soutenir les efforts de relocalisation et de revitalisation. Il s’agit notamment de subventions pour la rénovation des maisons et des locaux commerciaux vacants inscrits dans la banque, ainsi que d’une aide financière pour la démolition des propriétés désignées comme “logements vacants spécifiques” en raison de leur dangerosité ou de leur dégradation”, rapporte la professeure.
Ensemble, ces initiatives reflètent une stratégie multiforme – combinant plateformes numériques, partenariats public-privé et aides financières – visant à atténuer la crise des logements vacants et à promouvoir le renouveau durable des communautés.
“En outre, la ville de Nasu a créé une brochure intitulée “Ne laissez pas votre maison à l’abandon ! Carnet de planification de fin de vie pour les familles” et la distribue à tous les habitants. Ce document fournit des explications faciles à comprendre sur les informations de base relatives à la gestion future des actifs et à la succession, ainsi que des points de discussion spécifiques et les procédures nécessaires. Il se distingue particulièrement par son contenu pratique, qui comprend notamment une liste de points à aborder pour encourager les discussions entre les membres de la famille et une liste des coordonnées des centres de consultation.
La ville de Nasu accepte également les consultations d’experts en matière de lutte contre les logements vacants et utilise la brochure comme support pour fournir des conseils adaptés. Ces initiatives ont servi de référence à d’autres municipalités qui ont mis en place des systèmes similaires”, conclut-elle.
G. S.