Calabash est un des rares lieux où l’on peut vivre au rythme africain grâce à son fondateur Kumazawa Fusahiro.
Comme chaque soir, Kumazawa Fusahiro est assis derrière le comptoir du Calabash. Situé en plein cœur du quartier des affaires de Hamamatsuchô, à Tôkyo, le restaurant de 140 m2 au sous-sol offre un dépaysement total : des salariés en costume assis sur des tabourets primitifs savourent des bananes plantains de Côte d’Ivoire en écoutant de la musique en lingala. Autour d’eux, des divinités dogons et des tissus bogolans sont éclairés par des abat-jours en calebasses qui ont donné leur nom à ce lieu, véritable oasis africaine au milieu de la jungle tokyoïte. Le menu n’a rien à envier à un restaurant africain du quartier parisien de Château rouge. Mafe (sauce arachide) du Mali, Egusi (sauce de pistache) du Nigéria, riz au poisson Tiboudien du Sénégal, pâte de manioc Fufu ou de mil To, brochettes de crocodile, le tout arrosé de Cabernet d’Afrique du Sud ou de Guerrouane du Maroc. “Les Japonais ont tendance à penser que l’Afrique est un seul pays, mais c’est 53 Etats avec des cuisines, des langues et des cultures toutes différentes !” aime à rappeler Kumazawa Fusahiro.
Dans la cuisine qui fait open bar, on aperçoit le chef Amadou Emile. “C’est mon cuistot burkinabé depuis dix ans ! Il m’a été présenté par l’ambassadeur du Burkina Faso pour qui il travaillait avant. Il est un des rares africains à avoir fait une école de cuisine en France”, explique Kumazawa Fusahiro en le regardant avec affection. “Il n’est pas musulman, mais il paraît qu’il a trois ou quatre épouses dans différents pays, quelle chance !” chuchote-t-il. Kumazawa Fusahiro a ouvert le Calabash, il y a 11 ans, pour introduire la cuisine africaine, mais pas seulement. “J’ai voulu créer un espace culturel pour présenter l’art, la musique, le cinéma africain”. De petite taille, avec une moustache et des yeux renfoncés, il est né en 1946. Il n’a pas vraiment la carrure d’un aventurier. Pourtant il a parcouru la moitié du continent africain en voiture à l’époque où le Paris-Dakar n’existait pas encore. “En 1971, je suis parti du Japon avec une petite Nissan pour faire le tour du monde. Je suis passé en Thaïlande mais très vite je me suis retrouvé bloqué par le conflit au Cachemire. J’ai laissé tomber la Route de la soie et fais envoyer la voiture jusqu’à Londres.” Kumazawa Fusahiro sourit à ces souvenirs de jeunesse. “Je n’avais pas un rond, j’ai gagné un peu d’argent en Finlande avec des petits boulots. Finalement, je suis arrivé au bout de deux ans et demi à Gibraltar.” A partir de là, son périple africain commence. Et scelle son avenir. “Je suis arrivé à Tamanrasset dans le sud algérien et j’ai chargé ma voiture de jerrycans d’essence pour faire la “route” jusqu’à Agadez au Niger.” Une piste de désert de plus de 1 000 km. “C’est vrai ! Il n’y a pas de stations d’essence par là !” rit-il d’un air presque gêné. En plein mois de juillet, il traverse ainsi le Sahara puis le Sahel avec une Nissan dans une chaleur horrible, avant de se retrouver au Zaïre. “De là, j’ai tout fait pour aller à Cape Town en Afrique du Sud et embarquer vers l’Amérique latine pour continuer mon tour du monde. Mais ils ne m’ont jamais donné de visa. C’était l’apartheid, et un Japonais seul comme moi n’était pas un élément désirable. Depuis ce temps, je n’ai jamais aimé l’Afrique du Sud.” Finalement, il pose ses bagages au Kenya et fait connaissance avec un Japonais qui fait le tour de l’Afrique en camion. “On s’est associés pour créer African 100”. Le concept était simple mais osé pour l’époque : conduire des Japonais dans un camion à partir de Londres jusqu’à Nairobi pendant 100 jours ! Je suis retourné au Japon après trois ans de vagabondage pour présenter le projet et trouver des participants ! Grâce aux articles qu’on nous a écrits dans la presse, on a eu plus de 130 demandes en un mois ! C’est complètement impensable de nos jours mais à l’époque, il y avait vraiment une clientèle pour ce genre de voyages”, se souvient-il. Triés sur le volet, les douze participants se sont retrouvés projetés en Afrique et ont fini par s’engueuler. “De l’Espagne jusqu’en Algérie, ça allait, tout le monde était calme. Mais arrivé au Sahara, ça a complètement dégénéré !”