Communément utilisé par le passé, cet ingrédient avait fini par disparaître après la guerre. Il fait désormais un retour en force.
On ne présente plus le sushi, devenu la référence culinaire japonaise à l’étranger. Le sushi connaît de nombreuses relectures et variantes, et ce, dans plusieurs pays, mais si la forme et les ingrédients se diversifient, la préparation du riz demeure sans doute identique partout. Or, peu savent que la préparation du riz, l’étape la plus importante, a drastiquement changé il y a soixante-dix ans de cela.
Dans l’histoire du sushi, le style Edomae (le style d’Edo, de Tôkyô) constituait la base du sushi que l’on connaît actuellement. Le riz était alors assaisonné au “vinaigre rouge” (akasu), préparé à partir du marc de saké. Ce vinaigre est caractérisé par un parfum présent et un goût rond, obtenus grâce à une longue fermentation (de trois à cinq ans). Or, la production de ce vinaigre a brutalement diminué avec la Seconde Guerre mondiale, comme de nombreux autres produits traditionnels. Après le conflit, les cuisiniers ayant appris le sushi de style Edo dans la capitale se sont installés dans diverses régions de l’Archipel. Or, à l’époque, il était difficile de se procurer du riz blanc de bonne qualité et ce riz coloré par le vinaigre n’était guère apprécié. Les gens pensaient qu’il s’agissait de riz vieux ou importé de l’étranger. Voilà pourquoi on a commencé à utiliser du vinaigre blanc, préparé à base de riz. Aujourd’hui, lorsqu’on regarde un livre de préparation de sushi, il est indiqué dans la recette de diluer du sucre et du sel dans du vinaigre, de porter à ébullition et de verser le mélange sur le riz cuit. L’ajout de sucre est devenu nécessaire pour apporter ce goût rond caractéristique.
Le vinaigre rouge, longtemps oublié, commence à faire son retour. La marque Mizkan, maison qui existe depuis plus de deux cents ans, et, selon les documents, la première à produire du vinaigre au marc de saké, a récemment relancé ce vinaigre historique, en respectant la recette de l’époque. “Le vinaigre rouge possède un umami plus prononcé, et s’accorde avec du thon par exemple, un goût qui a de la présence. Mais il n’est pas idéal pour tout non plus. Les hommes ont tendance à rechercher, de plus en plus, l’umami, risquant ainsi de créer des sushis qui “fatiguent” plus vite le palais”, estime M. Takatori de l’Institut de vérification du goût.
Bien évidemment, ce vinaigre ne s’associe pas aux sushis de l’ouest du Japon, dont les poissons sont souvent cuits et pressés. Il n’a d’ailleurs jamais été utilisé, même traditionnellement, pour ce genre de sushi. Toujours est-il qu’on a pu redécouvrir un autre potentiel, une autre façon d’apprécier le sushi, qui est celle d’il y a deux cents ans.
Désormais, dans l’univers du sushi, on peut presque dire que le vinaigre rouge est à la mode. Vous pouvez trouver le riz préparé avec ce vinaigre dans les bons restaurants de sushi à Tôkyô comme à Paris, et même chez L’Abysse, le nouveau comptoir à sushis au Pavillon Ledoyen. Le riz y est préparé à base de vinaigre rouge, à la demande du chef Yannick Alléno lui-même, qui l’avait découvert lors de son séjour au Japon. Il le marie à la vanille et au homard, à la crevette avec son extraction de tomate… Ce n’est pas qu’un simple retour des choses. Le vinaigre rouge est en passe de connaître une nouvelle vie.
Sekiguchi Ryôko