Amoureux d’un Japon qui a disparu des villes, Tsuge a toujours un faible pour Chiba. Nous nous y sommes rendus.
Chiba n’est pas vraiment une destination de voyage populaire. Alors que la péninsule de Bôsô (voir Zoom Japon n°70, mai 2017), qui comprend une bonne partie de la préfecture, semble attirante sur le papier, elle l’est en réalité beaucoup moins que la péninsule d’Izu, au sud de Yokohama, qui possède des installations touristiques et des plages de sable blanc, et davantage de sources thermales. Toutefois, si vous souhaitez visiter un Japon plus “authentique” près de Tôkyô, loin des hordes de touristes, là où les gens vivent encore à un rythme lent, vous serez peut-être tenté de venir y jeter un coup d’œil.
Tsuge Yoshiharu adore Chiba. Pour lui, cette destination présente toutes les caractéristiques idéales : plaine, sans glamour, peu peuplée, zones rurales et stations balnéaires isolées et désolées. Il aime tellement cette région qu’on la retrouve dans plusieurs de ses œuvres.
C’est pourquoi, par un froid matin de décembre, j’ai décidé de m’y rendre. En fait, il s’agissait de mon deuxième voyage à Chiba. Le premier, il y a environ 20 ans, n’avait pas été particulièrement fructueux, ma femme et moi avions “célébré” le Nouvel An à Onjuku, l’un des lieux les plus fréquentés de la péninsule de Bôsô, qui, en été, est plein de touristes (ceux qui sont trop paresseux ou pauvres pour se rendre à Izu ou dans d’autres endroits plus attrayants), mais qui, en hiver, sombre dans la noirceur malgré ses faux cactus et ses boutiques colorées à la mexicaine. Elle est jumelée avec Acapulco.
Cette fois, j’ai donc évité Onjuku pour me rendre à Ohara, à 10 km au nord d’Onjuku, où la famille de la mère de Tsuge vivait et où il a passé une partie de son enfance. A l’époque, le frère de sa mère possédait quelques bateaux de pêche alors que sa sœur était une ama (plongeuse). Dans l’un de ses essais, il se souvient du moment où il avait visité la ville avec sa mère et qu’il avait mangé du tokoroten, une gelée de tengusa (sorte d’algue rouge) que sa tante avait récolté.
Tsuge a vécu à Ohara entre quatre et cinq ans. C’est à cette époque que son père est décédé alors qu’il travaillait à Tôkyô en tant que cuisinier. Sa mère y avait ouvert un magasin où elle vendait des oden (pot-au-feu japonais) en hiver et de la glace en été. Mais après la mort de son mari, elle a emmené ses trois fils dans la capitale. Pour le mangaka, Ohara n’est pas nécessairement source de bons souvenirs. En 1944, alors qu’il était au CP, il avait été évacué à Ohara aux bons soins de ses grands-parents, mais selon son récit, il y a été maltraité pendant son séjour.