Pour comprendre les raisons des tensions, il convient de se pencher sur le passé parfois douloureux entre les deux voisins.
Au cours des années 1980 et au début de la décennie suivante, de nombreux étrangers venus au Japon en tant que touristes mais qui souhaitaient rester plus longtemps que les trois mois accordés aux personnes sans visa approprié avaient recours au truc classique du “voyage asiatique”. Celui-ci consistait, à l’approche de l’expiration de la période des trois mois, à se rendre dans un autre pays asiatique pendant quelques jours, puis à retourner au Japon pour bénéficier d’une nouvelle période de trois mois.
La plupart d’entre eux allaient à Shimonoseki, dans la préfecture de Yamaguchi, et de là, ils empruntaient un ferry pour Pusan, en Corée du Sud. Cette route était devenue tellement fréquentée par les expatriés et les voyageurs qu’au bout d’un moment, les agents des douanes ont pris conscience de ce qui se passait. Si bien qu’ils ont commencé à interroger les gens et même à leur refuser de rentrer au Japon.
Un siècle auparavant, le ferry Pusan-Shimonoseki avait joué un rôle complètement différent dans la vie de centaines de milliers de personnes. C’était l’un des principaux itinéraires choisis par les immigrants coréens qui voulaient se rendre au Japon. Remontant à 1897, la diaspora coréenne a augmenté de façon notable après que le pays soit devenu un protectorat, à la suite du traité conclu entre le Japon et la Corée en 1905, puis annexé à l’empire japonais en 1910. Le service de ferry entre Pusan et Shimonoseki a débuté en 1905. Il était toujours noir de monde et il ne parvenait pas à faire face à la demande, amenant les autorités à ouvrir de nouvelles routes vers Ôsaka (1923) et Hakata (1943). Entre la fin des années 1920 et celle de la décennie suivante, entre 80 000 et 150 000 Coréens se sont rendus au Japon chaque année. La police maritime de Pusan était très stricte et seules les personnes ayant suffisamment d’argent, une connaissance du japonais et une confirmation d’embauche étaient autorisées à voyager. Malgré tout, le nombre de Coréens entrant au Japon en 1930 a atteint 400 000 personnes.
La plupart des individus quittaient la Corée en raison de l’exploitation économique intense et de la discrimination sociale et culturelle à laquelle ils étaient soumis dans leur propre pays. En 1910, par exemple, il y avait 170 000 colons japonais en Corée, la plus grande communauté japonaise à l’étranger à l’époque. Le recensement foncier de 1910 promu par les autorités coloniales a fini par favoriser les colons au détriment des propriétaires locaux dont la propriété relevait souvent que d’accords verbaux traditionnels. En conséquence, le nombre de propriétaires terriens japonais est monté en flèche (de 7 % de toutes les terres arables en 1910 à 52,7 % en 1932), tandis que de nombreux Coréens ont perdu leurs terres du jour au lendemain, devenant des fermiers locataires pauvres qui devaient payer plus de la moitié de leur récolte en loyer. En 1918, une pénurie de riz au Japon a incité le gouvernement à adopter le Plan d’augmentation de la production de riz, ce qui a signifié concrètement que les terres coréennes devaient être utilisées pour fournir du riz aux Japonais. Cela aggrava encore les conditions de vie de la population locale.
De l’autre côté du détroit de Tsushima, l’économie était florissante et les usines qui proliféraient partout avaient besoin de main-d’œuvre bon marché. Des rumeurs se répandirent en Corée sur les opportunités d’emploi et la promesse d’une vie meilleure dans l’Archipel. Les gens ont alors commencé à franchir la mer pour se rendre à Tôkyô, Ôsaka, Nagoya, Fukuoka et même vers le nord du Japon jusqu’à Hokkaidô.