Pour éviter une catastrophe culturelle, de nombreux professionnels se sont mobilisés en lançant diverses initiatives.
La COVID-19 a frappé l’industrie cinématographique de plein fouet, le gouvernement ayant exhorté les gens à se tenir à l’écart des lieux fermés. Selon les données recueillies par le critique de cinéma Ôtaka Hiroo, les recettes dans le secteur ont chuté de 53 % entre janvier et avril 2020 par rapport à l’année dernière, et la situation s’est encore aggravée en mai avec la fermeture totale des salles de cinéma. De la production à la distribution, toute l’industrie s’est arrêtée. Afin de sauver le cinéma indépendant et les petites salles de cinéma en particulier, de nombreux professionnels ont lancé un certain nombre d’initiatives, parmi lesquelles la campagne “Save the Cinema”. Zoom Japon s’est entretenu de ce projet avec Iwasaki Yûko du Japan Community Cinema Center (JCCC).
Qu’est-ce que le Japan Community Cinema Center ?
Iwasaki Yûko : “Community Cinema” désigne les salles d’art et d’essai, les ciné-clubs et autres lieux publics de ce type en dehors des grands multiplexes. Notre activité en tant que réseau informel remonte à 1996, mais le JCCC lui-même a été officiellement fondé en 2009. Chaque année en septembre, environ 300 personnes se réunissent lors de notre assemblée générale pour discuter de questions communes et partager des idées. Il y a quelques années, nous avons même invité Claude-Eric Poiroux, directeur général d’Europa Cinemas, à parler du système de soutien financier en Europe. Entre autres choses, nous collaborons avec l’Institut Français et nous avons également un système de distribution à but non lucratif grâce auquel nous prêtons notre collection de films aux salles et aux festivals. Par exemple, nous avons aidé à organiser des rétrospectives de réalisateurs tels que Frederick Wiseman et Manoel De Oliveira.
Parlez-nous de la campagne “Save the Cinema”.
I. Y. : Lorsque les gens ont cessé d’aller au cinéma pour éviter d’être contaminés, le JCCC a pris contact avec plusieurs responsables politiques et a lancé un appel au gouvernement, leur demandant de soutenir le cinéma indépendant et les petites salles en particulier, car beaucoup d’entre elles risquaient une fermeture définitive. Lorsque le réalisateur Suwa Nobuhiro a entendu parler de notre initiative, il a fait passer le mot dans le milieu cinématographique et au-delà. C’est ainsi que la campagne a pris son envol.
Cette campagne n’est pas la seule en cours, n’est-ce pas ?
I. Y. : Alors que de plus en plus de personnes ont rejoint notre campagne, certaines d’entre elles ont proposé des projets similaires, contribuant à améliorer notre image auprès du public. Le projet qui a probablement reçu le plus de publicité est le Mini-Theater Aid (https://minitheater-aid.org/), une initiative de financement participatif lancée par les réalisateurs Fukada Kôji et Hamaguchi Ryûsuke. Cela a grandement aidé notre cause, non seulement car cela a apporté à de nombreuses salles une aide financière modeste mais nécessaire, mais aussi parce que nous avons pu montrer aux autorités qu’un grand nombre de personnes s’intéressaient réellement au cinéma indépendant et ne voulaient pas qu’il disparaisse. Enfin, le gouvernement et le Premier ministre Abe lui-même ont reconnu la nécessité de protéger cette partie importante de la culture japonaise. Cependant, nous ne savons toujours pas quand l’aide financière sera débloquée et quelle forme elle prendra.
La grande différence entre les salles d’art et d’essai au Japon et celles en Europe, et en France notamment, est qu’elles ne reçoivent aucune aide publique, financière ou autre. C’est bien sûr dommage, mais d’un autre côté, ces salles savent par expérience que si elles restent sans rien faire, personne ne les aidera. Cette prise de conscience, je crois, est probablement la raison pour laquelle nous sommes passés à l’action si rapidement dès que les choses ont commencé à mal tourner.
Pourquoi faut-il sauver ces salles ?
I. Y. : Chaque année, ce sont quelque 1 300 films qui sortent au Japon. Plus de la moitié d’entre eux sont présentés dans les petites salles mais, plus important encore, environ 500 de ces œuvres ne sont présentées que dans ces cinémas. En d’autres termes, sans eux, un grand nombre de petits films indépendants ne pourraient pas être vus. Des cinéastes comme Fukada et Hamaguchi ont souvent dit qu’ils devaient leur carrière au soutien qu’ils ont d’abord reçu de ces salles. Sans le circuit indépendant, les cinéphiles n’auraient pas la chance de voir un grand nombre de films intéressants. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement des films. Les multiplexes, par exemple, sont pratiques car ils présentent plusieurs films sous un même toit, mais ils se ressemblent tous. Partout où vous allez, ils ont le même hall, le même intérieur, et tout cela semble un peu aseptisé. En revanche, chaque salle d’art et d’essai a sa propre ambiance et son propre caractère, et le lieu lui-même devient une partie de l’expérience cinématographique. Dans les petites villes, elles font partie de la vie locale. C’est une raison de plus pour laquelle nous ne pouvons pas nous permettre de laisser ces cinémas disparaître.
Propos recueillis par Jean Derome