C’est à un Français que le Japon doit sa première filature moderne de soie classée désormais au Patrimoine mondial.
Tandis que leur économie ne se porte plus très bien, les Japonais redécouvrent avec plaisir et nostalgie leur patrimoine industriel. Après l’avoir laissé parfois dépérir, ils ont pris conscience de l’importance de le préserver, mais aussi de le mettre en valeur afin de rappeler l’extraordinaire bouleversement que l’industrie a produit à la fin du XIXe siècle dans un pays qui sortait de deux siècles d’isolement. Au même titre que les sites naturels, l’architecture industrielle constitue un excellent moyen d’attirer les touristes surtout si les lieux obtiennent une reconnaissance internationale. C’est la raison pour laquelle le gouvernement à la demande des collectivités locales s’est employé à défendre l’inscription de plusieurs d’entre eux dans les registres du Patrimoine mondial de l’Unesco. Début juillet, Tôkyô a réussi à obtenir l’enregistrement de 23 sites de la révolution industrielle de l’ère Meiji parmi lesquels l’île de Hashima (voir Zoom Japon n°5, novembre 2010) ou la mine de Miike malgré la polémique liée au “travail forcé” des Coréens et des Chinois. Une tension que la filature de soie de Tomioka, dans la préfecture de Gunma, au nord de Tôkyô, n’a jamais suscité quand elle a obtenu son inscription au Patrimoine mondial en juin 2014. La douceur du produit qui y était fabriqué a peut-être joué en sa faveur.
Toujours est-il que le site a bénéficié d’un formidable soutien local qui se ressent encore aujourd’hui lorsqu’on arrive à la gare de Jôshû-Tomioka. Le bâtiment inauguré en 2014 est déjà une entrée en matière intéressante d’un point de vue architectural. Conçue par Takei Makoto et Nabeshima Chie de l’agence TNA, la gare fait la part belle à la brique, principal matériau utilisé pour la construction de la filature en 1872, sans pour autant chercher à reproduire un style anachronique. Elle affirme au contraire son identité contemporaine. La brique couvre le sol, se transforme en assises et délimite les espaces sans jamais les clôturer complètement. Sur ces éléments en trois dimensions que les usagers s’approprient sans difficulté, de fins poteaux blancs viennent se greffer et supportent une simple dalle qui abrite l’intégralité des espaces. Après cette mise en bouche qui présage de belles surprises, une petite marche d’une quinzaine de minutes vous amènera jusqu’à l’entrée du complexe industriel imaginé par le Français Paul Brunat. N’ayez crainte, vous ne vous perdrez pas. Non seulement vous pourrez prendre le pas des nombreux touristes japonais qui s’y rendent aussi, mais tout simplement suivre le balisage mis en place depuis l’année dernière.
Tout au long du chemin, une multitude de boutiques et de restaurants vous rappellera que vous êtes sur la bonne route. Chacun à leur manière, les commerçants de Tomioka vous souhaitent la bienvenue, en affichant dans leur vitrine qui des dessins, qui des posters de ce qui fait la fierté de toute une ville, voire d’une région. Au terme de la petite promenade, vous arrivez enfin devant l’impressionnant bâtiment en briques qui rappelle certains sites industriels du nord de la France. Pas étonnant puisque le plan de la fabrique est dû à Edmond Auguste Bastien, collaborateur de François-Léonce Verny (voir p. 9) à l’arsenal de Yokosuka, autre symbole de la présence française à cette période clé de l’histoire du Japon. C’est pour des raisons pratiques que Paul Brunat a choisi d’implanter sa filature à Tomioka. Outre les cocons, l’eau et le charbon dont il avait besoin pour la faire fonctionner, l’ancien commissionnaire d’une maison de commerce allemande à Yokohama a trouvé un environnement favorable à la création d’une telle entreprise.
Répondant au désir des autorités japonaises de se doter d’une industrie d’envergure, le Français, qui avait travaillé dès son jeune âge dans l’industrie de la soie avant d’être employé à Lyon par une maison de gros, a créé une filature imposante pour l’époque avec ses 140 mètres de long, ses 12 mètres de large et ses 12 mètres de plafond. Lorsqu’on pénètre dans cette immense salle où l’on retrouve les machines à dévider les cocons, on ne manque pas d’être impressionné par ses dimensions et par la conception même du bâtiment. On découvre en effet la méthode de construction qui consistait à installer une armature de bois entre les briques. En parcourant le vaste domaine, on retrouve ce parti pris architectural avec les dépôts de cocons Est et Ouest. Ce qui frappe, c’est l’excellent état de conservation de ces bâtiments qui témoignent de l’extraordinaire mutation industrielle du Japon. Une fois la filature achevée, sa production s’est imposée comme la meilleure du pays et a permis au Japon d’obtenir le deuxième prix à l’exposition universelle de Vienne en 1873, un an à peine après son inauguration.
Dans un autre style, mais aussi dans un état impeccable, on trouve également la résidence de la famille Brunat, celle des instructrices françaises que le directeur était allé chercher en France pour assurer la formation des futures fileuses. Si vous possédez un smartphone, vous pouvez télécharger gratuitement une application en français qui vous aidera à vous orienter et vous donnera de nombreux détails sur ce lieu qui a continué à produire de la soie jusqu’en 1987. Il existe aussi des audio guides loués 200 yens. Reconnue comme Trésor national par le gouvernement japonais, la filature de Tomioka mérite qu’on s’y rende parce qu’elle témoigne à la fois des transformations du pays et de l’importance des échanges qui ont eu lieu avec l’Europe il y a un peu plus de 150 ans.
Odaira Namihei
Evénement :
Du 6 au 30 novembre, la ville de Lyon sera au cœur de plusieurs initiatives célébrant les relations entre la France et le Japon dans le domaine du textile. “Soyeux destins” s’intéressera notamment à la filature de Tomioka. Pour en savoir plus, rendez-vous sur : www.lyon.fr.emb-japan.go.jp/fr/
Pour s’y rendre :
Au départ de Tôkyô, empruntez le Shinkansen, ligne Hokuriku jusqu’à Takasaki. Comptez environ une heure. Changez et prenez la ligne Jôshin jusqu’à Jôshû-Tomioka (30 minutes).
La filature se situe à dix minutes de la gare à pied. Ouvert de 9 h à 17 h (fermée le mercredi). Entrée : 1000 yens.