Source d’inspiration du grand Miyazaki Hayao, la péninsule d’Izu ne manque pas de trésors à découvrir.
Les silhouettes des surfeurs se dessinent dans l’aube naissante. Il est 5h du matin et le soleil se lève doucement sur la plage de Kisami en cette fin de mois d’août. “Je viens ici chaque matin avant le travail”, raconte Arai Yûko une amie venue s’installer dans cette station balnéaire il y a 9 ans. Nous admirons le rocher rougeoyant qui émerge de la mer dans un concert impressionnant de cigales. Ici pas de boutiques de souvenirs ni de complexes hôteliers qui défigurent le paysage. Malgré sa proximité avec Tôkyô, Kisami a gardé son charme sauvage et une ambiance multiculturelle très particulière. Dans les collines qui enserrent la baie, les auberges japonaises traditionnelles se distinguent des hôtels de style victoriens construits en contrebas. Ce n’est sûrement pas un hasard quand on sait que Shimoda a vu débarquer la fameuse flotte des navires noirs du commodore Perry en 1853 qui ouvrit le Japon à l’Occident et sonna la fin de deux siècles d’autarcie ! Située à 5 kilomètres de Kisami sur la péninsule d’Izu, la ville a gardé une partie de son port historique baptisé “Perry road” où l’on peut apprécier le charme désuet des vieilles maisons au toit en ardoise namako ou manger une “Perry ice cream” devant le lieu de débarquement. “Il y a toujours eu beaucoup d’étrangers à Kisami, peut-être des descendants de Perry”, remarque Yûko en tirant son chien.
Le long de la route unique qui entre dans les terres, nous passons devant l’imposante maison blanche de l’Ernest House, clin d’œil à Hemingway, un des plus vieux hôtels de Kisami tenu par un Américain. Sur le deck, une famille nippo-américaine prend son petit-déjeuner composé de club sandwich, café et muesli. “Il y a plus de cuisine occidentale que japonaise à Kisami, mais pour un petit déjeuner traditionnel japonais, je connais l’endroit parfait”, m’affirme Yûko, en entrant quelques mètres plus loin, chez Tobiishi. Ouverte dès 7 h du matin, cette petite échoppe japonaise accueille déjà une grande tablée de surfeurs basanés et grisonnants. Au menu, chinchard grillé, nattô (soja fermenté) , soupe miso… et une bonne bière rafraîchissante. Des “Kanpai !” résonnent dans la salle. Malgré l’air marin, il fait déjà une chaleur torride à 8 h du matin. “Pour le café, il faut aller chez Ernest !” explique la tenancière Hattori Chioko en souriant avec ses bonnes joues. Avec son mari, elle ouvre cette échoppe de juillet à septembre depuis 40 ans. Elle amène deux autres plateaux petit-déjeuner “servis aussi le midi et le soir” avant de repartir en cuisine. Dos courbé par les longues heures passées sur ses réchauds, elle n’en garde pas moins une énergie débordante. Sûrement inspirée par un mantra qui trône au-dessus de la salle et qui pourrait se traduire par “Ne jamais se lasser de son commerce”. “Un surfeur de Kisami est allé aider les gens à Sendai après le tsunami de mars 2011. Et il m’a rapporté ce simple tissu de coton calligraphié en me racontant qu’un restaurateur de la région l’avait accroché dans son restaurant et que depuis son commerce avait fleuri miraculeusement !” confie-t-elle. Les clients rient de bon cœur. Certains d’entre eux viennent depuis 20 ans dans cette cantine familiale, véritable institution à Kisami. A côté du mantra, un poster délavé d’une dame se prélassant fesse à l’air dans une des fameuses sources thermales de la péninsule. “A cause du coronavirus, beaucoup de sources thermales ont fermé, mais il y a un petit bain public du côté de la plage voisine de Yumigahama”, recommande Mme Hattori. Un groupe de surfeuses vient à son tour demander une information sur la douche publique. “Elle est fermée ! Les autorités demandaient de désinfecter après chaque passage, c’était impossible pour le propriétaire”, explique la restauratrice à regret. “C’est un peu exagéré ! ” commente un des clients.
Un couple d’américains entre à son tour pour payer le parking en face et demander un renseignement. “Ce sont des réfugiés du corona”, murmure Mme Hattori. D’après elle, beaucoup d’étrangers ont fui la capitale depuis le début de l’épidémie pour venir s’installer dans les environs. Yûko qui tient un petit bar privé à Kisami acquiesce de la tête. “Les maisons aux alentours de Kisami ont été prises d’assaut”, assure-t-elle. Le ventilateur brasse de l’air de plus en plus chaud. Puis contre toute attente, une pluie drue se met à tomber alors que le soleil continue de briller. M. Hattori sort de sa rêverie. “C’est le temps où les renards marient leur fille”, murmure le viel homme. Le regard très doux derrière ses lunettes, il regarde le ciel avant de replonger dans son journal.
Nous repartons vers la mer en passant par le petit tunnel qui longe la colline. Vers 10 h, la plage est envahie par une faune beaucoup plus estivale. Des familles venues passer la journée ont investi l’ombre du grand rocher et ont installé tentes, glacière et transat. Un homme en string rose marche en compagnie d’une dame en legging et chaussettes, des couples dans des bouées en forme de canard flottent dans un carré d’eau qui délimite la zone de baignade. “Attention ! Ne vous éloignez pas !” hurle un haut-parleur à l’attention des baigneurs avec leurs bouées. Précaution exagérée, mais justifiée, selon les autorités, par le nombre de noyés chaque année et la présence du kuroshio, le second plus grand courant au monde après le Golfstream, Transportant les eaux chaudes du sud vers les régions polaires, le kuroshio alimente des eaux riches en coraux, en poissons et en squales. “Tu vois l’île là-bas, tous les ans à cette saison il y a des colonies de requin-marteau qui viennent”, assure Yûko en pointant du doigt l’île inhabitée de Mikomoto à seulement 10 km de la plage. Un endroit très prisé par les amateurs de plongée. A l’horizon, on aperçoit le cône de Toshima, une des cent îles de l’archipel d’Izu qui s’égrainent vers le sud. La péninsule d’Izu serait le seul endroit au monde où deux arcs volcaniques actifs rentrent en collision depuis 20 millions d’années. Cette intense activité a valu la classification par l’Unesco de plusieurs sites de la péninsule sous le label Géoparc, en raison de leur héritage géologique exceptionnel. Parmi ceux-là, la grotte de Ryûgyû à quelques kilomètres de la plage de Kisami dont le puit de lumière large de 40 m et sa forme en cœur attirent de nombreux touristes. Bien qu’un peu endommagée par le passage des derniers typhons, le site compte d’autres attraits dont la station de ski de sable, une pente naturelle qui chute de 30 degrés presque dans la mer et un charmant sanctuaire qui surplombe l’océan où on vient prier pour les divinités de la mer.
Mais selon Yûko qui a aussi été guide, les grottes les plus belles sont à visiter en kayak. L’équipe de Wonderful world organise des demi-journées pour découvrir les grottes en grès de la baie de Mera accessible uniquement par la mer. Je me joins à un groupe de deux personnes pour l’excursion qui commence d’abord par un cours d’apprentissage. Munie de pédales, le kayak de mer est facilement dirigeable mais il faut un certain talent pour arriver à se faufiler dans le couloir étroit des grottes. “Voilà c’est bien !” encourage le moniteur. Après 30 minutes à me cogner contre les parois rocheuses, je peux enfin me diriger vers les grandes grottes de grès. Comme un mini-parc d’attractions, nous entrons et sortons des interstices des grottes. On y entend parfois le cri d’une chauve-souris ou le battement d’ailes d’un héron. La roche magmatique qui se détache sur l’eau émeraude est du plus bel effet. Surtout quand après deux heures laborieuses à ramer, on se retrouve dans l’eau pour aller explorer les profondeurs en snorkeling. Selon les saisons, on y croise des demoiselles néons bleu électrique, d’élégants poissons flûtes et même des calmars. Au retour, je me prélasse les membres dans la source thermale du charmant Minatoyu, à côté de la grande plage de Yumigaoka, avant d’aller me retirer dans la fraîcheur verdoyante de l’auberge Wabi Sabi dont les petites chambres tatamis donnent sur un bout de montagne emplie du chant des cigales.
En fin d’après-midi, la plage de Kisami ferme son aire de baignade et revient au calme. Des standing kayaks fendent les flots tandis que des lecteurs assis confortablement sur une chaise profitent des derniers rayons du soleil. Sur la plage, une bande d’ados américains d’origine japonaise jouent avec les vagues. Beaucoup de couples mixtes qui parlent un peu toutes les langues. “J’ai été moi aussi charmée par l’ambiance internationale de Kisami”, explique Yumiko Crounch, une amie de Yûko. Cette native de Shikoku qui travaillait pour les grands magasins Seibu a fait le tour du monde avec son mari anglais avant de venir s’installer à Kisami. “Après Londres et Singapour, on a fini par atterrir ici il y a 8 ans !” Depuis cette mère de famille s’est mise à la retraite et passe ses journées à cuisiner ou conduire sa voiture de sport. Dans un paysage digne d’un film de Hitchcock, la “Road Star” serpente le long de la côte sur des paysages somptueux de pitons rocheux émergeant de la mer. Nous dépassons le cap Irozaki à l’extrême pointe de la péninsule pour monter vers le cap Aiai. “Tu vas voir de là-haut, c’est Jurassic Park”, me prévient Yumiko. Nous montons à pied les derniers mètres jusqu’au sommet du parc de Yusuge dont la terrasse a été formée par l’éruption du volcan Nanzaki il y a 400 000 ans. Couvert de fleurs de yusuge sauvages qui fleurissent à la tombée du soir, le site offre une vue sur l’océan à couper le souffle. Le soleil flamboyant se couche en projetant sur la mer d’or l’ombre mystérieuse des roches magmatiques. Si au Japon, tous les rochers à l’entrée des forêts ou des estuaires sont des portes sacrées, ceux d’Izu façonnés par des éruptions volcaniques ont quelque chose de mystique.
“Tu ne crois pas si bien dire”, rit Yûko en nous servant un saké de Shizuoka dans son bar privé qui fait face à un sanctuaire. Comme Yumiko, elle a roulé sa bosse à Paris et à Tôkyô avant d’atterrir à Kisami. Elle nous raconte une anecdote. “Quand je travaillais aux éditions Tokuma à Tôkyô, j’allais souvent boire après le travail dans un petit izakaya (bar) de quartier”, commence-t-elle en préparant un délicieux tartare de thon. “Il y avait toujours un vieux monsieur qui s’asseyait au bar pour prendre un verre. Un jour, je lui ai demandé ce qu’il faisait et il m’a dit qu’il dessinait des mangas. Au début, je n’y ai pas prêté attention car son visage ne me disait rien, mais ensuite j’ai appris que c’était Miyazaki Hayao !” Nous la regardons bouche-bée. “Des années plus tard, quand je suis venue m’installer à Izu, il m’a dit “Tu as fait un bon choix. Beaucoup de mes histoires ont été inspirées par la nature d’Izu”. Je repense immédiatement aux formes fantastiques des rochers coiffés d’arbres qui flottent sur la mer en m’exclamant : “Le château dans le ciel !”
Alissa Descotes-Toyosaki
POUR S’Y RENDRE
DEPUIS LA GARE DE Tôkyô, empruntez le train Odoriko de la compagnie JR qui assure la liaison directe jusqu’à Shimoda en moins de 3 heures. Depuis Shimoda, prendre un des nombreux bus jusqu’à l’arrêt de Kisami Ôhama (Grande plage de Kisami).
Les auberges traditionnelles, qui sont en général tenues par des personnes âgées, et les onsen (sources thermales) n’accueillent pas de touristes depuis le début de l’épidémie de Covid19. Bien se renseigner au préalable. De nombreux autres hébergements comme le Ernest house, le Oli Oli ou le Wabi Sabi restent ouverts. Vous pouvez louer un vélo mais attention aux dénivelés !