De simple journaliste, Hirai Michiko est passée rédactrice en chef de l’Ishinomaki Hibi Shimbun avant de prendre la direction du NEWSée. / Ishinomaki Hibi Shimbun Deux témoins privilégiés de l’évolution de la situation apportent leurs regards sur leur ville et leur métier. Depuis notre rencontre en 2011, Hirai Michiko, ancienne rédactrice en chef de l’Ishinomaki Hibi Shimbun et désormais présidente du NEWSée (voir pp. 12-13) et Akiyama Yûhiro, directeur du planning stratégique du quotidien, nous ont aidés à présenter leur ville tout au long de la décennie écoulée. Nous nous sommes réunis pour évoquer toutes ces années et la situation présente. En cette année qui marque le 10e anniversaire de la catastrophe du 11 mars 2011, quel est votre état d’esprit en tant qu’habitants d’Ishinomaki ? Quelles sont les manifestations prévues par la municipalité pour commémorer cette tragédie ?Hirai Michiko : Une cérémonie pour les morts se déroulera dans un nouveau complexe culturel et, nous recevrons, comme tous les ans, de nombreux médias curieux de savoir ce qui se passe dans la ville. Les habitants ne font rien de spécial à part une prière silencieuse et une visite aux cimetières pour certains. Chaque année, le 11 mars est plutôt une journée où l’on reste au calme, chacun avec ses souvenirs de la catastrophe. On peut l’assimiler à l’anniversaire du décès d’un proche, sauf que, pour nous, cela concerne l’ensemble de la ville. Ça ressemble au jour où l’on se souvient de la fin de la guerre, comme le 11 novembre en France, par exemple. Est-ce que les travaux de reconstruction sont terminés à Ishinomaki ?H. M. : La question des logements est résolue. C’était un objectif prioritaire. En 2017, la plupart des sinistrés ont pu quitter leurs préfabriqués et, en janvier 2020, après le départ du dernier habitant, tous ces logements provisoires ont été démontés. Néanmoins, au niveau des infrastructures, tout n’est pas fini. L’aménagement des routes locales et départementales se poursuit. Elles doivent être surélevées pour répondre aux risques de tsunami. Cela a donc pris du temps en raison du coût et de la complexité de certains dossiers fonciers. Il y a des terrains dont on ne connaissait plus le propriétaire et il a fallu mener des enquêtes de longue haleine. Peut-on dire que la population locale a repris une vie “normale” ? En 2012, vous aviez évoqué le principal sujet de préoccupation des habitants, à savoir le double crédit. Ils devaient rembourser le crédit de leur ancienne maison ravagée par le tsunami et celui de leur nouvelle habitation. La question a-t-elle été résolue ?Akiyama Yûhiro : Ceux qui vivaient dans les préfabriqués ont eu deux choix : acquérir leur propre maison ou s’installer dans un HLM destinés aux sinistrés. En plus de subventions distribuées, en bénéficiant de l’HLM à titre gratuit pendant 4 ans, ces personnes ont pu rembourser leur crédit. La question financière semble donc avoir été réglée pour eux.Mon attention a toutefois été attirée par le fait que les anciens habitants de petits villages de pêcheurs, qui ont été installés dans des HLM construits au centre-ville, tendent à vivre avec leur ancienne communauté. Ce n’est pas une mauvaise chose qu’ils se réunissent, mais cela engendre un phénomène qui rappelle la création de quartier chinois, par exemple. En 2011, ces anciens pêcheurs avaient 60 ans. Aujourd’hui, ils sont âgés de 70 ans et dans dix ans 80 ans. Puisque leurs enfants vivent ailleurs, après le décès des plus âgés, la communauté risque de disparaître. Nous avons donc du mal à imaginer l’avenir de la ville.H. M. : La ville a aussi construit des HLM dans certaines parties surélevées dans des petits villages pour ceux qui ne voulaient pas quitter leur lieu de vie. Là aussi, à cause du vieillissement de la population, il y a de plus en plus d’appartements vides. On ne sait pas encore quoi en faire.A. Y. : On reçoit de temps en temps des appels de ces personnes âgées qui veulent résilier leur abonnement au journal. Par exemple, j’ai eu un homme souffrant de solitude qui souhaite rejoindre son fils vivant à Sendai. J’imagine que, s’il n’y avait pas eu le tsunami en 2011, il aurait pu finir sa vie tranquillement dans sa maison héritée de ses ancêtres, son point de repère. Quand on parle du séisme, je pense à ces personnes âgées. Voilà, il y a donc deux types de population : ceux qui ont repris une vie “normale” dans leur nouvelle maison et ceux qui vivent toujours les conséquences de la catastrophe. Comment savez-vous tout cela ?A. Y. : Moi, j’écoute souvent nos abonnés parler.H. M. : Puisque le numéro de téléphone du journal figure sur l’édition papier, les lecteurs nous appellent sans hésiter. Ils doivent sans doute se sentir intimidés face à de grands journaux, mais puisque le nôtre est petit, ils nous considèrent comme leurs voisins. (rires)A. Y. : Puisque la plupart de nos journalistes sont originaires d’Ishinomaki, apparemment les habitants éprouvent de la sympathie à leur égard, plus qu’envers d’autres journaux régionaux ou nationaux. Ça me fait plaisir d’entendre les gens dire que l’Ishinomaki Hibi Shimbun est leur seul quotidien local.H. M. : Malgré nos responsabilités actuelles, nous continuons à écrire des articles en faisant des reportages sur le terrain. Certains habitants participent aussi à la réalisation du journal. Des spécialistes dans différents domaines (social, médical, etc.) écrivent des articles, ce qui est une des caractéristiques de notre quotidien. Après l’expérience des journaux muraux au lendemain du tsunami, quelle a été la réaction des habitants ? Y a-t-il eu un changement dans votre relation avec eux ?H. M. : Juste après, pendant une petite période, nous avons enregistré une augmentation subite du nombre d’abonnés en signe de remerciement aux informations que nous avons diffusées. Aujourd’hui encore, nous recevons quelques dons de la part de personnes qui souhaitent nous encourager, même de Tôkyô.A. Y. : Certaines nous disent encore maintenant “merci, j’avais vu des journaux muraux dans le centre d’évacuation.” Plus que jamais, depuis le 11 mars 2011, la rédaction du quotidien local est d’être au plus ...