L’événement a été l’occasion pour plusieurs familles de revenir dans leur ville natale encore inhabitée.
Face à la gare flambant neuve de Futaba, des drapeaux “L’espoir éclaire notre route” flottent sous le soleil du printemps. Sur le parvis, Nemoto Kazuki ne cache pas son émotion. “Cela fait dix ans que je n’ai pas vu autant de monde à Futaba”, dit-il en regardant une petite centaine de personnes venues encourager le passage du relais olympique. Originaire de la ville, ce quinquagénaire est arrivé de Yokohama avec sa famille pour faire partie des huit coureurs supporters de Futaba. “J’attends ce moment depuis deux ans ! Même si je n’habite plus ici, c’est ma manière d’encourager ma ville natale”, assure-t-il.
La désignation de Tôkyô comme hôte des Jeux olympiques a changé l’avenir de Futaba. Après que l’ancien Premier ministre Abe Shinzô a proclamé, en 2013, que la situation à Fukushima était “parfaitement sous contrôle”, les “Jeux de la Reconstruction et de Résilience” sont devenus un enjeu majeur pour montrer au monde que la catastrophe nucléaire de niveau 7 appartenait au passé. Choisi pour ouvrir le relais olympique, le périmètre évacué des 30 km autour de la centrale de Fukushima Daiichi a bénéficié de sommes massives pour faire peau neuve. Les travaux gigantesques de décontamination des sols ont abouti à la réouverture de plusieurs villages. Dernier sur la liste, Futaba a rouvert son centre-ville le 4 mars 2020, soit deux semaines avant le passage du relais olympique, finalement reporté au dernier moment en raison de la crise sanitaire. Il est finalement parti, le 25 mars 2021, du stade de J-village entièrement refait à neuf après avoir été la base de milliers de travailleurs nucléaires. Toutefois, malgré l’enthousiasme de certains habitants, l’événement a pris des allures de farce alors que les organisateurs devaient gérer la pandémie et des zones radioactives.
Sur une tribune faisant dos à une maison fracassée par le séisme, Izawa Shirô, le maire de Futaba, fait un dernier discours sur la reconstruction. Une poignée de journalistes tournent autour de la rotonde envahie de cars de police. Tout rassemblement est interdit rappellent les haut-parleurs avant d’ajouter : “Ne criez pas, respectez les distances sociales !” Un employé de la mairie distribue aux familles des fanions jaunes pour encourager le passage du relais “sans éclats de voix”. Devant la gare, une borne affiche le taux de radioactivité dans l’air et un centre d’information propose aux visiteurs la location de dosimètres à la journée. La présence de zones contaminées réparties dans toute la préfecture de Fukushima a forcé le Comité olympique à choisir un moyen pas très sportif pour transporter la flamme : interdits aux piétons et aux deux roues, certains segments ont été parcourus en voiture.
Enfin le son des taiko (tambours) annonce l’arrivée de la flamme. Un policier en jogging apparaît, suivi par une dizaine d’autres. La foule se presse tandis que les haut-parleurs demandent d’agiter les fanions. Le flambeau rose or passe au ralenti, porté par une jeune femme radieuse, encadrée par une armada de policiers et d’employés du Comité olympique. L’étrange procession fait le tour de la rotonde et rejoint, sur les derniers 100 mètres, l’équipe des supporters. Malgré la très courte distance parcourue, M. Nemoto ne cache pas sa joie. “C’est un des plus beaux jours de ma vie !” Ses 500 m s’achèvent par une séance photo avec le maire de Futaba et toute l’équipe. Puis la flamme est réembarquée en voiture pour rejoindre la ville voisine d’Ôkuma.
Devant la gare à nouveau déserte, M. Nemoto retrouve sa famille. Eparpillés depuis l’accident, les Nemoto se sont réunis pour cette occasion spéciale. “Je n’étais pas revenue à Futaba depuis deux ans”, dit Keiko, sa mère. La petite dame à l’air énergique y a passé toute sa vie et a perdu son mari lors de l’évacuation. “Mon mari était hospitalisé et n’a pas pu recevoir les soins nécessaires, il est décédé une semaine après l’accident”, raconte-t-elle. Nemoto Kazuki, qui avait déménagé à Tôkyô après ses études, n’a pas pu revoir son père vivant. “Je suis arrivé trop tard, il m’a fallu une semaine pour arriver à Fukushima car toutes les routes étaient bloquées.” Cadre dans une société allemande, cet ingénieur ne cache pas son soutien à la politique de reconstruction. “Je sais que beaucoup d’habitants ne sont pas venus voir le relais olympique, car ils sont contre. Certains m’ont demandé pourquoi je courais alors que la ville n’est pas du tout reconstruite. D’autres ont dit que le relais aurait dû passer dans les rues complètement détruites pour montrer ce que nous avons perdu. Il y a beaucoup d’avis différents”, reconnaît-il. Il veut toujours croire que le Japon peut créer des centrales nucléaires sûres. “Je suis le seul à penser cela dans la famille !” rit-il .
Son oncle et sa tante sont aussi venus le soutenir même s’ils ne partagent pas le même enthousiasme. “Le jour de l’accident, nous n’avons pris que quelques affaires pour la nuit, comment pouvions-nous savoir que ce serait la dernière fois ? Le nucléaire est une chose si effrayante”, murmure la vieille dame en marchant dans les ruines de sa ville. La famille Nemoto avait une maison à 3,5 km de la centrale. “Avec mes trois frères et ma mère, nous avons décidé, il y a deux ans, d’autoriser sa démolition”, confie M. Nemoto. La maison se trouve à présent dans la zone du site de stockage de déchets radioactifs. Keiko hoche doucement la tête. “Nos voisins veulent garder leur maison. Mais à quoi bon vivre à côté d’une décharge radioactive ? Je préfère commencer une autre vie.” Un magnifique cerisier a fleuri dans un jardin d’enfants rempli de sacs de terre contaminée. “J’ai adoré courir pour le relais car je voudrais faire quelque chose pour Futaba, mais je ne reviendrai probablement jamais vivre ici” murmure Kazuki.
Alissa Descotes-Toyosaki