On connaît la seconde ville du Japon pour son port et son quartier chinois, découvrez sa face cachée.
Il y a dix ans, j’ai découvert Taniguchi Jirô grâce à son manga intitulé L’Homme qui marche (Aruku Hito, Casterman). Le protagoniste de ce charmant petit ouvrage est un salarié d’une trentaine d’années qui, dans son temps libre, aime se promener autour de sa maison située dans la banlieue. Il ne se passe rien de particulier dans ces histoires, mais il y a toujours quelque chose – un petit détail, un son subtil – qui parvient à attirer son attention. Alors que la plupart des gens s’agitent autour de lui, cet homme laisse son regard curieux errer, comme un flâneur de banlieue, jusqu’à ce que même les petites choses familières se transforment en épiphanies extraordinaires.
J’ai récemment relu ce livre et je me suis rendu compte que l’endroit où je vivais était très semblable à celui représenté par Taniguchi Jirô. J’ai donc décidé de suivre l’exemple de L’Homme qui marche et d’explorer mon quartier en ayant une nouvelle approche avec les yeux et les oreilles grands ouverts.
Le quartier autour de la gare a été récemment réaménagé. Fini les vieilles boutiques poussiéreuses. A leur place, on trouve maintenant un bloc d’immeubles, un tout nouveau supermarché et l’incontournable restaurant familial. Cependant, le coin situé derrière ma maison n’a pas changé du tout depuis mon arrivée il y a 13 ans. Il suffit de passer le coin de la rue pour avoir une vue magnifique sur de petites parcelles cultivées et une petite rivière qui serpente lentement vers la baie de Tôkyô. J’adore me promener le long des nombreuses rizières et voir comment elles changent au fil des saisons. Début juin, les champs irrigués reflètent le ciel changeant. Pendant l’été, ils se transforment en une mer verte brillante, une nuance que je n’ai jamais rencontrée en Europe et qui ne cesse de me fasciner. Au moment des moissons, on voit apparaître des milliers de bottes paille de riz semblables, à la nuit tombée, à des milliers de soldats en faction.
La rivière coule entre deux hauts murs de béton et abrite des dizaines de carpes grises. Ce sont d’énormes poissons voraces qui se rassemblent en hâte le long des rives chaque fois que quelqu’un se penche sur la clôture, en espérant être nourris avec du pain.
Si cette rivière n’a rien d’un lieu exotique, il y a des moments où, si vous êtes chanceux, vous pouvez apercevoir un oiseau semblable à une cigogne debout, parfaitement immobile au milieu de la rivière peu profonde. Dans son élégante beauté, on dirait une apparition fantomatique.
Puisqu’on évoque les oiseaux, mon quartier semble être leur lieu de rendez-vous. Un jour, alors que je rentrais chez moi à partir de la gare, en prenant un raccourci à travers un groupe d’immeubles, j’ai remarqué un couple d’hirondelles virevoltant dans le dédale des passages bétonnés. J’ai alors décidé de les suivre pour finalement découvrir leur nid installé sous un plafond. Apparemment, ils reviennent chaque année, et les résidents ont même installé une étagère en bois afin de protéger le nid… et les passants des fientes d’oiseaux. Depuis cette découverte, j’ai commencé à faire plus attention à mon environnement et je suis devenu plus attentif aux oiseaux qui volent tous les jours autour de ma maison. Il y a des moineaux en quête permanente de nourriture et les grands corbeaux à l’air effrayant qui règnent sur la rue, intimidant les petits oiseaux et fouillant les sacs à ordures. Ce printemps, pour la première fois, un couple de pies a fait son nid dans la maison de mes voisins, les Tanabe, dans une ouverture étroite entre le mur et la fenêtre. Les maisons japonaises étant construites toujours près les unes des autres, il m’est très facile d’observer les allées et venues du jeune couple qui nourrit alternativement sa progéniture. Chibita, la chatte des Tanabe, passe paresseusement son temps à se promener dans le quartier, levant les yeux vers tous ces oiseaux. L’après-midi, on la retrouve généralement dans le temple voisin en train de faire une sieste, rêvant probablement d’en attraper un.
Les oiseaux sont aussi présents sur les plaques d’égout de l’immense parc situé près de mon domicile. Cela m’a fait penser à la multitude des styles que l’on rencontre pour les plaques d’égout au Japon. Un jour, je me suis rendu à la bibliothèque du quartier pour en apprendre un peu plus sur ces éléments du décor urbain et j’ai été surpris de découvrir plusieurs livres sur le sujet avec des titres allant de “Guide complet des plaques d’égout” à “Ces gens qui aiment les plaques d’égout”. Il semble que les gens ici considèrent les plaques d’égout avec beaucoup de sérieux. J’ai même trouvé sur Internet une association japonaise des plaques d’égout. Près de 2 000 municipalités ont doté leurs plaques d’égout d’un décor original, avec principalement des fleurs et des animaux. On trouve ensuite des motifs géométriques.
Aujourd’hui, j’ai eu la chance de terminer mon travail plus tôt que d’habitude. Ma femme est venue à ma rencontre à la gare et, ensemble, nous avons pris la direction des rizières où nous avons mangé le gâteau qu’elle venait de préparer tout en regardant le petit train local qui rythme notre vie quotidienne. Passage de train et sucreries, que voulez-vous de plus ?
Jean Derome