En cette rentrée 2021, deux films ont retenu notre attention avant la sortie en décembre de celui de Hosoda Mamoru.
Tandis que la crise sanitaire continue de nous empoisonner la vie, comme l’obligation de présenter un document pour pénétrer dans les salles de cinéma, les esprits du 7e Art nous offrent deux superbes pépites qui, espérons-le, nous aideront à franchir cette mauvaise période. En effet, Le Sommet des dieux (voir Zoom Japon n°48, mars 2015), qui sort le 22 septembre, et 7 jours que l’on pourra découvrir le 13 octobre, nous offrent une belle leçon d’engagement et d’espoir, deux éléments dont nous avons le plus besoin actuellement pour ne pas baisser les bras devant l’adversité.
Le premier film est une adaptation du manga éponyme de Taniguchi Jirô (voir Zoom Japon n°47, février 2015) et Yumemakura Baku signée par Patrick Imbert. Le plus européen (dans l’esprit) des mangaka est donc à l’origine d’une formidable réalisation qui se distingue non seulement par sa qualité technique, mais aussi et surtout par sa profondeur en termes de réflexion. Derrière l’histoire du journaliste Fukamachi en quête de l’appareil photo du Britannique George Mallory grâce auquel on pourrait savoir s’il a été le premier à atteindre le sommet de l’Everest en 1924 et que l’alpiniste Habu Jôji aurait en sa possession, le réalisateur a su conserver tout le mystère qui entoure cette passion dévoreuse pour l’alpinisme. Pourquoi aller se perdre dans la montagne ? Pourquoi risquer sa vie ? Quelles sont les motivations d’un alpiniste ? Autant de questions qui surgissent tout au long de cette petite merveille qui prouve la qualité de l’animation made in France.
Ces dernières années, on a vu des dessinateurs se lancer dans le manga, certains avec succès. Patrick Imbert n’a pas cherché à faire un anime. Il a créé une œuvre originale fondée sur un manga dont il n’a pas repris les codes même si, rappelons-le, Taniguchi Jirô avait développé un style hybride entre le manga et la ligne claire. En s’extrayant de toute pression stylistique, le réalisateur et son équipe ont pu se concentrer sur la dimension philosophique du manga (lui-même adapté du roman inédit en France de Yumemakura Baku), laquelle a nourri sans aucun doute leur réflexion sur la manière de la transcrire à l’écran.
Le résultat est tout simplement bluffant. Le travail sur les décors de montagne est admirable. Ainsi l’ascension finale, qu’entreprend Habu Jôji du versant sud-ouest de l’Everest, le même que Mallory, avec sur ses traces le reporter, nous fait vibrer comme si nous y étions. Le fracas des avalanches, le bruit de la roche sous nos pieds, ou encore celui du vent qui se lève en tempête, rien ne manque pour saisir le spectateur et le mettre dans une situation d’attente presque insoutenable. Il faut saluer les efforts consentis sur le son sans lequel le film aurait perdu de sa force. Ce qui distingue Le Sommet des dieux d’autres films d’animation, c’est un juste équilibre qui évite à tel ou tel élément de prendre l’ascendant sur les autres. Dès lors, cela a permis de creuser l’histoire et de façonner des personnages auxquels on s’attache et dont la vision personnelle de la montagne permet au spectateur d’alimenter sa réflexion par rapport aux diverses questions existentielles posées dans ce film.
Comme toutes les œuvres majeures, celle-ci vaut d’être vue et revue car elle offre aussi quelques beaux moments de poésie, ce dont on manque cruellement de nos jours. Il ne faut pas s’en priver. Bien qu’il s’adresse à priori à un public plus jeune, 7 jours de Murano Yûta, sorti au Japon en 2019, est aussi une œuvre que n’importe qui devrait voir en raison de son contenu. Le titre original, Bokura no nanokakan sensô (“Notre guerre des 7 jours”), traduit mieux les enjeux de cette histoire qui a déjà connu plusieurs adaptations. Le roman de Sôda Osamu publié en 1985 a connu deux adaptations cinématographiques en 1988 et 1991. Les deux films proches de l’œuvre initiale mettaient en scène un groupe de collégiens en révolte contre la pression exercée sur eux par les professeurs et l’encadrement scolaire. Avec la jeune Miyazawa Rie, il s’agissait de dénoncer la dureté de l’école au Japon, à un moment où c’était un thème de discussion important dans le pays.
La version animée de Murano Yûta ne s’intéresse pas à cet aspect des choses dans la mesure où, dans le Japon des années 2020, l’école a perdu en grande partie sa dimension infernale. La mise en œuvre de ce qu’on a appelé le yutori kyôiku (éducation décontractée) dans les années 1990 a permis de réduire notablement la pression scolaire. Pour autant, les sujets sur lesquels les jeunes peuvent se mobiliser contre les adultes restent nombreux. Le prétexte initial de la fugue des six adolescents peut apparaître futile puisqu’il s’agit de permettre à Aya, dont le père politicien a décidé de déménager à Tôkyô, de fêter son 17e anniversaire. Très vite pourtant, Mamoru, le voisin de la jeune fille dont il est amoureux et qui a organisé cette fuite, et les autres participants se retrouvent confrontés à une réalité beaucoup moins légère. Dans l’ancienne mine où ils se sont retranchés, ils font la connaissance d’un jeune réfugié thaïlandais qui tente d’échapper à la police en attendant de retrouver ses parents.
A partir de cet instant, le film prend une toute autre dimension. On passe d’un film léger à une fiction qui brasse de nombreuses thématiques vis-à-vis desquelles il est indispensable de se positionner. Au Japon, peut-être plus que dans d’autres pays, la jeunesse est très peu engagée dans la politique, contribuant à enraciner des pratiques politiques détestables dont le père d’Aya est très représentatif. Murano Yûta a donc choisi de montrer que l’on pouvait se battre pour des idéaux de justice et qu’en faisant preuve d’imagination et de solidarité, il était possible de résister au manque d’humanité dont les autorités peuvent parfois faire preuve. Dans les rapports entre les différents personnages, le réalisateur a choisi de sortir des sentiers battus et d’évoquer entre autres les rapports amoureux entre personnes du même sexe. Il peut d’autant plus se le permettre que sa maîtrise technique – les décors et l’animation sont de grande classe – est admirable. Cela donne, là encore, une œuvre pleine de vie et on ne s’en plaindra pas dans cette phase mortifère que nous traversons. Odaira Namihei