
Depuis son atomisation, la cité est devenue le symbole du combat en faveur de la paix dans le monde. / Gianni Simone pour Zoom Japon La ville, qui a subi le feu atomique le 6 août 1945, a perdu ce jour-là une bonne partie de son âme. Lorsque j’ai atteint Hiroshima (voir Zoom Japon n°68, mars 2017) - la dernière étape de mon voyage - le typhon m’avait presque rattrapé, j’ai donc rapidement laissé mon sac à dos à l’hôtel et je suis sorti me promener. Ma première destination a inévitablement été le Mémorial de la paix, le bâtiment - également connu sous le nom de dôme de la bombe A - qui est devenu le symbole de la ville. C’est aussi son aspect le plus frappant, non seulement parce que c’est le plus célèbre rappel de la tragédie, mais aussi parce qu’il transmet de manière directe, sans filtre et tangible la matérialité de la destruction.Le Mémorial est généralement filmé ou photographié de loin ; nous ne voyons que le squelette d’un bâtiment, une coquille vide. Selon l’humeur et l’inclination, les restes du dôme qui coiffe le bâtiment ressemblent soit à un chapeau finement ciselé, soit à une couronne d’épines, transformant la ville entière en un nouveau Christ de l’ère nucléaire. Ce n’est que de près qu’il révèle ses entrailles pourries - les murs de briques nus et les poutres de bois brisées. Vu de loin, le Dôme est presque beau, mais quand on s’approche et qu’on jette un coup d’œil à l’intérieur, on est confronté à la laideur de la guerre, de la mort et de l’annihilation insensée.A ce moment-là, mon humeur reflétait le ciel qui s’assombrissait. Ma femme, qui avait visité Hiroshima il y a quelques années, m’avait incité à visiter cette ville de la paix, mais j’avais des sentiments mitigés à ce sujet. En effet, parler de cet endroit sera toujours délicat en raison de son histoire et de sa signification, des nombreuses choses qui ont été dites à son sujet et de celles qui restent souvent inexprimées. De manière assez choquante, Hiroshima est devenu un site touristique dès la fin de la guerre - le genre de destination morbide qui attire aujourd’hui les amateurs de “tourisme noir”. Les soldats américains ont afflué pour voir ce que la bombe atomique pouvait accomplir - et acheter quelques souvenirs atomiques - et les autorités locales ont accepté le nouveau rôle de la ville. Après tout, Hiroshima avait perdu près de 80 % de son économie, et le tourisme était considéré comme un moyen viable de remettre la ville sur pied. Dans le processus, Hiroshima a été transformée en victime - le symbole du mouvement anti-guerre et antinucléaire.Pourtant, pendant de nombreuses années, son identité a été étroitement associée aux militaires et aux ambitions impériales du Japon, à commerncer par la guerre sino-japonaise (1894-95). A l’époque, la Cour impériale et la Diète avaient quitté Tôkyô pour s’installer à Hiroshima afin de mieux superviser les opérations. Les guides touristiques d’avant-guerre mettaient d’ailleurs fortement en avant les sites commémoratifs et militaires qui célébraient la victoire du Japon. Aujourd’hui, en revanche, le parc du château de Hiroshima est décrit comme un petit héritage pittoresque de l’histoire ancienne, sans lien avec le présent, en oubliant de mentionner que, pendant la guerre sino-japonaise, il avait servi de quartier général impérial.Cette nuit-là, j’ai souvent entendu de ma chambre d’hôtel le bruit d’un tonnerre sourd qui approchait. Ce n’est que le lendemain matin que j’ai compris que le bruit ne venait pas du ciel mais des tramways, ces trains urbains au charme inépuisable qui suivent leur propre chemin sans se soucier du trafic automobile qui les entoure. En effet, la meilleure façon de connaître Hiroshima est de prendre ses tramways, bon marché et fiables. Ils vont presque partout et...