La célèbre station thermale est aujourd’hui très fréquentée par les futurs candidats au permis de conduire.
Nichée dans les montagnes du nord-est de la préfecture de Fukushima, Iizaka Onsen est une ravissante station thermale que je découvris en passant mon permis de conduire. En effet, il existe au Japon des auto-écoles dans les endroits les plus beaux de l’Archipel qui offrent une formation accélérée avec un forfait en pension complète dans une auberge traditionnelle ou un hôtel. Un moyen idéal de séjourner dans des endroits insolites pendant une dizaine de jours et de joindre l’utile à l’agréable.
Située au nord de la ville de Fukushima, à 250 kilomètres de Tôkyô, Iizaka Onsen est accessible par la petite ligne de train Iizaka en 20 minutes. Dès qu’on y arrive, on est saisi par le charme provincial de ce bourg construit le long d’une rivière cernée de hautes montagnes. La jolie gare en bois héberge un marché hebdomadaire qui vend légumes et fruits de saison. Sur la grande place, une imposante statue de Matsuo Bashô rappelle que le célèbre poète, qui a parcouru cette région au XVIIe siècle avec son bâton de pèlerin, a fait un séjour dans cette station thermale réputée. Son voyage est relaté dans le carnet de route L’Étroit chemin du fond (Oku no Hosomichi (trad. et commenté par Alain Walter, éd. William Blake, 2008). En face, plusieurs beaux bâtiments en bois dont l’office du tourisme donnent sur une rue étroite qui semble sorti d’un autre âge. J’aperçois aussi un curieux monument en forme de stèle pyramidale avec un œuf à son sommet, mais je n’ai pas le temps de lire l’explication, ma formation à l’auto-école de Matsuki commence immédiatement par 7 heures de cours.
Dans la classe on nous rappelle d’abord le système complexe du permis japonais. A la fin de la première semaine, il faut d’abord passer un premier examen de code et de conduite, puis à l’issue de la deuxième semaine, un second examen de conduite, et ensuite un ultime examen de code à la préfecture de police de son domicile. Mémoriser toutes ces informations tout en essayant de s’adapter aux multiples obligations de l’école n’est pas aisé. Mais quand la journée se termine par une leçon de conduite au beau milieu d’un verger de pêchers en fleurs, on se dit qu’on a fait le bon choix. L’endroit est absolument superbe, avec le rose vif des arbres et le soleil qui se couche derrière le mont Azuma enneigé, le plus haut sommet de Fukushima. Je décide de rentrer à pied par les chemins de traverse qui longent la rivière Surikami bordée de petites maisons et de potagers. De grandes cigognes survolent la campagne parfaitement calme embaumée de senteurs printanières.
Un vieil escalier en pierres me mène jusqu’au pont suspendu de Totsuna. Le plus vieux pont en fer du Japon construit en 1915 offre une vue imprenable sur la ville. Se reflétant dans les eaux vertes, de vieux bâtiments datant de l’époque Shôwa (1926-1989) font face à des thermes de style Edo (1603-1868) dont le célèbre Hakoyu. Construit il y a 1200 ans, le Hakoyu avec sa tour emblématique en forme de tambour a été reconstruit à l’identique et comporte deux grands bassins. Riche de neuf bains communautaires, Iizaka Onsen accueillait jadis les voyageurs qui arrivaient après de longues journées de marche, mais ne proposait pas d’hébergement. A présent, la ville regorge de multiples onsen ryokan, ou “auberges thermales”, construites le long de la rivière. La mienne se nomme Tsutaya. Située en face de la gare, elle offre, sur 4 étages, de larges chambres en tatami dont certaines en face d’un petit jardin japonais.
Au restaurant du 2e étage, mon hôtesse me présente à une tablée de six candidats au permis. Malgré la crise sanitaire, les hôtels de la ville arrivent à joindre les deux bouts grâce aux élèves de l’auto-école Matsuki, nous dit-elle. Très durement touchée par l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi en mars 2011, la région de Fukushima peine à attirer les visiteurs : le nuage radioactif successif aux trois explosions des réacteurs a aussi contaminé des zones à plus de 50 kilomètres à la ronde. Mais mes jeunes acolytes agés entre 18 et 23 ans n’ont pas l’air de s’en soucier. L’un d’eux a choisi Iizaka Onsen car c’était le plus près de chez lui, un autre car il n’était jamais venu à Fukushima. Pour ma part, j’ai quand même pris un compteur Geiger pour vérifier la présence ou non de hotspot, de pics radioactifs. Heureusement, les alentours d’Iizaka Onsen ne semblent pas touchés. Enfin, le repas est servi, avec une multitude de petits plats, épinards saupoudrés de katsuobushi (bonite séchée), bouillon aux boulettes de poissons, saumon grillé. Notre hôtesse revient pour demander à chacun son emploi du temps. Nous avons 9 jours avant le premier examen. En cas d’échec, il faudra payer pour chaque nuit supplémentaire. Un argument qui fait rentrer chacun dans sa chambre pour réviser son code. Heureusement, il y a le bain pour relaxer nos cerveaux surchauffés. Celui de l’auberge Tsutaya est un kakenagashi, un bain qui tire sa source directement dans le sol.
Les jours suivants, je fais le tour de la ville et remarque plusieurs enseignes qui affichent radium tamago, autrement dit des œufs au radium ! La spécialité d’Iizaka Onsen depuis presque un siècle. Dans la boutique Abetome, je découvre une multitude d’œufs enveloppés dans des papiers de couleurs et un emballage reconnaissable entre tous. “La maison Abetome est une institution qui remonte à 1878 et qui a inventé les œufs au radium dans les années 1930. C’est devenu le symbole d’Iizaka et nous en sommes fiers !” affirme M. Abe qui a repris la maison familiale. D’une texture unique et crémeuse, les “œufs au radium” étaient à l’origine cuits lentement dans les eaux thermales au radium, d’où leur curieux nom. En effet, comme le rappelle le monument de l’œuf sur la place de la gare, Iizaka est le premier endroit au Japon où l’on a découvert du radium en 1904, soit 6 ans après Marie Curie. La célébrité d’Iizaka venait donc de ses eaux thermales radioactives, propriété qui, il y a une cinquantaine d’années, était très recherchée en Europe comme au Japon. Cependant, de nos jours, le radium n’est plus à la mode. Tant mieux pour Iizaka Onsen, car ses eaux ont perdu pratiquement toute leur teneur en radium. Seul demeure le radium tamago, devenu une référence pour toutes les boutiques de souvenirs de la région. Cuit dans les sources thermales à 70 degrés, cet œuf mollet se mange sur du riz comme le célèbre onsen tamago (œuf cuit à l’eau chaude des sources thermales) qu’affectionnent tellement les Japonais.
En face de la maison Abetome, on trouve le petit café Matsubokkuri. Celui-ci propose une autre spécialité locale : la dégustation de gâteaux en prenant un bain de pieds ! Dans un décor moderne de murs noirs éclairés de larges fenêtres qui donnent sur la nature, un large bassin occupe la pièce. Il y coule une eau thermale à 40 degrés. La propriétaire m’invite à me déchausser et plonger mes pieds dans cette eau brûlante qu’elle a préalablement rafraîchie. Assise sur le rebord, je déguste un fameux cheese cake et une tasse de café tout en révisant mon code de la route, les pieds dans l’eau. Une expérience unique.
Après un premier succès à l’examen, nous avons enfin le plaisir de sortir du circuit de l’auto-école pour prendre la route. Nous longeons des rivières, traversons des ponts et des vergers, passons des sanctuaires. Avec toujours cette vue imprenable sur le majestueux mont Azuma où la neige a dessiné un lapin blanc. Quand le lapin apparaît, c’est la saison des semences disent les paysans. Les pêchers ont verdi et le printemps s’achève. Je fête la fin du permis en me prélassant dans le Sabakoyu, le plus vieux (1689) et le plus imposant des bains publics d’Iizaka. On y accède par la rue de Yuzawa qui monte vers les collines.
Un voyage à travers le temps où l’on passe des boutiques de l’ère Shôwa qui vendent des pâtes de riz o-mochi, des restaurants qui offrent la spécialité locale, les enban gyôza, des raviolis chinois frits et croustillants, et des demeures de riches marchands de l’ère Edo comme le Kyû Horikiri-tei avec ses entrepôts en dozô, les murs en torchis, et ses jardins fleuris qu’on peut admirer en prenant un bain de pieds et de main…Un petit sanctuaire shintô où l’on vient prier pour rester en bonne santé jouxte le Sabakoyu, véritable monument historique de l’ère Edo et rénové à l’identique en 1993.
A l’intérieur, sa structure en bois de cyprès de plusieurs mètres de haut domine deux bassins – homme et femme – et des vestiaires à l’ancienne, sans cloison, qui donnent directement sur le bain. Autour, deux charmantes dames se frottent le dos avec une serviette tout en bavardant. De l’autre côté de la cloison, on entend le rire des hommes qui s’aspergent énergiquement. Un rayon de soleil perce à travers les baies vitrées du plafond, enveloppant cet endroit d’une calme volupté. La peau douce et l’esprit reposé, il ne me reste plus qu’à arpenter la rue de Yuzawa en faisant chanter mes getas sur les escaliers en pierres, en fredonnant Chanko-chanko, la ballade d’Iizaka.
Alissa Descotes-Toyosaki
Pour s’y rendre
Depuis Tôkyô, empruntez le Tôhoku Shinkansen jusqu’à la gare de Fukushima (2 heures) puis la ligne de train locale Iizaka jusqu’à Iizaka Onsen.
Le plus fameux restaurant d’enban gyôza est le Gyouza Terui, Iizaka Honten (1-21 Nishiki-chô, Iizaka-machi, Fukushima-shi, 960-0201. Tél. 024-542-4447. 17h-23h, fermé le mercredi) qu’a visité l’ancien Premier ministre Abe Shinzô