Matsumoto Tsuyoshi, rédacteur en chef du Ryûkyû Shimpô, au musée du journal, le 22 février 2022. / Ryûkyû Shimpô A la tête du Ryûkyû Shimpô, Matsumoto Tsuyoshi s’inquiète des bases américaines, mais se montre optimiste. L e Ryûkyû Shimpô est, avec l’Okinawa Times (voir pp. 9-11), le principal journal de la préfecture et, comme son confrère, il est critique à l’égard du traité de sécurité nippo-américain et des bases américaines à Okinawa. Zoom Japon a eu la chance de s’entretenir avec le rédacteur en chef du Ryûkyû Shimpô, Matsumoto Tsuyoshi, pour évoquer l’histoire de l’archipel et de certaines de ses problématiques récurrentes. Né à Naha en 1965, il a rejoint le journal en 1989. Il a été en charge de plusieurs rubriques dont celles des faits divers, de la politique et de l’économie avant de devenir rédacteur en chef adjoint en 2013. Il occupe son poste actuel depuis avril 2019. Quel est votre regard sur le 50e anniversaire de la restitution d’Okinawa au Japon ?Matsumoto Tsuyoshi : Permettez-moi de commencer par un souvenir personnel du jour où Okinawa a été rendu à la souveraineté japonaise. Comme vous pouvez l’imaginer, tout le monde était très heureux. A l’époque, le 15 mai 1972, j’étais en première année d’école primaire et mon père était employé par le gouvernement préfectoral d’Okinawa. Il avait été affecté au bureau en charge des célébrations de cet événement. Après la cérémonie, des membres des syndicats et d’autres habitants se sont réunis dans un parc voisin pour discuter du fait que le retour d’Okinawa au Japon n’allait pas vraiment changer grand-chose pour eux, puisque les bases militaires américaines étaient toujours là et continueraient d’être un fardeau pour la communauté. La discussion a été suivie d’un rassemblement de protestation sous une pluie battante. J’étais là, sur l’épaule de mon père.Ce matin-là, à l’école, mon professeur avait dit que c’était un grand jour pour Okinawa. On nous avait servi un déjeuner spécial qui comprenait des kôhaku manjû (pâtisserie traditionnelle à base de farine que l’on mange lors de célébrations spéciales), alors vous pouvez imaginer à quel point j’étais heureux. Mais ce soir-là, lorsque mon père m’a emmené au rassemblement, tout le monde, pour une raison ou une autre, était en colère. C’est le premier souvenir que j’ai gardé de ma prise de conscience que les choses n’allaient pas à Okinawa : être avec mon père pendant deux heures sous la pluie, entouré de gens en colère. Cette année, nous célébrons le 50e anniversaire de cet événement et je vais avoir 56 ans, mais à bien des égards, les choses n’ont pas changé. Il y a encore trop de bases américaines à Okinawa, et les gens se plaignent encore du fait que 70 % des bases américaines au Japon sont toujours situées à Okinawa.Au Ryûkyû Shimpô, nous avons décidé de ne pas utiliser l’expression Hondo fukki (“retour à la métropole”). Nous parlons plutôt de Nihon fukki (“retour au Japon”), car nous estimons qu’après 50 ans, notre désir de voir Okinawa se transformer en une île pacifique ne s’est pas encore réalisé. La colère ressentie par les personnes qui ont participé à ce rassemblement avec moi est toujours là. Okinawa a d’abord été séparée du reste du pays avec la complicité du gouvernement japonais. Il y a 50 ans, l’archipel a été rendu par l’administration militaire américaine, c’est vrai, mais le vrai problème est que trop de choses concernant Okinawa sont encore décidées par les gouvernements américain et japonais sans prendre la peine de consulter la population locale. En d’autres termes, en 1972, Okinawa a été officiellement rendu au Japon, mais seulement sur le papier. Même maintenant, après 50 ans, nous discutons toujours de la corrélation problématique entre ces trois acteurs : Okinawa, le Japon et l’Amérique.Il est vrai que la restauration de l’autorité japonaise sur Okinawa a également permis la construction de nouvelles routes et usines. Elle a favorisé une amélioration générale de la qualité de vie dans les îles. L’archipel est également devenu très populaire auprès des touristes, qu’ils viennent de l’étranger ou du reste du Japon. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Il ne s’agit pas seulement d’être traité injustement en matière de sécurité nationale, car nous devons assumer la majeure partie du fardeau de l’accueil des bases américaines. Okinawa, par exemple, est l’une des préfectures dont le niveau de revenu est le plus bas du pays et, selon la dernière enquête, le taux de pauvreté des enfants à Okinawa est de 23 %, soit environ le double de la moyenne nationale. Quand on regarde ces chiffres, on se rend compte que l’économie locale est loin d’être saine et que la qualité de vie est assez insatisfaisante. Nous devons encore faire face à de nombreux défis tels que les retards dans le développement d’une structure sociale solide et d’un environnement éducatif adéquat. Et tout cela...