Le gouvernement japonais a enfin décidé de rouvrir les frontières du pays, mais pour combien de temps ?
En raison de la situation critique en Ukraine, depuis l’invasion de ce pays par la Russie, le 24 février la Poste japonaise a purement et simplement décidé de suspendre tout envoi par voie aérienne vers l’Europe. Cette décision, qui sera peut-être levée au moment où ce numéro de Zoom Japon sortira, est une nouvelle illustration de ce penchant du Japon à se couper des autres comme il le fit pendant un peu plus de deux siècles à partir du début du XVIIe.
A l’époque, il s’agissait de préserver le pays des influences néfastes des religieux espagnols et portugais susceptibles de remettre en cause le pouvoir shogunal, voire l’unité du pays durement acquise. Cette période de fermeture du pays (sakoku), même si celle-ci a été relative (voir pp. 7-8), a durablement imprégné la mentalité des Japonais qui semblent apprécier l’idée de se replier sur eux-mêmes afin de ne pas être contaminés par les autres.
En dépit d’une phase historique récente, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, au cours de laquelle le Japon a été tenté par un expansionnisme de mauvais aloi qui s’est achevé dans le sang, le pays a entretenu un certain goût de l’entre-soi. Même lorsqu’il s’est hissé sur le podium des grandes économies mondiales et s’est imposé comme une puissance exportatrice, il a cultivé l’idée que ce qui venait de l’extérieur ne pouvait pas convenir. Il faut se rappeler dans les années 1980 l’argument selon lequel certains équipements de ski venant de France ne pouvaient pas être vendus dans l’Archipel parce que la neige japonaise était différente de celle tombant en Europe. Au-delà de cette anecdote, expression d’une tendance protectionniste très en vogue à l’époque, il est impossible de ne pas voir poindre cette idée que le Japon ne peut exister qu’en s’appuyant sur ses propres forces.
Pourtant, ces dernières années, les autorités japonaises ont compris qu’il fallait miser sur l’extérieur pour lui redonner la dynamique perdue après l’éclatement de la bulle financière au début des années 1990. L’un des secteurs sur lequel elles ont parié est le tourisme. En l’espace d’une décennie, le nombre de visiteurs étrangers a été multiplié par 5, passant de 6,7 millions en 2009 à près de 32 millions en 2019. Cela a pu donner l’illusion que le pays était prêt à s’ouvrir et à remiser son esprit de fermeture malgré quelques signes, comme à Kyôto où certains riverains manifestaient (à juste titre) clairement leur lassitude face à la présence massive de touristes.
Las, la pandémie de la Covid-19 a réveillé l’esprit de sakoku. L’opinion publique en a d’ailleurs beaucoup voulu aux gouvernements Abe et Suga qui voulaient à tout prix organiser les Jeux olympiques, mais a loué leur successeur
Kishida Fumio lorsqu’il a décidé, à l’automne, de boucler, comme jamais au cours des mois précédents, le pays lors de l’apparition du variant Omicron. Alors qu’il rouvre très progressivement les frontières, on sent bien que le sakoku n’a pas dit son dernier mot et qu’il continuera de se manifester d’une manière ou d’une autre.
Odaira Namihei