Si vous êtes en quête d’un endroit coupé du monde pour vous ressourcer, pensez à vous rendre dans cet archipel original.
Ancien résident au Japon, le romancier David Mitchell a dit un jour que “si vous ne deviez vous rendre qu’une seule fois au Japon, assurez-vous d’aller aux îles Oki”. Elles conservent un air de vieux Japon, disait-il, encore vierges de Pachinko, c’est-à-dire d’immeubles d’habitation en hauteur, et d’espaces de malbouffe. Bref un parfait antidote au stress des grandes villes.
A peine 65 kilomètres, moins de trois heures en ferry sur la mer du Japon, séparent les îles Oki de la côte occidentale de Honshû. Mais s’y rendre revient à effectuer un voyage de trois siècles dans le temps. Comme le remarquait un visiteur : “s’il n’y avait pas les routes, cet endroit serait envahi par la forêt”. Dôgo, l’île la plus grande, est accessible par avion au départ d’Ôsaka depuis 1965, mais le tourisme n’a jamais vraiment décollé. Les îles Oki étaient considérées comme tellement lointaines que deux empereurs, Go-Toba en 1221 et Go-Daigo en 1332, y ont été exilés.
Leur avenir semble cependant assuré. En 2013, grâce à leur écosystème unique et leur géo-histoire, ces îles ont rejoint le Réseau mondial des géoparcs de l’Unesco. L’année suivante, Nishinoshima, la seconde île de l’archipel, a été visitée par 270 étrangers, c’est-à-dire deux fois plus qu’en 2012. Toutefois, les îles Oki restent intactes et peu fréquentées.
Si vous n’êtes pas pressé, le ferry est le meilleur moyen pour vous y rendre. Le voyage en avion est bien trop rapide. Après tout, la meilleure façon d’apprécier ces îles est de le faire tranquillement pour échapper à ce que le poète anglais Matthew Arnold présentait comme “ce mal étranger de la vie moderne”.
Après quelques heures passées en mer, vous apercevez les premières îles, bosses noires volcaniques semblables à des débris d’une collision cosmique. Peu après, le bateau trace son chemin à travers un dédale de bosses, certaines d’entre elles n’étant qu’un monticule rocheux totalement nu et d’autres plus grandes sont noires et couvertes de pins. On compte quelque 180 îles dans l’archipel d’Oki. La plupart ne sont pas très grandes et quatre seulement sont habitées : Dôgo, Nishinoshima, Ama (Nakanoshima) et Chiburijima. Chacune d’entre elles a son charme et son caractère. Elles méritent d’être vues comme Nishinoshima, la seconde île de l’archipel avec 3 900 habitants, et son incroyable côte de Kuniga.
Longue de 7 kilomètres, il s’agit de falaises de basalte érodées par la mer couronnée par le Matengai. Haute de 257 mètres, il s’agit de la plus grande falaise du Japon. Ces dernières années, ces extraordinaires sculptures naturelles sont devenues le décor préféré de nombreux amateurs de kayak de mer et de plongée sous-marine, deux des très nombreuses activités nautiques proposées dans ces îles. Ne manquez pas d’emprunter un petit hors-bord au départ du port de Beppu à Nishinoshima pour vous rapprocher de ces falaises et en apprécier leur côté spectaculaire. Comme des formations rocheuses fantasmagoriques surgissant de la mer, certaines ressemblent à des doigts escarpés de géants tandis que d’autres forment des arches naturelles sur la rive. Chacune d’entre elles possède un nom évocateur : le palais du roi dragon, le passage vers le Paradis.
Le trajet prend un tour plus stressant lorsque, défiant le bon sens et les lois de la physique, votre bateau prend la direction d’une étroite crevasse au milieu des falaises rouges et noires, à peine assez large pour laisser passer un vélo… Pourtant le bateau s’engage à peine vitesse dans l’exploration d’une grotte sombre si étroite que vos épaules peuvent heurter la paroi si vous n’y prenez garde. Puis, pour le plaisir, le pilote éteint les lumières pour que la nuit vous enveloppe. La grotte porte bien son nom : la caverne du jour et de la nuit. Heureusement, après un moment un peu inquiétant, un faisceau de lumière apparaît au-dessus de votre tête avant que le bateau retrouve la haute mer.
De retour sur la terre ferme, une voix provenant du haut-parleur de la mairie informe tout le monde qu’il est 18h. Il est temps pour les plus jeunes de rentrer chez eux. De votre côté, l’appétit creusé par l’air de la mer, vous prenez la direction du minshuku pour le dîner. Il est préférable de réserver votre nuit à l’avance dans l’un des minshuku de l’île, l’office du tourisme de Nishinoshima le fera volontiers pour vous. La plupart de ces gîtes sont tenus par de charmantes vieilles dames. Avec un peu de chance, votre hôte viendra vous accueillir sur le quai avec un petit drapeau afin de vous guider jusqu’à votre logis.
Une curieuse tradition dans ces minshuku veut que le nom des clients soit inscrit sur de petites ardoises disposées sur le mur extérieur. Du coup, ce n’est pas le meilleur endroit pour se cacher. Dans votre chambre, vous trouverez du thé vert fraîchement préparé avec quelques petites pâtisseries au haricot rouge disposées sur une table basse, le seul meuble dans la pièce en dehors du téléviseur. Assis sur le tatami le long de la grande table installée dans la salle à manger avec les autres convives, vous pourrez profiter d’un excellent repas préparé avec les produits du terroir : fruits de mer fraîchement pêchés comme du calmar, des hiougi-gai (sorte de pétoncles dont la coquille est pourpre et orange vif), des sazae ou encore une belle daurade préparée en sashimi. L’ensemble sera accompagné de bardane, d’aubergine, de racines de lotus servis sous forme de tempura.
Le lendemain, en vous promenant dans la ville, vous remarquerez sans doute ce qui ressemble à de petites chaussettes blanches accrochées à de petits séchoirs motorisés. En vous approchant, vous constaterez qu’il s’agit de calmars vidés et nettoyés. Le calmar est avec le tourisme la principale ressource des îles Oki. Dès lors, le calmar a tendance à se retrouver sur votre table à tous les repas. Il fait même l’objet d’un culte au sanctuaire Yurahime où l’on célèbre le dieu de la mer. Le jour d’après, prenez le bus qui part du port pour vous rendre au sommet des falaises de Kuniga pour avoir une idée de la beauté des lieux vue de haut. Le chemin qui mène au sommet a été élu parmi les 100 meilleurs sentiers de randonnée du pays. C’est un espace merveilleux couvert de pâturages et gouverné par les vaches et les chevaux. Les premières ne manquent pas de vous le prouver en somnolant immobile au milieu de la route. Elles bloquent ainsi le trafic à la manière d’une manifestation pacifique contre la présence de la civilisation dans cet endroit idyllique et verdoyant. Au sommet des falaises, vous vous retrouvez enveloppé par une petite brume en train de dominer les petites criques situées à des centaines de mètres plus bas.
Pas moins enchanteur, il y a le sanctuaire Takuhi. Il s’agit du plus ancien lieu de culte des îles Oki. Il est caché au sommet de la montagne la plus haute de l’île (452 mètres). Sa principale caractéristique est d’avoir été bâti à moitié dans une grotte. Le paysage qui s’offre à vous lorsque vous vous rendez dans cet endroit. De petits sentiers serpentent autour de collines douces et verdoyantes parsemées de petits sanctuaires et de bovins aux cornes bizarrement formées. On aperçoit aussi des papillons noirs aussi gros que des chauves-souris qui paressent de fleur en fleur. Puis, la route goudronnée disparaît pour laisser place au chemin raide qui mène au sanctuaire. Vous trouverez là une boîte contenant des bâtons. Prenez en un. Il ne s’agit pas d’un bâton de marche. Ils sont utilisés pour frapper le sol afin d’effrayer les serpents que vous pourriez croiser sur ce chemin étroit. Le chant incessant des cigales se transforme en une sorte de rugissement intimidant au fur et à mesure que vous progressez au milieu de l’épaisse végétation. L’univers humide et enveloppant de ce royaume des serpents qu’est Takuhi n’a rien à voir avec les falaises de Kuniga ouvertes sur le ciel. Parfois des ouvertures laissent entrevoir la mer, brillante sous le soleil, au milieu de laquelle des îlots pris dans la brume ressemblent à une queue de dragon.
Devant le sanctuaire, se trouve un magnifique cèdre vieux de 800 ans. Le bâtiment lui-même est aussi étonnant que les rumeurs le laissaient entendre. Les habitants vous raconteront qu’il a été construit après avoir été tiré hors de la grotte au milieu de l’ère Heian (794-1185). Comme Yurahime, le sanctuaire Takuhi est dédié au dieu gardien de la mer. Dans le temps, les habitants venaient allumer un feu à l’extérieur du sanctuaire afin de guider les bateaux en cas de mauvais temps. C’est de là qu’il tient son nom. Takuhi signifie la torche. Cela devait être assez impressionnant puisque le maître des estampes Hiroshige a immortalisé la scène dans l’une de ses œuvres. Les bateaux font hurler leur corne lorsqu’ils sont en vue de ce sanctuaire unique en son genre.
En contemplant cet endroit magique entouré de montagnes couvertes d’arbres scintillant sous le soleil, ayez une pensée pour ces deux empereurs qui furent bannis ici il y a 700 ans. Il vous sera alors impossible de conclure que de vivre ici le reste de sa vie ne devait pas être en définitive aussi terrible que cela.
Steve John Powell
Pour s’y rendre :
Les ports de Shichirui, préfecture de Shimane, et de Sakai Minato, préfecture de Tottori, desservent par bateau les îles Oki.
Au départ de Tôkyô, empruntez le shinkansen jusqu’à Okayama (3h25) puis l’express Yakumo jusqu’à Matsue (2h22). Il y a ensuite 40 mn de bus jusqu’à Shichirui (1 000 yens). Pour Sakai Minato, même trajet jusqu’à Okayama. Empruntez alors l’express Yakumo jusqu’à Yonago (2h09) avant de prendre la ligne Sakai jusqu’au terminus (43 mn).
Le prix de la traversée est à partir de 3 240 yens en ferry. Il est de 6 170 yens par bateau rapide.
Pour l’avion, il n’y a pas de vol direct entre Tôkyô et les îles Oki. Il faut transiter par l’aéroport Itami à Ôsaka. Comptez au total deux heures de vol pour vous rendre de Tôkyô sur l’archipel Oki via Ôsaka grâce à la Japan Airlines. Il vous en coûtera environ 70 000 yens l’aller-retour.