Tradition importée d’Occident, cette fête a rapidement été adoptée par les Japonais qui en apprécient la chaleur.
En décembre, lorsque les jours deviennent progressivement plus froids et plus courts, les illuminations prennent le devant de la scène dans toutes les villes japonaises à la tombée de la nuit, et on peut entendre des chants de Noël un peu partout. Le Japon a une longue histoire d’amour avec la culture occidentale, et Noël est l’une des festivités préférées des Japonais.
Il peut sembler étrange qu’un pays non chrétien célèbre Noël. Après tout, seul 1 % environ de la population revendique une croyance ou une affiliation chrétienne, et tous les principaux
événements religieux tournent autour du shintoïsme ou du bouddhisme. Cependant, les Japonais sont non seulement très tolérants en matière de religion, mais ils ont aussi une longue tradition d’importation de cultures et de coutumes étrangères qu’ils intègrent à leur mode de vie.
Bien que l’importation en masse de la culture occidentale n’ait commencé qu’à l’époque Meiji (1868-1912), le premier contact significatif du Japon avec le christianisme remonte au XVIe siècle. En 1552, en effet, Cosme de Torres, un jésuite et l’un des premiers missionnaires à atteindre l’Archipel, a invité des croyants japonais dans l’ancienne province de Suô, partie orientale de l’actuelle préfecture de Yamaguchi, pour célébrer ce qui est devenu la première messe de Noël jamais organisée au Japon.
Cependant, peu après, le christianisme est tombé en disgrâce auprès des autorités. En 1587, avec l’édit de Bateren (Bateren-ki), Toyotomi Hideyoshi a interdit toute activité missionnaire. Puis, à la suite de la rébellion de Shimabara (1638), le shogunat d’Edo a exécuté 37 000 personnes, obligeant les quelques survivants à pratiquer leur foi en secret pendant plus de 200 ans, jusqu’à la levée de l’interdiction du christianisme au début de l’ère Meiji.
Après l’expulsion des commerçants et des missionnaires portugais du Japon, le comptoir néerlandais de Dejima, à Nagasaki, est resté la seule île sûre où l’on pouvait célébrer Noël. A ces occasions, les fonctionnaires du shogunat et d’autres Japonais ayant un lien avec la mission étrangère, comme les universitaires néerlandais, étaient également invités. En outre, il arrivait que des Japonais vivant à Nagasaki et connaissant bien les Pays-Bas fêtent Noël en imitant leurs coutumes. Des représentants du comptoir commercial néerlandais visitaient régulièrement Edo, et l’on raconte que les officiels Tokugawa étaient curieux de connaître la cuisine et la culture néerlandaises, notamment la façon dont ils célébraient le Nouvel An.
Apparemment, Masaoka Shiki, l’un des quatre grands maîtres du haïku (les trois autres étant Matsuo Bashô, Yosa Buson et Kobayashi Issa) a été le premier à mentionner Noël dans un poème. Son premier haïku lié à Noël est paru en 1892, alors qu’il avait 25 ans :
Rôhachi no atoni kashimashi kurisumasu (Après Rôhachi / vient le Noël bruyant).
Rôhachi est un événement bouddhiste qui a lieu début décembre. A l’époque, Shiki semblait penser qu’après un événement aussi solennel, Noël était un peu trop bruyant et il ne l’aimait pas vraiment. Cependant, il changea rapidement d’avis et consacra chaque année pendant les sept années suivantes un haïku à ce qu’il commençait à considérer comme une occasion joyeuse. C’est ainsi que クリスマス (kurisumasu/ Noël) est devenu le premier mot saisonnier en katakana (syllabaire utilisé pour transcrire les mots d’origine étrangère) à faire son apparition dans la poésie japonaise.
Le pionnier des illuminations de Noël au Japon serait Meidi-ya (Meiji-ya), un supermarché haut de gamme qui se trouvait autrefois dans le quartier huppé de Ginza à Tôkyô. Son fondateur, Isono Hakaru, avait étudié en Angleterre et voulait recréer au Japon ce qu’il avait vécu à l’étranger. Les premières décorations de Noël ont été exposées en 1900, après le déménagement du magasin de Yokohama à Ginza. On ne sait pas à quoi cela ressemblait à l’époque, mais il existe une photo des années 1920 où l’expression anglaise Merry Xmas (Joyeux Noël) est bien visible. Le poète de tanka Kinoshita Rigen est un autre intellectuel dont l’imagination a été saisie par la nouveauté : Meidi-ya no Kurisumasu kazari-tô tomorite kirabiyaka nari konayuki ori-dezu (Les lumières de la décoration de Noël de Meidi-ya scintillent / et il commence à neiger). Ce poème a été inclus plus tard dans les manuels scolaires des lycées.
Les illuminations de Meidi-ya firent une telle impression que les gens venaient de loin pour les voir et que d’autres magasins commencèrent à mettre en place des décorations similaires. Cependant, le shopping lui-même restait limité, car la plupart des familles n’avaient pas les moyens de s’offrir les superbes marchandises exposées. Par conséquent, les premiers acheteurs de Noël étaient des personnes fortunées aux goûts raffinés qui s’intéressaient à la culture occidentale “exotique”.
Indépendamment des achats, l’illumination de Noël est restée une caractéristique importante de la saison des fêtes. Près d’un siècle après la campagne pionnière de Meidi-ya, la Kobe luminarie, festival des lumières à Kôbe, a été organisée pour la première fois en décembre 1995. La ville portuaire avait été frappée par un terrible tremblement de terre en janvier, et ce nouvel événement a été organisé en mémoire des victimes et en faveur de la reconstruction de la ville. A cet égard, l’illumination était considérée comme une “lumière d’espoir” et un symbole de rétablissement. Bien qu’il ait été prévu à l’origine pour n’avoir lieu qu’une seule fois, son énorme succès a conduit les organisateurs à en faire un rendez-vous annuel dans le but de ramener les touristes à Kôbe, puisque leur nombre avait drastiquement diminué à cause de la catastrophe. Se déroulant comme il se doit dans l’ancien quartier étranger, ce festival de dix jours attire régulièrement plus de trois millions de visiteurs venus de tout le pays pour admirer les motifs géométriques et les décorations uniques qui, chaque année, sont conçus et installés par une société italienne.
Depuis la Kobe luminarie, le nombre d’événements de grande envergure visant à revitaliser les centres-villes et à attirer les touristes a commencé à se répandre dans tout le pays. Selon l’Association japonaise de l’éclairage, les LED, qui consomment moins d’énergie que les lampes à incandescence, sont devenus monnaie courante au cours des dix dernières années. Récemment, un nouveau type d’éclairage “interactif”, qui s’allume lorsqu’on marche dessus ou change de couleur lorsqu’on frappe dans les mains, est devenu populaire. Quant à Meidi-ya, il y a quelques années, il a déménagé à Kyôbashi, à environ 500 mètres de son ancien emplacement.
Pour en revenir à notre voyage dans le temps, au cours de la période Taishô (1912-1925), les magazines pour les enfants ont introduit de nombreuses histoires et illustrations liées à Noël dans leurs numéros de décembre. De même, en 1925, les premiers autocollants de Noël ont été lancés. Ils étaient alors remis aux personnes qui faisaient des dons pour une campagne d’éradication de la tuberculose. Au cours des années précédentes, le gouvernement avait ajouté deux nouvelles fêtes au calendrier japonais, la première célébrait l’anniversaire de l’empereur actuel, tandis que l’autre coïncidait avec le jour de la mort de l’empereur précédent. Cela signifiait, bien sûr, que ces deux jours changeaient à chaque nouvelle succession au trône. Comme l’empereur Taishô est décédé le 25 décembre 1926, la loi sur les vacances a été révisée pour créer le festival de l’empereur Taishô ce jour-là. Cette coïncidence a contribué à renforcer la popularité de Noël au Japon au cours des années suivantes. En 1928, par exemple, l’Asahi Shimbun, l’un des principaux quotidiens du pays, a fini par reconnaître que “Noël est maintenant devenu un événement annuel au Japon, et les enfants adorent le Père Noël.”
Cette situation a duré jusqu’en 1948, date à laquelle le jour férié a été aboli, et aujourd’hui, le Japon est l’un des pays dans lesquels, bien que les écoles soient fermées en raison des vacances de fin d’année, le 25 décembre est un jour de semaine normal et les gens continuent à travailler comme d’habitude. En réalité, il existe un mouvement visant à faire de Noël un jour férié national, le raisonnement étant que, puisque Noël est suivi des vacances de fin d’année et du Nouvel An, il est plus facile pour les salariés d’utiliser les congés payés et de prendre des vacances plus longues (jusqu’à l’année dernière, d’ailleurs, le 23 décembre était célébré comme l’anniversaire de l’empereur Heisei). Cependant, pour de nombreuses entreprises, la fin de l’année correspond à ce que l’on appelle la “saison chargée” et la plupart d’entre elles sont contre le fait de laisser leurs employés se reposer. En outre, il est difficile de faire du jour commémoratif d’une religion spécifique un jour férié en raison du principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat stipulé dans la Constitution japonaise.
Cette situation, combinée au fait que l’ampleur des événements de Noël reste relativement modeste par rapport au monde chrétien, a créé une situation intéressante et potentiellement favorable à l’industrie touristique locale. En 2014, Skyscanner, un site de voyage britannique, a commencé à recommander des pays pour les personnes qui “n’ont pas l’habitude de célébrer Noël en famille, ne sont pas religieuses et veulent éviter toute l’agitation et la foule liées aux fêtes de Noël.” Dans le classement des dix pays les plus recommandés, le Japon a été classé premier, devant des pays islamiques comme l’Arabie saoudite et l’Algérie, des pays bouddhistes comme la Thaïlande, et des pays communistes comme la Chine.
Au début de la période Shôwa (1925-1989), de nombreux cafés de Ginza, Shibuya et Asakusa préparaient des menus de Noël, et le personnel accueillait les clients vêtus de costumes de Noël. Le 12 décembre 1931, le Miyako Shinbun rapportait que “Noël arrivera dans plus de 7 400 cafés, et le Père Noël sera très occupé”. La coutume de se déguiser pour Noël a survécu jusqu’à ce jour, et il est courant de voir les caissières des supermarchés et d’autres vendeurs porter des bonnets de Père Noël et d’autres costumes à cette période de l’année.
Cette fête de plus en plus populaire a commencé à apparaître dans les situations les plus improbables. Par exemple, dans Katô Hayabusa sentôtai (Le bataillon de Katô Hayabusa), un film de 1944 réalisé par Yamamoto Kajirô, on voit une scène dans laquelle une salle à manger du front est décorée d’un arbre de Noël. Parrainé par le ministère de la Guerre, ce film est devenu la superproduction la plus lucrative de 1944. Pourtant, les censeurs n’ont pas pris la peine de couper cette scène qui rappelait clairement aux spectateurs les ennemis détestés du Japon et leur culture.
Bien qu’après la guerre, le festival de l’empereur Taishô ait été supprimé du calendrier des fêtes, Noël s’est rapidement imposé comme un événement annuel dont la taille et l’importance n’ont cessé de croître jusqu’à ce jour. Au début des années 1950, avec l’explosion des naissances,
Fujiya, une chaîne nationale de magasins de confiserie, a créé le prototype de l’unique gâteau de Noël japonais. Après cela, la saison des ventes de Noël dans les grands magasins a pris une incroyable ampleur, et Noël s’est solidement établi au Japon.
De nos jours, les ventes de Noël ont lieu dès le début du mois de novembre. Les arbres des rues sont décorés d’ampoules miniatures, des chansons de Noël sont diffusées dans les magasins et des gâteaux de Noël sont vendus dans toutes les pâtisseries. Dans les établissements commerciaux, des événements sont organisés la veille de Noël, tandis que certaines familles décorent les façades de leurs maisons et leurs jardins avec des lumières.
Dans de nombreux pays occidentaux, le 26 décembre est également un jour férié, et la période de Noël se termine le 6 janvier. Au Japon, en revanche, Noël n’a rien à voir avec la religion (hormis la minuscule communauté chrétienne locale) et est plutôt considéré comme un événement commercial. C’est pourquoi, dès que Noël est terminé, les Japonais s’empressent de l’oublier. Les décorations de style shintoïste du Nouvel An (par exemple, le kadomatsu en pin et bambou) apparaissent et les magasins de détail présentent une nouvelle gamme de produits. Cependant, depuis quelques années, il existe des endroits où les illuminations sont laissées telles quelles jusqu’au compte à rebours de minuit du 31 décembre.
Il est vrai que la culture, comme l’humour, se perd souvent dans la traduction, et Noël ne fait pas exception. Selon une légende urbaine, par exemple, il fut un temps où un grand magasin de Tôkyô s’est sérieusement mélangé les pinceaux et a exposé un Père Noël crucifié. En revanche, la tendance à fêter Noël avec des fast-foods (notamment du poulet frit) est réelle et probablement unique au Japon, et ne manque jamais de susciter des réactions amusées de la part des Occidentaux habitués à des repas plus copieux. Les jeunes couples ont également tendance à considérer la fête comme une occasion de passer du temps avec leur partenaire. A cet égard, le réveillon de Noël, en particulier, a acquis des connotations romantiques. Selon une enquête menée en 2009 sur la façon dont les célibataires passaient leur réveillon, 53 % d’entre eux déclaraient avoir fait la fête avec leur famille, tandis que les 47 % restants racontaient qu’ils étaient sortis avec leur petit(e) ami(e).
Un autre élément culturel unique au Japon est le lien entre le jour de Noël et le mariage. Dans le passé, les femmes japonaises étaient traditionnellement censées se marier à un jeune âge, et idéalement pas plus de 25 ans. Comme Noël est célébré le 25 décembre, celles qui n’étaient pas mariées après l’âge de 25 ans étaient métaphoriquement appelées “gâteaux de Noël”, en référence aux articles qui, étant toujours invendus après le 25, perdent rapidement leur valeur. L’expression est devenue populaire dans les années 1980, mais elle est devenue moins courante depuis, car de nombreuses femmes japonaises choisissent aujourd’hui de se marier à un âge plus avancé ou de ne pas se marier du tout, et le fait d’être célibataire après 25 ans a perdu une grande partie sa dimension négative.
Gianni Simone