Le cinéaste a toujours accordé une place importante au chemin de fer, symbole important du Japon de l’après-guerre.
Yamada Yôji est un homme fidèle. Depuis son entrée à la Shôchiku en 1954, il ne lui a fait aucune défection. Il a également entretenu une amitié fidèle avec nombre d’acteurs et de techniciens avec qui il a tourné la majorité de ses films. Ce sens de la fidélité se retrouve aussi au niveau de son intérêt pour le train qu’il n’a jamais oublié de mettre en scène dans ses œuvres, à l’exception de ses films de samouraïs. De sa première réalisation à la dernière sortie en salles, le cinéaste a toujours accordé une place non négligeable à l’univers ferroviaire. Dans sa fameuse série Otoko wa tsuraiyo [C’est dur d’être un homme], les aventures de Tora-san commencent souvent aux abords d’une gare pour s’achever sur le quai de celle de Shibamata. Cette manie a largement contribué à transformer les fans du cinéaste en des amateurs avertis de trains, désireux de suivre les traces de ses personnages. C’est d’autant plus remarquable que Yamada Yôji s’est souvent attaché à faire la promotion de petites lignes locales ou de gares d’ordinaire peu fréquentées. Grâce à lui, certaines de ces destinations sont devenues très populaires et demeurent encore aujourd’hui des lieux très visités.
Classée au premier rang des lignes locales préférées des Japonais, la ligne Gonô entre Kawabe et Higashi Noshiro, au nord-ouest de l’archipel, est caractéristique de l’engouement du cinéaste pour les tracés ferroviaires qui sortent de l’ordinaire. Située au bord de la mer du Japon, cette ligne offre aux voyageurs des paysages uniques, mais aussi des arrêts qui ne laissent pas indifférents. La gare de Todoroki qui a la particularité d’être isolée et de faire face à la mer est devenue une sorte de lieu de pèlerinage pour les fans de Tora-san depuis qu’elle a fait son apparition dans le septième film de la série en 1971. De la même façon, la minuscule gare de Shimonada (ligne Yosan entre Takamatsu et Uwajima sur l’île de Shikoku) avec une vue imprenable sur la mer Intérieure est un lieu très fréquenté depuis qu’elle a reçu la visite de Tora-san dans le dix-neuvième épisode d’Otoko wa tsuraiyo en 1977. Mais la présence du train ne se limite pas aux seuls films liés à cette série. La Maison au toit rouge (Chiisai ouchi), la dernière production de Yamada sortie sur les écrans, débute par une séquence où l’on entend le passage d’un train, une manière de signifier que la vie continue alors même que l’on assiste à la cérémonie d’incinération du personnage principal de l’histoire. Dans bon nombre de ses films, le train se présente comme un symbole sans lequel la vie n’aurait parfois guère de sens. Ancien assistant de Nomura Yoshitarô lorsqu’il a débuté à la Shôchiku en 1954, il est intéressant de noter que les deux hommes ont collaboré sur des œuvres dans lesquels le train occupe une place centrale. Yamada a ainsi signé le scénario de deux grands succès de Nomura où le train occupe la vedette : Zero no shôten [Zero focus, 1961] et Le Vase de sable (Suna no utsuwa, 1974). Adaptés de deux romans de Matsumoto Seichô, l’un des maîtres du polar ferroviaire, ces deux longs-métrages sont caractéristiques de l’intérêt que Yamada Yôji porte à ce mode de transport depuis sa jeunesse en Mandchourie où il prenait souvent le train. C’est tellement vrai qu’il est souvent invité sur les plateaux de télévision ou dans les magazines à s’exprimer sur son amour pour le chemin de fer. Il ne cache pas sa passion pour les locomotives à vapeur qui représentent à ses yeux des êtres vivants grâce auxquels le Japon a réussi à retrouver des couleurs après la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas étonnant que ses films comportent des séquences où les machines les plus emblématiques de ce renouveau sont mises à l’honneur. La D51, la C11, la C58, la C59 ou encore la D60 ont souvent été aux premières loges dans ses réalisations. Mais Yamada est allé encore plus loin dans cette logique, en réalisant en 2011 un documentaire autour de la restauration de la locomotive à vapeur C61 20 construite en 1949 et retirée de la circulation en 1973 après avoir effectué l’équivalent de 71 fois le tour de la terre sur les lignes Tôhoku et Ôu dans le nord-est de l’archipel. En 2010, il avait été décidé de la réhabiliter et Yamada avait accepté de suivre le processus avec une caméra. Ce travail a pris une nouvelle dimension après le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 puisque la remise en service de la machine est devenue un symbole pour cette région meurtrie. Le documentaire intitulé Fukkatsu [Résurrection] illustre parfaitement le rapport intime que le cinéaste entretient avec le train et sa volonté de transmettre cet amour au plus grand nombre.
Odaira Namihei