Notre photographe a sillonné la région autour de Fukushima Daiichi. Il rend compte des changements opérés.
Le visiteur qui emprunterait aujourd’hui la route nationale numéro 6 qui relie Tôkyô à Sendai dans la région du Tôhoku (nord-est de l’archipel), et longe à la verticale la côte de la préfecture de Fukushima, pourrait ne pas se rendre compte qu’il vient de traverser les zones les plus affectées par la triple catastrophe de mars 2011. La nationale 6 contourne pourtant à moins de 3 kilomètres la centrale Fukushima Daiichi, traverse les municipalités d’Ôkuma, Futaba, Namie et des secteurs aujourd’hui encore très contaminés, qui ne peuvent d’ailleurs être traversés qu’en voiture, et qui sont désignés officiellement par l’euphémisme “zones où il est difficile de retourner’’.
Mais des vastes étendues de volumineux sacs noirs contenant des déchets contaminés, des bâtiments fantômes laissées à l’abandon, il ne reste vu de la route pratiquement rien. L’œil exercé pourrait sans doute remarquer le manque d’entretien des espaces publics et les nombreux terrains agricoles délaissés, mais à peine plus que dans certaines régions du Japon souffrant de dépopulation et d’exode rural. Les bâtiments abandonnés qui, 10 ans après la catastrophe, témoignaient encore par leur état de la violence du séisme, des dégâts infligés par le tsunami ou de la terreur causée par l’accident nucléaire sont rasés les uns après les autres, ceci même dans les zones où le niveau de radiation reste élevé et où le retour des résidents n’est pas envisageable.
Y aurait-il de la part des autorités japonaise la volonté de faire disparaître toutes traces de la catastrophe ? La visite de la commune de Futaba offre une réponse à cette question et donne un bon aperçu de l’ambition du gouvernement et de l’avancement de son projet.
En mars 2011, toute la population de Futaba, petite commune rurale sur le territoire de laquelle est installée la centrale nucléaire, fut évacuée suite à l’accident nucléaire. Aujourd’hui 3 % de la surface de la commune a été réouvert aux visiteurs, puis aux premiers résidents permanents en février 2022. Pour ce faire, 25 nouveaux logements ont été reconstruits aux abords d’une nouvelle gare. A cela s’ajoute, entre autres, la construction à grand frais du musée mémorial de la catastrophe nucléaire, d’un centre pour l’industrie, de nouvelles routes, de bureaux pour PME, d’un hôtel, de magasins de souvenir, d’une luxueuse mairie et d’une digue de béton gigantesque censée protéger le tout en cas de nouveau tsunami.
Dans les zones décontaminées et accessibles aux visiteurs, les rares bâtiments datant d’avant la catastrophe à ne pas avoir encore été rasés, comme la caserne des pompiers, sont recouverts de fresques murales dans le cadre du “Futaba Art District”, un autre projet pour revitaliser la commune (voir Zoom Japon n°111, juin 2021). Car avec Futaba comme tête de pont, les autorités japonaises entendent développer dans la préfecture, largement délaissée par les touristes depuis la catastrophe, ce qu’ils appellent “le tourisme de l’espoir” (voir pp. 12-15).
Ce projet se fonde sur le fait que la région de Fukushima est le seul endroit du monde à avoir expérimenté un désastre multiple, tremblement de terre, tsunami, catastrophe nucléaire. Mais ce projet se fonde aussi sur l’intérêt que la catastrophe peut susciter. Le mot d’ordre est qu’il y a des leçons à tirer d’une région qui a fait face à la terrible adversité d’un accident nucléaire et qu’aller à la rencontre des personnes engagées dans les efforts de reconstruction peut être source de réflexion, d’enrichissement, et donc d’espoir.
Pour ce faire, plusieurs circuits de trois jours ont été mis en place qui proposent la visite de différents sites. Ils permettent également d’être hébergé sur place, d’aller à la cueillette des fraises cultivées à Sôma ou de rencontrer des personnes engagées dans le processus de reconstruction, comme un ancien employé de la Tokyo Electric Power Company (TEPCO), un pêcheur ou une propriétaire d’auberge. Méticuleusement organisés, ces circuits mettent en avant la vision du gouvernement sur la sûreté nucléaire et ce qu’il considère être le succès de la reconstruction de Fukushima. Sans surprise, les opposants à l’énergie nucléaire, les critiques du gouvernement dans sa gestion de la crise ou ceux qui mettent en doute le bien-fondé des sommes faramineuses consacrées à la décontamination et à la reconstruction de zones rurales déjà en déclin avant la catastrophe, n’ont pas voix au chapitre.
La promotion de ce “tourisme de l’espoir” est en fait le résultat d’années de mise en place progressive. Un site détaillé en japonais et en anglais explique le projet et présente les lieux accessibles à la visite et les personnes qu’il est possible de rencontrer. (https://www.hopetourism.jp/en/)
De tels investissements dans la reconstruction et la promotion du tourisme à Fukushima suffiront-ils à attirer de nouveaux visiteurs, et au delà à inciter les résidents au retour ? Ces efforts coïncident en tous cas avec un changement progressif de l’opinion des Japonais quant à l’énergie nucléaire. L’opposition radicale à l’atome, qui avait suivi la catastrophe de 2011, a laissé place à une position plus nuancée et pragmatique de la population face à la crise énergétique que connaît aussi le Japon des suites de la guerre en Ukraine.
Eric Rechsteiner