S’appuyant sur des témoignages et des faits réels, Laurence Thrush livre un très beau film sur les hikikomori.
Parmi les sujets de préoccupation de nombreux parents japonais figure le phénomène des hikikomori, ces jeunes qui refusent tout contact avec l’extérieur et vivent reclus, comme le rappellent Maïa Fansten, Cristina Figueiredo, Nancy Pionnié-Dax et Natacha Vellut dans leur ouvrage Hikikomori, ces adolescents en retrait (Armand Colin, 2014). Si l’on en croit le ministère de la Santé, 1,2 % des Japonais a vécu cette situation. 2,4 % des 20-30 ans en ont fait l’expérience. Des chiffres qui sont loin d’être anodins, mais face auxquels les autorités et les plus âgés ont du mal à trouver des réponses. La plupart du temps, les jeunes concernés sont accablés de reproches. On les accuse d’être simplement des fainéants qui profitent de ne rien faire alors que leur situation est loin d’être réjouissante.
C’est ce que tente d’aborder Laurence Thrush dans son premier long-métrage tourné au Japon après avoir pris conscience du phénomène dans un documentaire diffusé à la télévision britannique. Réalisé en 2008, De l’autre côté de la porte (Tobira no mukô) s’intéresse à Hiroshi, un adolescent, qui, du jour au lendemain, décide de s’enfermer dans sa chambre et de ne plus en sortir. Pendant deux ans, il refuse d’entrer en contact avec qui que ce soit et plonge sa famille dans le plus grand désarroi. Comme beaucoup d’autres, ses parents ne comprennent pas ce qui a pu amener leur enfant à choisir l’enfermement volontaire. Mais cherchent-ils vraiment à comprendre ? On peut en douter lorsque la mère de Hiroshi déplore que “s’il ne sort pas de sa chambre, s’il ne retourne pas à ses cours, il ne pourra plus jamais aller à l’école et n’aura jamais un bon travail”. En d’autres termes, il ne pourra pas devenir un membre à part entière de cette société où tout semble déterminé à partir du moment où les individus ont franchi pour la première fois l’entrée de l’école. L’énorme pression qui pèse sur les épaules de la jeunesse n’a fait que s’accentuer ces dernières années, notamment avec l’accroissement de la précarité. Le fait que les trois quarts des personnes concernées par ce phénomène sont de sexe masculin renforce l’idée qu’une grande partie de la pression sociale s’exerce sur eux et que l’absence de perspectives en pousse certains à se replier sur eux-mêmes. Il y en a bien quelques-uns qui pètent les plombs (kireru) et commettent parfois l’irréparable. Mais ceux-là sont heureusement peu nombreux.
En s’appuyant sur des faits et des expériences réels, Laurence Thrush a bâti un scénario très solide et bien documenté qui lui permet de ne pas tomber dans le pathos. “Je suis parfaitement conscient, en tant qu’Occidental, de ne pas comprendre la culture japonaise, c’est pourquoi j’étais très mal à l’aise à l’idée de prendre des libertés créatives”, explique-t-il. C’est ce qui donne toute sa force au film qui exprime parfaitement toute l’impuissance des parents face à la décision de leur fils de se couper du monde. En choisissant de tourner en noir et blanc, le cinéaste ajoute à ce climat déjà lourd une nouvelle couche de mystère autour de ce phénomène. Il joue beaucoup sur l’image du corps de l’adolescent qui n’apparaît pas complètement comme s’il n’appartenait pas à l’environnement dans lequel il est censé évoluer. Hiroshi ne sort de son état de hikikomori que le jour où il prend lui-même conscience de son image qui se reflète dans un CD. La scène est d’ailleurs l’une des plus réussies. Grâce à ce film, on est amené à se poser bien des questions qui dépassent largement le cadre nippon. Si le terme hikikomori n’a pas encore fait son apparition dans le Larousse, il est entré dans l’Oxford English Dictionary, la référence de la langue anglaise, en 2010, un an après la sortie de De l’autre côté de la porte.
Odaira Namihei
Références :
De l’autre côté de la porte (Tobira no mukô), de Laurence Thrush. Noir & blanc. 1h50.
Avec Negishi Kenta, Oguri Kento, Innami Masako.
Sortie en salles le 11 mars.