Partez à la découverte de l’un des secrets les mieux gardés du Japon : les sous-sols des grands magasins. Réservés aux gourmands.
D’après certains visiteurs étrangers, les depachika, autrement dit les sous-sols des grands magasins, figurent parmi les secrets les mieux gardés du pays. Il est facile de comprendre pourquoi un Américain ou un Européen peut être ébloui par ces lieux. Ailleurs vous aurez du mal à trouver quelque chose de semblable. Même le rayon d’épicerie fine du célèbre Harrods à Londres a peu de chance de rivaliser avec l’un des nombreux depachika à Tôkyô. Il n’est alors pas étonnant que les touristes tombent sous le charme lorsqu’ils pénètrent dans ces temples de la consommation glamour, mais on peut se demander pourquoi les Japonais les apprécient tant. D’autant que la plupart des produits vendus dans ces lieux valent une fortune. Cependant, les gens continuent à les fréquenter, tant et si bien que ces marchés en sous-sol contribuent jusqu’à un quart du chiffre d’affaires de l’ensemble du grand magasin. Ne reculant devant rien, Zoom Japon s’est donc rendu au depachika de Takashimaya à Nihonbashi, pour tenter de comprendre les raisons de leur succès.
L’endroit est rempli de femmes bien habillées, mais nous décidons de nous tourner vers l’un des rares hommes qui s’y trouvent. L’homme d’affaires va droit au but. “C’est vrai que les depachika ne sont pas des endroits bon marché, mais ici vous pouvez trouver des produits de grande qualité pour un rapport qualité-prix raisonnable. Que l’on vienne ici pour déjeuner à l’un des comptoirs qui s’y trouvent ou que l’on y achète des choses pour dîner chez soi, procure toujours la sensation que l’on fait quelque chose de spécial”, confie-t-il. Après cette première approche faite auprès d’un homme, nous décidons de nous tourner vers une élégante femme. Elle semble avoir une quarantaine d’années. “Je suis mariée, mais je suis ce qu’on appelle ici une femme de carrière. Je n’ai pas beaucoup de temps à consacrer à la cuisine. J’essaie de faire du mieux que je peux, mais je dois reconnaître que je dépends beaucoup de ces endroits pour composer mon dîner”, explique-t-elle. Mio Mayumi, en charge de la communication de Takashimaya, nous rappelle que plus de 70 % des femmes dans cette tranche d’âge travaillent que ce soit à plein-temps ou à mi-temps. Parmi elles, on trouve beaucoup de femmes mariées. “Elles sont souvent dans une situation délicate puisqu’elles cherchent à trouver un équilibre entre leur carrière professionnelle et leurs responsabilités au sein du foyer. Elles ont souvent peu de temps pour cuisiner des plats japonais qui exigent un long temps de préparation. Elles finissent par dépendre des depachika pour y parvenir”, confirme-t-elle.
Les femmes mariées ne sont pas les seules à s’y rendre. Un nombre important des femmes qui fréquentent ces lieux sont des célibataires d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années. Nous en interpellons une alors qu’elle était sur le point de partir. Nous lui demandons ce qu’elle a acheté aujourd’hui. Yasuko est une employée de bureau qui vit seule dans le centre de Tôkyô. Quand elle ne sort pas dîner avec des amis ou des collègues, elle aime manger chez elle en regardant ses feuilletons préférés à la télévision. Aujourd’hui, elle a acheté du poisson frit, une salade et un gâteau au chocolat. “Pour moi, c’est comme si j’allais à Disneyland”, dit-elle. “C’est un plaisir permanent. Chaque jour, je peux changer de menu”. La jeune femme est pressée de rentrer chez elle. “Ce sont des individus attirés par la mode qui disposent d’un revenu conséquent qu’ils sont prêts à dépenser dans nos magasins. Les jeunes femmes comme celle que vous venez de rencontrer ne cessent pas de suivre les dernières tendances”, assure-t-elle.
Puisque nous évoquons les tendances et les modes, une des choses que la plupart des femmes aiment faire, c’est de partir en quête de douceurs. Un depachika est sans aucun doute le meilleur endroit où l’on trouve une gamme sans cesse renouvelée de gâteaux, de pâtisseries et autres desserts. Dans certains de ces sous-sols de grands magasins, on ne recense pas moins de 50 échoppes dont la principale mission consiste à satisfaire les envies sucrées de la clientèle, en proposant tout aussi bien des friandises japonaises que du chocolat français.
Nous nous tournons vers une femme qui approche de la quarantaine. On dirait une publicité vivante pour Chanel. Elle a juste acheté un camembert et se dirige vers un autre stand comme le vendeur de fromages continue de la remercier avec insistance sans qu’elle y accorde attention. “Ce que j’apprécie quand je fais mes courses au Japon, c’est le service. Et le depachika est le lieu où il atteint la perfection. J’ai beaucoup voyagé à l’étranger, mais je n’ai jamais rencontré quelque chose de comparable dans un autre pays. Voyez la façon dont il se courbe, sa politesse. Que dire de la manière avec laquelle les vendeurs emballent les produits. C’est sans doute ce qu’il y a de mieux”, nous déclare-t-elle. D’après elle, il s’agit d’une question de culture et d’habitudes. Voilà pourquoi tout le monde estime que c’est normal. “J’adore ça. Chaque fois que je viens ici, j’ai l’impression d’être une princesse !”.
Mio Mayumi nous entraîne un peu plus loin pour poursuivre la visite des lieux. Elle nous explique comment leur disposition a évolué au cours des dernières années. “De nombreux depachika dans la capitale ont entrepris de se rénover. Les zones réservées aux cadeaux ont été réduites pour laisser la place à des espaces pour les plats prêts-à-consommer préparés par des restaurants renommés. De petites cuisines ont été installées pour permettre de fournir à la clientèle des produits de première fraîcheur”, affirme la jeune femme. Nous l’interrompons, car nous avons repéré un groupe de femmes qui se bousculent autour d’un stand. “Les clients ne résistent pas à la tentation d’acheter de nouveaux produits. Ils sont prêts à faire la queue pendant des heures pour acheter des beignets. C’est arrivé, il y a quelques années, à l’ouverture de Krispy Cream et avant ça lorsque les premières gaufres belges ont été commercialisées”, note Mio Mayumi. D’après elle, plusieurs grands magasins ont même créé leurs propres marques pour attirer les clients en quête de produits rares.
Il commence à se faire tard et le nombre de clients dans les allées du depachika n’a pas baissé. Il est même possible que le nombre de clients ait augmenté. Nous suivons une femme qui passe d’un rayon à l’autre d’un pas pressé. “J’apprécie que ces endroits restent ouverts tard. Comme je travaille, je ne peux pas me rendre dans les épiceries pendant la journée. Ces depachika me sauvent la vie. En outre, quand la fermeture approche, la plupart des stands qui vendent des produits frais et périssables cassent les prix. C’est donc très pratique pour moi de faire mes courses à ce moment de la journée” explique-t-elle.
Mio Mayumi nous confirme que la décision de retarder d’une heure la fermeture a été une bonne chose pour tout le monde. “Les clients sont de toute évidence satisfaits, car ils peuvent venir ici à la dernière minute pour leur dîner ou pour acheter du pain pour leur petit-déjeuner du lendemain. Depuis la mise en place de cet aménagement, nos ventes ont augmenté de 7 %”, assure-t-elle.
Notre mission est terminée, mais nous nous rendons compte que nous n’avons pas mangé de la journée. Nous nous précipitons vers le stand de sushi pour acheter un petit plateau alléchant. Proposé initialement au prix de 1500 yens, nous avons la chance de l’acheter à 800 yens. C’est vraiment le paradis de la nourriture !
Jean derome