Au Japon, la journée du sport est une institution à laquelle aucun habitant ne peut se soustraire.
J ‘ai trouvé une dune au sommet de laquelle était l’école. J’ai ensuite contourné l’école. Et d’un coup, la stupéfaction m’a saisi. Je croyais rêver, comme on dit : oui, c’est bien le mot ! (…) Près d’une centaine de tentes, bien serrées les unes contre les autres, encerclant le terrain de sport et s’étendant aussi jusque sur la colline qui le surplombait. (…) Les familles avaient sorti leur pique-nique. Les hommes buvaient ; les femmes et les enfants mangeaient ; l’atmosphère était toute d’allégresse, l’on bavardait et l’on riait. Je me suis dit, très sincèrement, que le Japon était un pays béni. En pleine guerre, alors que se jouait le destin de la nation, dans un village démuni tout au nord de Honshû se tenait cette grande fête, si étonnante de gaieté.”
Cette scène se déroule sous les yeux du narrateur dans Retour à Tsugaru (Tsugaru, trad. par Didier Chiche, Editions Philippe Picquier, 1995) de Dazai Osamu (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019). A la fin du printemps 1944, l’auteur s’est rendu dans la préfecture d’Aomori pour rédiger une sorte de guide sur sa région natale de Tsugaru. L’ouvrage qui en résulte est un mélange charmant et étrange, difficile à définir, de fiction, d’histoire culturelle et d’autobiographie. Vers la fin de son voyage sentimental, le narrateur cherche la servante qui l’a élevé lorsqu’il était petit et la trouve en train de célébrer la journée sportive locale.
Depuis plus d’un siècle, l’undôkai (littéralement “réunion sportive”) est l’un des événements les plus importants du calendrier scolaire – si important, comme en témoigne Dazai dans son livre, que les gens ont continué à le célébrer même au beau milieu de la guerre du Pacifique.
En 1966, cet événement a été officialisé sous le nom de Taiiku no Hi (Journée du sport), l’une des 16 fêtes nationales du Japon, qui est célébrée le 10 octobre pour commémorer l’ouverture des Jeux olympiques de Tôkyô en 1964 (voir Zoom Japon n°33, septembre 2013). Depuis 2020, elle est renommée Spôtsu no Hi et a lieu le deuxième lundi d’octobre, afin que les élèves et les salariés puissent profiter d’un week-end prolongé de trois jours.
L’objectif de cette journée est de “profiter du sport, de cultiver l’esprit de respect des autres et de créer une société saine et active”. En effet, ces événements ne sont pas seulement organisés par les écoles, mais aussi par des entreprises et des organisations locales. Lorsque j’ai déménagé au Japon, par exemple, j’ai d’abord partagé un appartement avec un ami japonais qui travaillait dans une bibliothèque publique de la banlieue de Tôkyô. Au mois d’octobre, toutes les bibliothèques de la région ont organisé un tournoi de softball et j’ai été invité à y participer, en tant qu’invité d’honneur. Ils étaient loin de se douter qu’étant originaire d’Italie, je n’avais jamais lancé une balle ou utilisé une batte de ma vie.
Bien que le Spôtsu no Hi ait moins de 60 ans, l’undôkai a une histoire bien plus longue. La première journée des sports a été organisée par l’Académie navale en 1874, à l’instar des fêtes sportives britanniques, sous la direction du professeur d’anglais Frederick William Strange, qui a ensuite organisé une rencontre athlétique à l’école préparatoire de l’Université de Tôkyô après avoir déménagé dans cet institut. L’événement a vu la participation de 230 étudiants et est rapidement devenu populaire dans tout le pays. Selon Dai Nihon Kyôikukai Zasshi, le journal de l’Association japonaise des sports, 32 événements de ce type ont été organisés entre 1884 et 1892, principalement dans des écoles élémentaires. Par la suite, la journée sportive est devenue une activité extrascolaire obligatoire dans tout le Japon. Alors que les pays occidentaux ont tendance à séparer les événements purement sportifs et les rassemblements communautaires avec musique et danses, les undôkai sont plutôt uniques en ce sens qu’ils combinent ces deux aspects. En effet, on dit que les journées sportives japonaises dérivent, du moins en partie, de festivals traditionnels qui ont précédé de longue date l’introduction des sports modernes au Japon.
Dans le passé, les undôkai ont prospéré et ont continué d’exister à Taïwan, dans la péninsule coréenne et dans d’autres pays asiatiques qui avaient connu la domination coloniale japonaise. Toutefois, ces dernières années, la Corée du Sud a entrepris d’abolir les journées sportives en tant que “vestige de l’impérialisme japonais”. Comme l’écrivent Allen Guttmann et Lee Austin Thompson dans Japanese Sports : A History (éd. University of Hawai’i Press, 2001), “Mori Arinori, qui devint ministre de l’Education en 1885, fut l’un des promoteurs enthousiastes de l’undokai, qu’il considérait comme un moyen idéal d’améliorer la santé et d’intensifier simultanément le patriotisme des écoliers de la nation”.
De nos jours, le renforcement du patriotisme ne figure pas parmi les objectifs des éducateurs, mais les Japonais prennent toujours l’undôkai très au sérieux, et pour de nombreuses familles et toutes les écoles du pays, il s’agit toujours d’une entreprise de grande envergure. En effet, si vous avez des enfants, vous ne pouvez pas échapper à la journée sportive du samedi. Chaque élève va fréquenter l’undôkai pendant une dizaine d’années : deux ou trois ans de maternelle et six ans d’école primaire (puis cela se poursuit au collège et au lycée sous le nom du taiikusai, auquel les parents ne participent plus). Vous avez sans doute compris que je ne suis pas un grand fan de l’undôkai. Pour être franc, ce n’est pas un événement particulièrement amusant, et la seule raison d’y assister est de prendre des centaines de photos et quelques vidéos de vos enfants pendant qu’ils courent, sautent sur le terrain et exécutent d’autres routines de danse et d’athlétisme. Cette tâche incombe principalement aux pères, même si, ces dernières années, certaines écoles ont restreint, voire interdit, la prise de photos et de vidéos, à la fois pour des raisons de confidentialité et pour protéger les enfants des pédophiles. Pour les mères, c’est beaucoup plus difficile car elles doivent se lever tôt, accompagner leurs enfants à l’école et, surtout, préparer l’o-bentô (casse-croûte) que toute la famille va manger pendant la pause de midi.
Le cœur d’un undôkai typique est constitué d’une série de compétitions athlétiques allant des épreuves d’athlétisme (100 mètres, courses de relais, etc.) à des sports moins orthodoxes (comme le tir à la corde) en passant par des jeux japonais uniques en leur genre. Dans le tama-ire (lancer de balle), par exemple, chaque équipe doit lancer le plus grand nombre possible de petits sacs de haricots dans un panier en un temps donné. L’ôtama korogashi (roulement de grande balle), quant à lui, est une course de relais au cours de laquelle les participants doivent faire rouler une énorme balle de la taille d’une personne. Enfin, la journée atteint généralement son apogée avec le kiba-sen (combat de cavalerie), où un joueur se tient sur les bras de deux coéquipiers et doit attraper le chapeau du “chevalier” ennemi. Il semblerait que la toute première journée sportive, qui s’est déroulée en 1874, ait même comporté une chasse au cochon…
Ces concours alternent avec des danses (chorégraphies originales ou danses traditionnelles du Japon). Dans les écoles élémentaires, l’undôkai se termine généralement par le kumi-taisô (gymnastique de groupe), au cours duquel les élèves de sixième année effectuent des exercices de force et d’équilibre, par deux ou par petits groupes, qui aboutissent à la réalisation d’une grande pyramide humaine. Toutefois, ces dernières années, les médias ont fait état de plusieurs blessures et de nombreuses écoles ont supprimé la pyramide, à la fois pour des raisons de sécurité et pour éviter le risque d’être poursuivies en justice par les parents des élèves blessés. En fait, au Japon, en vertu de la loi sur l’indemnisation, si un enseignant – c’est-à-dire un fonctionnaire – cause une blessure à un enfant ou à un élève, intentionnellement ou par négligence, dans l’exercice de ses fonctions, son école est responsable du dommage et doit verser une indemnisation. Le kumi-taisô est basé sur la confiance et la collaboration, et en effet, le travail d’équipe est la principale valeur enseignée et soulignée lors de ces événements. Bien sûr, l’undôkai consiste à se mesurer à d’autres enfants. Les élèves sont divisés en deux ou trois équipes (rouge, blanche et bleue), des points sont attribués pour chaque épreuve et un trophée est remis à la fin. Après tout, c’est la journée du sport. Cependant, la plupart des élèves ne se soucient pas vraiment du résultat. Cela ne signifie pas que les gens ne prennent pas l’undôkai au sérieux. Les élèves commencent à se préparer au moins un mois à l’avance, et même leurs parents ont beaucoup de choses à faire. De nos jours, tout le monde possède un smartphone, mais autrefois, de nombreuses familles achetaient des caméras vidéo dernier cri afin d’immortaliser au mieux les exploits de leurs enfants. Vient ensuite le problème du choix d’un bon emplacement autour du terrain de jeu. Outre la célébration des Jeux olympiques de 1964, le mois d’octobre a été choisi parce que le temps y est généralement clément, mais il peut encore faire assez chaud. C’est pourquoi papa est généralement envoyé à l’avance pour placer des bâches en plastique et des chaises pliantes à des endroits stratégiques, éventuellement à l’ombre, tandis que maman s’assure d’apporter des chapeaux et de la crème solaire.
L’une des raisons pour lesquelles je n’aime pas les undôkai est que les parents doivent souvent participer à des courses de relais tragicomiques et de faire d’autres choses humiliantes. Je me souviens encore avec horreur d’une année où une équipe de papas a été opposée à une équipe de mamans dans une gigantesque épreuve de tir à la corde. 50 messieurs ont été facilement écrasés par une armée de 100 dames ou plus très motivée.
L’école elle-même organise l’undôkai comme un exercice militaire, et chaque famille reçoit un programme écrit indiquant toutes les choses à faire et à ne pas faire (par exemple, les trépieds d’appareil photo ne sont pas autorisés). L’un des aspects les plus caractéristiques – et, pour moi, les plus effrayants – de la journée sportive est celui des pom-pom girls, qui sont particulièrement importantes au niveau de l’école primaire. Au lieu de pom-poms, les membres d’un ôendan japonais (équipe d’encouragement) portent des bandeaux et des gants aux couleurs de leur équipe, des sifflets et des drapeaux et exécutent des routines qui ressemblent à un mélange de rituel religieux et de cris militaires, soutenus par des tambours taiko tonitruants. L’ôendan le plus en vue crie “furê, furê !” à pleins poumons. Pendant des années, je me suis gratté la tête pour essayer de comprendre de quoi il s’agissait. Même les Japonais n’en connaissaient pas la signification. Ce n’est que récemment que j’ai découvert que “furê” est la traduction japonaise de l’anglais “hooray” (hourra).
En fin de compte, tout le monde est épuisé à la fin de la journée, et le seul moment de soulagement est la pause déjeuner, lorsque tous les o-bentô sont enfin ouverts. Le déjeuner va de la nourriture traditionnelle (pousses de bambou, champignons shiitake, crevettes, etc.) aux plats préférés des enfants, tels que le poulet frit et les saucisses, en passant bien sûr par de nombreuses boulettes de riz. L’ o-bentô de la journée sportive était autrefois l’occasion pour les femmes de montrer leurs prouesses culinaires, mais aujourd’hui, de plus en plus de mères surchargées de travail n’hésitent pas à les acheter dans une supérette.
Si vous avez l’occasion de participer à un undôkai, essayez donc. Vous pourriez même y prendre plaisir. Cette année, le Spôtsu no Hi sera célébré le 9 octobre.
Gianni Simone