Malgré le danger qu’ils peuvent parfois représenter, ces montagnes de feu ont un pouvoir d’attraction sur les Japonais.
Le 27 septembre, plusieurs centaines de personnes avaient entrepris de se rendre au sommet de l’Ontake-San pour profiter des premières couleurs de l’automne. Le temps était idéal et la journée s’annonçait belle. Vers midi, une colonne de fumée a envahi la zone, marquant le début de l’éruption la plus meurtrière depuis des décennies. Plus d’une cinquantaine de morts ont été recensés à l’issue de recherches interrompues à plusieurs reprises par les intempéries liées au passage de typhons. Cet incident est venu rappeler à la population que les risques posés par la présence de volcans actifs dans le pays sont élevés et surtout imprévisibles malgré une surveillance permanente des sites les plus actifs. L’Agence de météorologie japonaise qui supervise les volcans avait bien relevé quelques signes d’activité inhabituels sans pour autant modifier le niveau d’alerte qui était alors fixé à 1, c’est-à-dire normal. Depuis l’éruption mortelle, le niveau est passé à 3, ce qui signifie qu’il est interdit d’approcher du volcan. Au Japon, il existe 5 niveaux d’alerte qui permettent à la population de savoir se situer par rapport à ces volcans omniprésents dans l’ensemble du pays. De la même façon qu’ils doivent vivre avec les tremblements de terre, les Japonais doivent aussi s’accommoder de ces montagnes qui peuvent devenir dangereuses à tout moment. Les éruptions de grande ampleur se produisent tous les 10 000 ans, expliquent les vulcanologues nippons, mais il est difficile de déterminer précisément le moment où elles auront lieu.
Cela ne veut pas dire pour autant que les Japonais vivent dans la psychose de l’explosion volcanique. Depuis des siècles, ils ont appris à vivre avec les caprices de la nature quelle que soit la forme qu’ils prennent. Les volcans appartiennent à l’identité du pays. Ils font partie intégrante du paysage et sont dans certains cas de véritables repères. Fuji-San, le mont Fuji, est même devenu un symbole mondial depuis qu’il a été inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité. Sans ce volcan, le Japon ne serait pas tout à fait le Japon. Lorsqu’on se trouve à Tôkyô, dans un endroit suffisamment élevé, on cherche toujours du regard le mont Fuji comme un repère, comme si on voulait se rassurer. C’est paradoxal pour une montagne dont l’éruption pourrait causer tant de dommages. Peut-être incarne-t-il un kami, une divinité, auquel il convient de rendre hommage pour gagner ses grâces. Majestueux, ce volcan est d’une beauté incroyable, inspirant les plus grands artistes japonais comme Hokusai, à l’honneur dans de nombreuses expositions à travers le monde. “Le Fuji est souple, fier comme une épée, il invite à l’audace. Le Fuji fait penser à une jeune vierge – ce n’est pas un hasard qu’il soit la demeure de la ‘Princesse-qui-fait-fleurir-les-arbres’ – ou à un guerrier adolescent qui combat pour sa foi. C’est pourquoi le Fuji est également proche de l’amour, de la mort, de tous les grands égarements”, écrivait l’Italien Fosco Maraini, familier d’un autre volcan : l’Etna.
Fuji-San n’est pas le seul volcan à posséder un pouvoir d’attraction sur les populations qui, malgré le danger potentiel qu’ils représentent, n’hésitent pas à s’installer à leur proximité. Sakurajima, à la pointe sud de l’île de Kyûshû, en est un excellent exemple. A la différence du mont Fuji dont la dernière éruption remonte à 1707, le volcan de “l’île du cerisier” continue à cracher régulièrement de la fumée, obligeant régulièrement les habitants à subir ses rejets. Sur la même île de Kyûshû, Aso-San est un complexe qui regroupe une quinzaine de cônes volcaniques au sein d’une caldeira de 24 km sur 18 km, soit une circonférence de 128 km, ce qui en fait l’une des plus grandes du monde. C’est un endroit magnifique qui suscite l’émerveillement de tous ceux qui s’y rendent. C’est le seul endroit au Japon où les touristes peuvent, du bord du cratère, voir les fumées noires s’élever du volcan. Des bunkers ont été bâtis sur les flancs pour protéger les visiteurs en cas de petite éruption. Mais il arrive parfois que l’accès soit interdit en raison de l’émanation de gaz. Plus au nord du pays, dans cette formidable région qu’est le Tôhoku, au nord-est de l’île principale de Honshû, se trouve Zaô-Zan, le mont Zaô. C’est un des joyaux de la nature au Japon qui attire chaque année des centaines de milliers de touristes. S’ils apprécient la diversité de la végétation qui s’est constituée autour de cette chaîne volcanique, beaucoup viennent profiter des nombreuses sources thermales (onsen) de la région. La présence des volcans explique l’abondance des sources d’eau chaude auxquelles les Japonais vouent aussi un culte. Le feu et l’eau que tout oppose se rejoignent pour le plus grand plaisir d’une population. Celle-ci est prête parfois à parcourir des centaines de kilomètres pour profiter de ces lieux où le temps de quelques heures ou quelques jours elle peut tout oublier dans cette eau chaude venue des entrailles de la terre. Malgré le danger qu’ils peuvent représenter, les volcans ont attiré, attirent et attireront encore les Japonais qui ne peuvent pas s’en passer. Ils appartiennent à leur quotidien. Ils les respectent en leur vouant un culte comme le souligne la présence de sanctuaires shintoïstes à proximité ou au sommet de ces montagnes de feu. Et à chaque fois que le temps le permettra, ils seront encore des centaines à se lancer dans leur ascension pour aller admirer leur beauté qui parfois peut s’avérer fatale, comme ce fut le cas le 27 septembre dernier avec l’éruption surprise d’Ontake-San.
“Un ciel sans couleur
rejoint
la mer couleur de cendres ”
Haiku du poète Ogiwara Seisensui
Odaira Namihei