Grâce à sa brillante traduction de L’Impérialisme de la liberté, Arthur Defrance montre que la relève est déjà là.
Couronné par le Prix d’encouragement 2024 pour sa traduction de L’Impérialisme de la liberté. Un autre regard sur l’Amérique de Nishitani Osamu (Seuil, 2022), Arthur Defrance s’est entretenu avec Zoom
Japon pour évoquer sa démarche de traducteur. L’occasion également de saisir les motivations du prix Konishi à encourager les jeunes talents dans le domaine de la traduction.
Comment vous êtes-vous formé à la traduction ?
Arthur Defrance : D’abord à la traduction depuis l’allemand et les langues classiques lors de ma scolarité en classe préparatoire, puis, pour le japonais, selon un enseignement plus rigoureux en licence et master à l’INALCO. J’ai eu l’occasion de faire des traductions lors de conférences et, pendant mes premières années de doctorat, j’ai pu publier, en 2021, la traduction du cycle de conférences du professeur Saitô Mareshi intitulé Qu’est-ce que le monde sinographique ? aux Presses du Collège de France.
Pourquoi avoir traduit L’Impérialisme de la liberté ?
A. D. : Il peut sembler étrange qu’un doctorant en études japonaises se spécialisant dans le Japon ancien traduise un essai philosophique contemporain. Alain Supiot, directeur de la collection Poids et Mesure du Monde aux éditions du Seuil m’a proposé ce travail et je l’ai accepté. Son objectif de faire entendre les voix d’intellectuels hors de la sphère occidentale et plus aptes à en critiquer les points aveugles et les faiblesses, me séduisait. L’essai de Nishitani Osamu réalise un délicat équilibre entre la documentation historique, la pensée philosophique et la plume de l’essayiste. Cela m’a semblé, dès la première lecture, répondre à l’attente de M.Supiot.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?
A. D. : Le grand nombre de citations et de références (Thomas Hobbes, Carl Schmitt, Stefan Zweig, Herman Melville ou le journal de Christophe Colomb par exemple) a demandé des recherches sur les sources, pour une mise en dialogue des traductions japonaises, des originaux dans les différentes langues, ainsi que des traductions françaises préexistantes.
Mais la plus grande difficulté a tenu au style : essayiste, précis, incisif, mais aussi imagé, qui coule sans heurt dans la langue originale. Le texte français devait rester plaisant à lire, sans perdre la rigueur nécessaire à la démonstration. Il y avait peu de modèles, car l’essai n’est pas un genre très traduit, il fallait donc trouver un ton à même de rendre ce style particulier, en maintenant l’équilibre entre volonté de clarté et désir de conserver les cadences de phrase, les images et même les bons mots de l’auteur.
Quelles ont été vos méthodes de travail ?
A. D. : Les nécessités de la maison d’édition exigeaient que le travail soit terminé en six mois environ. J’ai fait en sorte de traduire 4 pages chaque matin de la semaine pour arriver rapidement à un premier jet. A la fin de chaque chapitre, nous discutions avec l’auteur et parfois avec le directeur de collection, pour corriger d’éventuelles erreurs, vérifier le sens d’une expression difficile et convenir de traductions fixes pour certains termes récurrents. Travailler en collaboration avec l’auteur a été un immense plaisir. Sa connaissance très fine du français lui permettait de proposer des traductions pour les mots les plus difficiles. Je suis aussi très reconnaissant aux éditions du Seuil de m’avoir permis de reprendre les notes de l’original et d’en ajouter pour donner des précisions historiques ou linguistiques.
Comment voyez-vous la situation de la traduction du japonais vers le français actuellement ?
A. D. : Les livres de philosophie et les essais japonais en général font peu l’objet de traductions en français. Au vu de l’intérêt suscité en France par la culture japonaise dans toutes ses facettes, on peut raisonnablement espérer que certains ouvrages puissent prendre place dans des collections générales (non pas dans des collections réservées aux connaisseurs de l’Extrême-Orient) et contribuer – même modestement – au rapprochement des sphères intellectuelles française et japonaise.
Avez-vous des projets de traductions ?
A. D. : Oui, dans un domaine plus proche de mes études : une traduction de la Chronique de Masakado, texte du XIe siècle, rédigée en chinois classique, qui raconte comment un potentat local, Taira no Masakado, en vient à prendre le pouvoir dans plusieurs provinces de l’Est et à menacer le pouvoir central de Kyôto. C’est un texte relativement difficile, mais d’un immense intérêt littéraire et historique. C’est aussi un élément capital du récit politique que le Japon s’est fait de lui-même pendant des siècles : Masakado, en effet, seul sujet à jamais avoir osé se rebeller, était une tache dans l’histoire du Japon impérial.
Propos recueillis par C. Q.