Les éditeurs s’adaptent à la démographie de la population et répondent aux attentes d’un public vieillissant.
Ces dernières années, on assiste de plus en plus à la publication de livres de cuisine qui reflètent la société japonaise : des recettes écrites par des femmes âgées, pour les femmes âgées.
Les titres de ces ouvrages ont souvent deux points communs : ils mentionnent noir sur blanc que leurs auteurs sont d’un âge avancé et qu’elles mènent une vie modeste. 87 ans, une vie solitaire dans un vieux HLM mais remplie de petites joies ; J’ai trouvé mon bonheur à 80 ans ; Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ? Des astuces pour ses repas en solo à 68 ans ; La cuisine-santé d’une veuve de 88 ans. Dans d’autres titres, on y lit également : “Avec une pension de 300 euros par mois”, “La vie dans une campagne abandonnée”, “Une vie sans dépense”, “Les portefeuilles légers”…
Sur la couverture, à chaque fois, une dame élégante et toute souriante, habillée de façon simple et naturelle (chemise en lin, tablier). Ce genre de livres n’est presque jamais écrit par des hommes.
Ces ouvrages, en réalité, sont bien plus que des livres de recettes. Ils racontent aussi la vie de leurs auteurs (une professionnelle de la cuisine macrobiotique ; une femme au foyer qui a 120 000 followers sur YouTube grâce à ses vidéos de cours de cuisine ; une autre ayant gagné son indépendance financière après le décès de son mari…) et les recettes sont juste un moyen de partager leur quotidien, humble, mais paisible, et agrémenté des petits plaisirs de l’existence.
Les recettes proposées sont souvent faciles à réaliser pour une seule personne et bonnes pour la santé : onigiri de riz complet, smoothie tarte aux courges ultra simple, variations de plats de tofu… Certains livres suggèrent des recettes avec moins de sel, d’autres affirment qu’on peut déguster un peu de saké tous les soirs. Les modes de vie de ces écrivains sont très variés, mais elles mettent toutes en avant la même idée primordiale : “se faire plaisir”. Loin des postures dogmatiques ou des injonctions à manger sainement pour vivre plus longtemps, chacune de ces femmes dit écouter la voix de son corps. Prendre soin d’elle-même, dresser une jolie table avec des petites fleurs et de la vaisselle qu’elle aime. Le fait que ce type de livres se vende bien (certains à plus de 100 000 exemplaires) met à la fois en lumière le vieillissement de la société nippone, mais aussi le changement des préoccupations de beaucoup de Japonaises du troisième âge.
Dans les années 1990-2000, les auteurs vedettes de livres de recettes étaient généralement des mères quarantenaires ou quinquagénaires qui élevaient des adolescents ; elles proposaient des recettes de plats d’influence occidentale, contemporains et esthétiques qui pouvaient plaire à tous les membres de la famille, pour que les lectrices de la même génération puissent s’y identifier et se sentir fières d’être “des bonnes mères et des épouses de bon goût”. Aujourd’hui, ce sont toujours les mêmes femmes, mais elles ont atteint un âge plus avancé, et elles veulent cette fois-ci s’affirmer en tant que “femmes libres et toujours optimistes”, cherchant encore des astuces pour déceler beauté et délices dans leur vie souvent modeste.
Sekiguchi Ryôko