Membre de l’Institut des sciences de la terre, Florent Brenguier nous fait part des résultats d’une étude inquiétante.
Comme en témoigne l’abondante iconographie japonaise, les risques telluriques sont omniprésents au pays des “cents volcans”. Selon la mythologie, lorsque le poisson-chat géant Namazu se réveille, ses frétillements provoquent des séismes destructeurs. Le récent réveil inattendu du volcan Ontake nous rappelle à quel point la nature est capricieuse et la science incapable de prévenir ses soubresauts. Une des images les plus emblématiques du pays est le mont Fuji situé en arrière-plan de la mégalopole tokyoïte. Les cendres volcaniques éjectées lors de sa dernière éruption en 1707 ont fortement perturbé l’ensemble de la région. Moins connu, le volcan actif du mont Zao surplombe la ville de Sendai et son million d’habitants. Pour tenter de prévenir les catastrophes, les Japonais ont établi, depuis plusieurs dizaines d’années, le système de surveillance géophysique le plus performant de la planète. Il permet à tous les scientifiques d’étudier en détail les phénomènes qui précèdent les cataclysmes volcaniques et sismiques.
Afin de scruter ces phénomènes, une méthode révolutionnaire a été développée ces dernières années dans notre laboratoire à Grenoble. Elle permet d’obtenir une échographie de la croûte terrestre et ainsi de scruter les mouvements imperceptibles à l’intérieur de la Terre qui préparent lentement les éruptions volcaniques et les séismes destructeurs. De manière assez poétique, cette méthode exploite les “bruissements” émis par l’océan et captés par des sismomètres répartis à la surface de notre planète. Le 11 mars 2011, un séisme géant de magnitude 9 s’est produit. Il a engendré le tsunami et la catastrophe humaine que nous connaissons tous. Mais les ondes sismiques destructrices n’ont pas seulement fissuré et endommagé les habitations et constructions, elles ont aussi, par leur intensité, secoué et perturbé l’intérieur de la Terre. Suite à ce séisme d’envergure, des milliers d’autres dont certains assez puissants se sont produits dans l’archipel maintenant un état de panique généralisé durant des mois parmi la population. En revanche, aucune éruption volcanique n’a eu lieu à la suite du 11 mars contrairement aux prévisions des scientifiques.
Notre équipe en partenariat avec les centres de recherche de Tôkyô, Tsukuba et Sendai a initié un travail de longue haleine pour ausculter grâce à notre nouvelle méthode les conséquences du séisme du 11 mars sur l’écorce terrestre. Après des mois d’intense travail, les résultats nous ont surpris. Contrairement à nos attentes, l’endommagement intense de l’écorce terrestre provoqué par les ondes sismiques émises au moment du séisme géant ne s’est pas concentré dans le nord-est, mais dans les zones situées sous les chaînes volcaniques. En particulier, le mont Fuji, situé à plus de 500 km de là, montrait une anomalie parmi les plus grandes. Comment pouvait-on interpréter ces observations ? La réponse est venue de nos collègues japonais qui connaissent et surveillent leur “troupeau” de volcans impétueux. En effet, sous les régions volcaniques où nos observations indiquaient de fortes anomalies, des centaines de petits séismes se sont produits indiquant une fragilisation d’un milieu déjà en état “critique”. Nous avons ensuite pu émettre l’hypothèse que cet état “critique” était le fruit de la pression intense de fluides (eau, gaz) en profondeur réchauffés par le magma sous les volcans. Nous avons ainsi pu imager pour la première fois l’état de l’écorce terrestre et mettre en évidence des régions extrêmement sensibles aux moindres perturbations extérieures. Pourquoi alors les volcans situés au-dessus de ces régions ne sont pas entrés en éruption à la suite du séisme géant du 11 mars 2011 ? Les calculs montrent que, avant tout, c’est la pression au sein même du magma en profondeur qui contrôle la remontée ou non du magma vers la surface et le déclenchement d’une éruption volcanique. Les perturbations liées au séisme du 11 mars n’étaient pas assez fortes pour augmenter de manière significative la pression du magma en profondeur. En revanche, le séisme nous a permis d’illuminer les régions potentiellement dangereuses, mais aussi probablement actives en terme géothermique, caractérisées par la présence de nombreuses sources chaudes. Comme le pensent les scientifiques japonais, il existe un risque élevé d’éruption du mont Fuji en cas de séisme dans la région du Tôkai, au sud de Tôkyô. En 1707, un tremblement de terre dans cette partie du pays avait fait 20 000 victimes avant que 49 jours plus tard, le mont Fuji connaisse sa dernière éruption à ce jour. A défaut d’être en mesure de calmer les ardeurs du poisson-chat Namazu, les scientifiques arriveront peut-être un jour à comprendre les causes de ses troubles.
Florent Brenguier