Philippe Pons livre un portrait intime de la principale cité japonaise qu’il a parcourue depuis plus de 50 ans.
Le récent succès international du film Perfect Days de Wim Wenders est venu rappeler que le regard que nous portons sur la capitale japonaise reste “une sorte d’allégorie de l’altérité pour l’Occident” comme le rappelle Philippe Pons en introduction de son dernier livre intitulé Tôkyô-Bohème. Même s’il ne fait pas spécifiquement référence au film récompensé à Cannes, le journaliste, qui y a posé ses valises pour la première fois il y a près de 55 ans, ressent le besoin de livrer un autre regard, plus intime dans ce “recueil de moments glanés au hasard des rencontres” à travers lesquels il dessine les contours d’une ville dont il a vécu les évolutions sans chercher à en imposer une interprétation.
Au fil des pages, celui, qui continue de nous livrer régulièrement des nouvelles du Japon, s’est fixé comme objectif de “délier l’esprit d’évidences si “évidentes” qu’elles n’étaient pas perçues comme telles pour entrevoir d’autres cohérences, d’autres découpages du réel, d’autres quêtes du bonheur, d’autres gestes, d’autres lumières. Un brouillage de certitudes qui conduit à s’interroger sur les conditions historiques et anthropologiques du système de pensée dont nous avons hérité”. Cela peut paraître ambitieux voire présomptueux, mais Philippe Pons ne se pose pas en donneur de leçons. Il préfère nous entraîner dans ses promenades qui l’ont conduit à plonger dans la profondeur d’une ville où “subsistent en archipels des quartiers, pas nécessairement beaux mais riches du foisonnement de la vie ordinaire”. “Plusieurs “villes” se côtoient, s’enlacent – ou s’ignorent – dans la capitale”, ajoute-t-il. C’est tout le mérite du journaliste que de chercher à nous rappeler que le génie de Tôkyô réside dans ses “quartiers-villages” et non les toilettes conçues par les grands noms de l’architecture, comme voudraient nous le faire croire les autorités japonaises, avec la complicité de certains observateurs étrangers, qui se satisfont de cette superficialité accommodante faite de bizarreries sans cesse renouvelées.
Comme le souligne l’auteur, “Tôkyô se goûte en laissant la bride sur le cou à l’attention propre au flâneur”. Or on voit bien aujourd’hui que la ville est consommée comme on avale une bière lorsqu’on est assoiffé. On ne se laisse plus le temps de se perdre dans les ruelles (roji) qu’un Nagai Kafû (voir Zoom Japon n°100, mai 2020) a su mettre en évidence dans son œuvre. Le livre de Philippe Pons est aussi un hommage à toutes ces personnalités grâce auxquelles il a également fait son apprentissage. Parmi elles, nous citerons Marcel Giuglaris dont il fait l’éloge dans la dernière page de son formidable ouvrage. Dans Visa pour le Japon (Gallimard, 1958), ce dernier écrivait : “Il existe au Japon un seul mont Fuji, moins de dix mille geishas, et il n’y a plus de samouraïs en costumes depuis 90 ans. Il existe aussi 90 millions de Japonais. Le mont Fuji, les geishas, les samouraïs, les harakiri, la délicatesse des couleurs d’une manche de kimono ont inspiré de nombreux ouvrages étrangers. Les 90 millions de Japonais beaucoup moins. Nous allons parler d’eux”. Avec son Tôkyô-Bohème, Philippe Pons a repris le flambeau et s’inscrit dans cette démarche et rien que pour cela, nous lui devons le plus grand respect.
O. N.
Référence
Tôkyô-Bohème, au fil des rencontres 1970-2024, de Philippe Pons, Gallimard, coll. Témoins, 2024, 24 €.