Lorsque les arbres prennent leurs couleurs automnales, mieux vaut ne pas rater ce spectacle éblouissant.
Il y a quelque chose de magique avec le début de l’automne à Hiroshima. La chaleur suffocante de l’été n’est plus qu’un souvenir ; la saison des typhons est enfin passée pour laisser la place à de belles journées et des nuits rafraîchissantes. La récolte de riz bat son plein tandis que les fêtes de la moisson donnent lieu à de nombreuses réjouissances. Dans les sanctuaires shintoïstes des villes et des campagnes, les représentations colorées de pièces de kagura ravivent les mythes anciens, éliminent les démons et apaisent les dieux. Mais le joyau de la saison s’appelle kôyô que l’on pourrait traduire littéralement par feuilles rouges. Compte tenu de la localisation de Hiroshima prise en sandwich entre les montagnes de Chûgoku et la mer Intérieure, il existe une multitude de possibilités d’admirer ce spectacle haut en couleur. Les jardins de la ville, les îles romantiques et les montagnes brumeuses sont transformés par les érables, les ginkos, les sorbiers, les hêtres, les châtaigniers et les cerisiers en des zones flamboyant de rouge et d’or.
Au Japon kôyô inspire un respect qui confine à la spiritualité. Pour quelques brèves semaines, momiji-gari [l’observation des feuilles rouges] devient une obsession nationale à tel point que personne ou presque ne peut résister à cet appel annuel de la nature. Début octobre, apparaissent un peu partout les premiers signes de la fièvre kôyô. Les magasins sont ornés de fausses branches d’érables aux feuilles colorées. A l’occasion des bulletins météorologiques à la télévision, on explique au jour le jour la progression de l’automne. Dans les gares, on affiche le passage des arbres du vert au rouge, région par région. Au travail, cela devient le principal sujet de conversation autour de la machine à café. Le géant de la bière Kirin propose même sa “cuvée spécial automne” chaque année, dans des canettes ornées évidemment de feuilles d’érable.
Dans l’air froid des montagnes qui ceinturent Hiroshima, le phénomène kôyô commence quelques semaines avant de toucher la côte. Des milliers d’habitants de la ville font alors le pèlerinage des gorges de Sandankyô, un lieu exceptionnel situé à environ 70 km au nord-ouest de la cité portuaire. Considérée comme l’une des cinq gorges les plus belles du pays, Sandankyô est réputée pour ses cascades et ses couleurs d’automne magnifiques, les érables rouges et les ginkos aux tons dorés contrastant avec les pins et les cèdres vert émeraude.
Pour de nombreux Occidentaux, l’automne évoque des images nostalgiques de promenades solitaires et mélancoliques. Au Japon, la solitude n’est pas à l’ordre du jour. Au plus haut pic de la saison des feuilles rouges, le sentier étroit de 16 km qui traverse Sandankyô ressemble à une longue file indienne. On y trouve aussi bien des septuagénaires équipés de bâton de marche et de vêtements spécialisés, des salariés en vêtements de sport à la mode, des jeunes filles en minijupes et talons hauts portant leur sac à dos Vuitton. Bref, tout le monde se retrouve ici. Si la foule vous fatigue, allez vous détendre sur l’un des bateaux qui traversent les gorges. Vous aurez alors la possibilité d’atteindre Sarutobi, un passage recouvert de mousse entre les parois du canyon d’à peine deux mètres de large.
Momiji-gari est une activité populaire au Japon depuis des siècles. Selon la croyance shintoïste, les montagnes et les forêts sont des lieux sacrés habités par des divinités. Les déplacements de masse à l’intérieur du pays pour aller observer le feuillage changeant relevaient donc de l’acte spirituel. Il s’agissait alors de communier avec les dieux.
L’observation des feuillages d’automne reste encore une activité collective. Mais contrairement à l’hanami au moment des cerisiers en fleurs (voir Zoom Japon n°39, avril 2014), l’alcool ne coule pas à flots. L’atmosphère est bien plus calme. Les gens viennent se promener et observer.
Lorsqu’on redescend vers la mer, il faut se rendre sur l’île sacrée de Miyajima, l’endroit le plus cher au cœur des habitants de la ville. Elle figure parmi les trois plus beaux sites du Japon. Le sanctuaire magique d’Itsukushima flottant sur la mer avec, en toile de fond, la forêt primitive du mont Misen en fait un des lieux incontournables à visiter pour tout touriste qui se respecte. Lorsque vient l’automne, l’endroit à visiter est le parc Momiji-dani recouvert d’érables plantés au cours de la période d’Edo, au pied du mont Misen. Aujourd’hui, il compte quelques 200 érables, des daims presque apprivoisés et de délicats ponts orange qui enjambent des courants d’eau cristalline. Quel que soit le nombre de personnes qui s’y trouvent, il conserve son charme enchanteur. L’érable fait partie intégrante de Miyajima à tel point que son produit le plus apprécié est le Manju Momiji, un gâteau en forme de feuille d’érable rempli de pâte de haricot rouge, de chocolat ou de crème.
En dehors des montagnes et des forêts, le meilleur endroit pour profiter de ce phénomène saisonnier est un jardin japonais traditionnel. Shukkei-en, au cœur du centre-ville de Hiroshima, a été conçu en 1620 par Ueda Sôko pour le seigneur local Asano Nagaakira. Ueda avait été un guerrier avant de devenir jardinier paysagiste, moine bouddhiste et maître de la cérémonie du thé. Shukkei-en reprend de façon réduite le paysage au bord du lac Xihu à Hangzhou, en Chine, dans un espace de seulement 40 000 mètres carrés. En son centre, se trouvent le vaste étang Takuei et son magnifique pont arc-en-ciel. Autour de lui, des chemins sinueux vous entraînent à travers des montagnes, des vallées, des rizières, des bosquets de bambous et des plantations de thé. C’est l’endroit idéal pour se perdre en empruntant de petits sentiers secondaires vers des coins isolés, des cascades et des lanternes de pierre recouvertes de lichen.
Vous pouvez assister à une cérémonie du thé dans la belle maison de thé Seifukan, avec son toit de chaume et sa fenêtre en forme de lyre. Ne pensez-vous pas qu’il y a encore de l’espoir dans notre monde si les gens prennent le temps de savourer une tasse de thé et de contempler les feuillages d’automne ?
Dissimulé au sud de la ville se trouve le deuxième plus beau jardin de Hiroshima : le parc Hanbe. Il s’agit d’un complexe comprenant un restaurant, des sources d’eau chaude et des auberges traditionnelles. Hanbe est très prisé pour les mariages, principalement parce que son magnifique jardin est parfait pour réaliser de belles photos. En vous y rendant, vous aurez de fortes chances de croiser de futurs mariés en somptueux kimonos suivis par une troupe d’appareils photo. Le restaurant donne sur un jardin japonais traditionnel avec des cascades, des étangs remplis de carpes, des îles, des ponts et des pins. Il s’étend jusqu’à une colline escarpée couverte de plus d’un millier d’érables. N’hésitez pas à faire une petite randonnée sur la colline où vous serez pratiquement seul. Vous pourrez peut-être alors apercevoir un tanuki (blaireau japonais) qui grogne au milieu des azalées.
Si vous cherchez quelque chose de plus spirituel, Hiroshima vous le propose aussi. A juste un arrêt du quartier commercial très animé de Hondori, vous trouverez le temple Fudôin. C’est le seul temple à avoir survécu au bombardement atomique. La juxtaposition de l’élégant temple, de la pagode orange et des érables autour du petit étang, sans oublier l’air doux rempli d’encens, fait de cet endroit un cadre délicieusement serein. Pour connaître dans une ambiance presque mystique, ne quittez pas Hiroshima sans avoir visité Mitaki.
A deux arrêts de la gare de Hiroshima sur la ligne Kabe, c’est comme si vous pénétriez dans un autre monde. Le temple, bâti en 809, se tient près du sommet du mont Mitaki. Le chemin qui y mène est bordé de centaines de statues. A l’automne, les 500 érables forment une lueur rouge au-dessus de la forêt, en filtrant le soleil comme des vitraux. Un spectacle éblouissant.
Steve John Powell