Conçu par l’artiste Okamoto Tarô, le monument aurait dû disparaître après 1970. Il est toujours debout.
Si le souvenir de l’exposition de 1970 perdure encore aujourd’hui, c’est aussi grâce à son œuvre la plus emblématique, la Tour du Soleil, qui est devenue avec le temps à la fois le symbole de l’événement et l’un des points de repère les plus populaires d’ôsaka.
Conçue par l’artiste Okamoto Tarô dans le cadre du pavillon thématique, la tour était prévue comme une structure temporaire qui devait être démantelée à la fin de l’exposition. Cependant, alors qu’une pétition contre son retrait circulait, il a été décidé en mars 1975 de la conserver de manière permanente dans le parc commémoratif de l’Expo.
La Tour du Soleil mesure 70 mètres de haut, avec un diamètre d’environ 20 mètres à la base, et comporte trois faces et deux bras d’une portée de 25 mètres. Selon Toshiko, l’épouse d’Okamoto, elle représente un corbeau. La face dorée au sommet représente l’avenir, la face solaire sur le torse avant représente le présent, tandis que le soleil noir peint à l’arrière représente le passé.
Trois grandes entreprises ont uni leurs forces pour la construire en utilisant des techniques de construction navale avec une structure en béton armé. La face du soleil, quant à elle, a été fabriquée en plastique renforcé de fibres de verre afin de réduire le poids. L’artiste était très attaché à cette face et s’est rendu à l’usine de la société pour vérifier sa production, sculptant et corrigeant sa forme de ses propres mains. A l’époque, la conception 3D assistée par ordinateur n’existait pas et la taille de la statue rendait difficile la mise à l’échelle du modèle original, de sorte que le travail reposait sur l’intuition des artisans. La face dorée originale était composée de 337 plaques d’acier, mais en raison de la détérioration due au vent et à la pluie, elle a été remplacée par une réplique en acier inoxydable de deuxième génération en 1992.
En raison de la forme complexe et unique de la tour, on ne savait pas au départ si la structure de 70 mètres de haut répondrait aux normes de résistance aux tremblements de terre, ni même si elle tiendrait debout, et il a donc fallu effectuer des calculs structurels. Elle a été bâtie au centre de la Place des Festivals conçue par l’architecte Tange Kenzô, sa pointe dépassant d’un grand toit argenté qui couvrait la place. Lorsque certains ont fait remarquer que la pluie pénétrerait par le toit, Okamoto aurait ri et proposé d’installer quelques grands ventilateurs pour évacuer la pluie.
Pendant l’Expo, l’intérieur de la tour contenait une exposition complexe de sculptures et d’objets basés sur le thème de l’évolution des êtres vivants, appelé l’Arbre de vie. Après l’Expo, la tour est restée fermée au public pendant 48 ans. Cependant, les quelques fois où elle a été ouverte temporairement, elle s’est avérée si populaire que la municipalité d’Ôsaka a finalement décidé de l’ouvrir pour une durée indéterminée.
Cependant, l’ensemble de la structure a d’abord dû être rénové et renforcé contre les tremblements de terre. A cette fin, les murs ont été épaissis de 20 centimètres. Finalement, le projet de rénovation a été couronné de succès et a même remporté le Good Design Award 2018. En 2020, la tour a été enregistrée en tant que bien culturel matériel national. Aujourd’hui, tout le monde peut entrer dans la tour et la visiter comme il y a 54 ans. Il suffit de réserver.
A l’intérieur se trouve une structure d’acier en forme de colonne vertébrale appelée l’Arbre de vie. Il représente un arbre mondial et est peint en cinq couleurs, une pour chaque continent. Il peut être considéré comme une description de l’évolution de la vie depuis les micro-organismes jusqu’aux êtres humains. En 1970, 292 modèles ont été fixés aux branches de l’arbre de 45 mètres de haut, certains d’entre eux étant déplacés électroniquement. Basé sur une idée originale d’Okamoto, le design a été créé par Narita Tôru, connu pour son travail sur la série Ultraman (voir Zoom Japon n°60, mai 2016), et les modèles ont été produits par Tsuburaya Productions. Dans la version actuelle, le nombre de modèles biologiques a été réduit à 183.
En 1970, de lourds escaliers roulants avaient été installés pour favoriser les déplacements. L’Expo était tellement populaire que les visiteurs étaient obligés de monter au sommet de la tour en cinq minutes en raison des longues files d’attente à l’extérieur. En 2018, les escaliers roulants ont été remplacés par des escaliers et vous pouvez maintenant profiter des expositions à un rythme tranquille.
Selon Ishii Takumi, chercheur en art, la Tour du soleil est une œuvre extrêmement complexe qui renferme de nombreux concepts et idées différents. “Okamoto était totalement opposé à l’Expo en tant que foire commerciale internationale. Il pensait que la quête du progrès matériel avait fait perdre à l’humanité sa fierté et sa dignité, et qu’il fallait les retrouver”, rappelle-t-il.
Pour contrebalancer l’accent mis par l’Expo sur le commerce et la technologie, l’artiste a voulu redéfinir cet événement comme une sorte de festival sacré et a érigé la Tour du soleil en son centre, comme une statue divine. Bien qu’il ne s’agisse que d’une statue en béton armé, elle était pour lui comme un être vivant, et l’arbre de vie à l’intérieur de la tour était ses vaisseaux sanguins et son système nerveux. Par conséquent, bien que la plupart des gens aient tendance à se concentrer sur l’aspect extérieur de la tour, l’arbre de vie peut être considéré comme la véritable essence de son œuvre.
La Tour du Soleil est une structure à trois niveaux : l’espace souterrain représente le passé, la partie hors sol le présent et la pointe de la tour, qui dépassait à l’origine du toit, le futur. Le passé, le présent et le futur sont réunis en un seul monument divin. “Visiter l’intérieur de la statue s’apparente à un rituel, comme l’entraînement au shugendô au cours duquel on passe de ce monde à l’autre et on fait l’expérience de la mort et de la renaissance. À cet égard, elle fonctionne également comme une sorte de dispositif d’initiation. On peut dire qu’Okamoto essayait sérieusement de transformer l’Expo en un festival sacré. Il voulait que la Tour du Soleil et l’Arbre du Monde au centre de l’univers soient un moyen d’aider les quelque 64 millions de visiteurs à retrouver le sens de leur vie”, assure-t-il.
La rencontre d’Okamoto avec la culture Jômon est un élément important à prendre en considération, car le concept de la Tour du soleil est également lié à la période Jômon (entre 14 000 et 300 av. J.-C.). Elle remonte à 1951 lorsqu’il est tombé sur des poteries Jômon au Musée national de Tôkyô, à Ueno. Il fut alors profondément ému par ces artefacts préhistoriques.
A l’époque, il était préoccupé par le fait qu’en raison de la modernisation, non seulement au Japon mais dans le monde entier, les gens perdaient de vue leur mode de vie originel, qui consistait à vivre avec les plantes et les animaux, la nature et le surnaturel. Pour lui, l’art était un moyen de retrouver le mode de vie originel, un moyen de sauver les gens de l’aliénation. “Je pense qu’il disait que nous devrions retrouver la sensibilité sauvage du peuple Jômon. Quoi qu’il en soit, Tarô a ressenti un fort sentiment de crise face au problème de l’aliénation humaine pendant la reconstruction du Japon d’après-guerre et les années de forte croissance économique”, estime Ishii Takumi.
Aujourd’hui encore, près de 55 ans après la première exposition universelle d’Ôsaka, la Tour du soleil reste une œuvre unique dans l’histoire des expositions universelles.
G. S.