Elles représentent désormais plus de 30 % des ventes de véhicules dans l’archipel. Les keijidôsha ont la cote.
D ans de nombreux pays, les plaques d’immatriculation des voitures livrent des informations utiles qui permettent de saisir certains aspects du pays. Aux Etats-Unis, elles sont souvent décorées en fonction de l’Etat d’où les automobilistes sont originaires. En France, pendant longtemps, les derniers chiffres permettaient de connaître les départements et souvent les parents occupaient leurs enfants en leur demandant le nom des préfectures voire des sous-préfectures. Au Japon, si l’on est capable de lire les kanji, on peut savoir de quelle ville ou de quel arrondissement (dans le cas des grandes villes) viennent les propriétaires. Mais grâce à la couleur de la plaque d’immatriculation, on peut aussi connaître le type de véhicule et son statut. La plaque blanche indique qu’il s’agit d’un véhicule ordinaire appartenant à une personne privée, la plaque verte signifie qu’il appartient à une entreprise et enfin la plaque jaune ou la plaque verte avec inscriptions en jaune désigne les keijidôsha, K-cars ou voitures légères dont la cylindrée ne doit pas dépasser les 660 cc et dont la longueur ne doit pas excéder les 3,40 mètres selon les dernières normes établies en 1998.
Si l’on se montre un tant soit peu attentif, on remarquera que ces plaques jaunes sont désormais omniprésentes quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Même dans les grandes villes où elles sont encore minoritaires, on remarque depuis quelques années une augmentation sensible de leur nombre. Et dès que l’on sort des centres urbains, ces petits véhicules prennent l’ascendant sur les autres voitures comme si dans l’empire de Toyota, qui ne produit pas de keijidôsha, la majorité des Japonais voulaient montrer que les signes extérieurs de richesse ne passent pas forcément par la bagnole. Les voitures légères ne sont pas non plus un effet de mode. Leur existence ne date pas d’hier puisque les premières normes les concernant ont été élaborées en 1949 au moment où le pays se lançait dans sa reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, la plupart des Japonais n’avaient pas les moyens de s’offrir une automobile digne de ce nom et les petites entreprises, dont l’activité a permis la relance de l’économie, avaient besoin de véhicules sans pour autant être en mesure de se payer des camions encore inabordables. C’est dans ce contexte que le marché des keijidôsha s’est développé avec une part très importante occupée par les véhicules utilitaires. Ce n’est qu’au milieu des années 1950 que les particuliers commençant à profiter de la croissance vont chercher à acquérir un véhicule. Et il faudra même attendre 1964, il y a 50 ans, pour que le phénomène Maikâ (My Car) se propage. A cette date, le nombre de véhicules circulant à Tôkyô franchit le seuil symbolique du million. La multiplication des autoroutes dans la capitale, mais aussi dans le reste du pays sous l’impulsion de gouvernements investissant massivement dans les travaux publics, va inciter les Japonais plus riches à se doter de voitures dignes de ce nom, oubliant les keijidôsha ou les laissant aux plus ringards. Devenu la deuxième puissance économique de la planète, le Japon devait tenir son rang et l’argent facile lié à la bulle financière des années 1980 a incité les Japonais à s’offrir les belles berlines dont les constructeurs ne cessaient de vanter les charmes à longueur de journée dans des films publicitaires.
La crise économique des années 1990 conjuguée au vieillissement de la population va bouleverser une nouvelle fois le marché. Dans les campagnes où la proportion des personnes âgées augmente le plus rapidement, les foyers ruraux continuent de s’équiper en véhicules utilitaires de petites cylindrées, mais aussi pour des usages privés. La nécessité de se déplacer plus souvent pour des consultations médicales amène de nombreuses personnes à se tourner vers ce genre de voiture dont l’acquisition constitue encore une bonne affaire d’un point de vue fiscal. Toutes les conditions sont réunies pour que les ventes de petites cylindrées explosent. Aujourd’hui, la part des keijidôsha dépasse largement celle des voitures ordinaires dans la plupart des régions rurales.
Mais attention toutefois, ces véhicules n’ont absolument rien à voir avec les petites voitures sans permis que l’on rencontre sur les routes de campagne en Europe dont l’une des caractéristiques est de faire un bruit épouvantable et de polluer. Avec le temps, les petites cylindrées nippones se sont sophistiquées, proposant non seulement un confort au moins aussi bon que celui des autres voitures, mais aussi des innovations technologiques et techniques qui leur permettent d’attirer une clientèle nouvelle très exigeante. Les premières concernées sont les femmes pour qui la puissance du moteur ne constitue pas forcément l’atout principal d’une voiture. Surtout que la circulation urbaine ne permet pas de l’exploiter à fond et que les limites de vitesse sur les routes sont très strictes. Aussi attachent-elles davantage d’importance aux qualités écologiques du véhicule, à sa maniabilité dans un pays où les rues sont plutôt étroites et à une foule de détails qui rendent très plaisante l’expérience de conduite. La plupart des constructeurs automobiles l’ont compris et misent désormais sur cette clientèle pour augmenter leur part de marché. Le faible encombrement des keijidôsha permet aussi à un foyer de posséder deux véhicules – une berline ordinaire et une petite cylindrée – en aménageant sa place de parking (obligatoire pour tout achat de véhicule quel qu’il soit). Les marques – Suzuki, Honda, Daihatsu pour ne citer qu’elles – qui dominent le marché des petites cylindrées sont aussi conscientes de l’importance prise par l’accélération du vieillissement de la population y compris dans les grandes villes. Plutôt que de se tourner vers des voitures ordinaires, les plus de 65 ans qui, selon les dernières statistiques, représentent désormais 25,9 % de la population, appartiennent à cette génération qui a connu l’automobile. Pour autant, ils ne sont plus attirés par les grosses voitures qu’ils ont peur de manœuvrer, préférant conduire des keijidôsha confortables et très maniables. Aussi les constructeurs leur proposent d’ores et déjà des voitures qui répondent aux exigences de leur âge. Ils travaillent également sur le développement de véhicules intelligents permettant notamment d’éviter les obstacles ou de freiner automatiquement en cas de problèmes. En effet, un nombre croissant d’accidents de la route implique des conducteurs âgés. Pour éviter qu’on leur interdise de conduire, les marques planchent sur des modèles qui devraient assurer encore quelque temps leurs ventes. Elles s’intéressent aussi aux plus jeunes moins argentés que leurs parents au même âge, en mettant sur le marché des keijidôsha à l’allure sportive même si les performances n’ont rien à voir avec celles des petits bolides disponibles par ailleurs. Représentant aujourd’hui plus de 30 % des ventes de voitures, les petites cylindrées pourraient bien tailler des croupières aux autres voitures. Elles ont beau être petites, elles ont montré qu’elles avaient des muscles.
Odaira Namihei