Tsutaya Jûzaburô (Yokohama Ryûsei) devant sa librairie où il vend notamment le guide Yoshiwara Saiken.© NHK En 2025, la NHK a choisi de consacrer sa saga annuelle à celui qui a favorisé l’épanouissement du livre au XVIIIe siècle. Comme chaque année depuis 1963, la NHK, la chaîne publique, diffuse un nouveau feuilleton au long cours (taiga dorama). Intitulée Berabô, cette série diffusée sur un an est basée sur la vie de Tsutaya Jûzaburô (1750-1797), le “roi des médias à Edo”, qui a fait connaître au monde les maîtres des estampes tels que Katsushika Hokusai et Kitagawa Utamarô, ainsi que les auteurs Santô Kyôden, Takizawa Bakin et Jippensha Ikku.Tsutaya Jûzaburô (également connu sous le nom de Tsutajû) était le fils d’un roturier pauvre de Yoshiwara, le quartier des plaisirs situé à la périphérie d’Edo. Il fut séparé très tôt de ses parents et adopté par le propriétaire d’une maison de thé. Il débuta comme propriétaire d’une librairie de location, puis se lança dans l’édition et la publication de livres. Dans l’atmosphère de liberté insufflée par Tanuma Okitsugu, conseiller principal du shôgun, la culture d’Edo s’épanouit. Disposant de nombreux contacts dans le monde culturel, Tsutajû produisit une série de livres à succès avec de somptueuses illustrations sous la forme de kibyôshibon (littéralement “livres à couverture jaune”), considérés comme les premières bandes dessinées pour adultes du Japon. Connus pour leur vision satirique et leurs commentaires sur les défauts de la société contemporaine, ces ouvrages se concentraient principalement sur la culture urbaine, la plupart des premières œuvres portant sur Yoshiwara.A l’âge de 33 ans, il s’installa à Nihonbashi et devint “le roi de l’édition d’Edo”. Cependant, Tanuma Okitsugu finit par tomber en disgrâce et Matsudaira Sadanobu, qui prit sa place, remit en question la satire politique de Tsutajû. Bien qu’il fût soumis à une oppression incessante et que la moitié de ses biens furent même confisqués, il continua d’afficher son attitude anti-autoritaire.C’est pour évoquer ce destin extraordinaire que nous avons rencontré la scénariste de Berabô Morishita Yoshiko et le producteur de la NHK Fujinami Hideki. C’est la première fois qu’un taiga dorama se déroule à la fin du XVIIIe siècle. Pourquoi avoir choisi cette époque en particulier ?Fujinami Hideki : Il s’agit d’une période paisible où l’accent était mis sur l’économie et les questions sociales. A cet égard, nous avons pensé qu’elle était très similaire au Japon moderne, et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous y intéresser. A cette époque, le statut social était déterminé dès la naissance. Si vous étiez né dans une famille d’agriculteurs ou de commerçants, vous étiez voué à être agriculteur ou commerçant toute votre vie. De plus, bien qu’il n’y ait pas eu de guerres, les gens ressentaient une forte menace venant de l’étranger. Tous ces éléments m’ont rappelé le Japon contemporain. Jusqu’à présent, de nombreux drames historiques se sont déroulés à d’autres époques, mais je crois qu’une histoire de la fin du XVIIIe siècle pourrait trouver un écho auprès des gens d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous l’avons choisie. Morishita-san, contrairement à d’autres séries historiques, cette histoire ne comporte pas de batailles, ne traite pas d’intrigues politiques et personne ne meurt de façon dramatique. Dans un sens, c’est juste l’histoire de la vie d’un éditeur et libraire. Qu’est-ce qui vous a attirée ?Morishita Yoshiko : C’est l’histoire d’un homme qui, pour le dire franchement, est né dans les couches inférieures de la société, quelque peu en dehors du cadre conventionnel, mais qui a pourtant réussi à atteindre les sommets. Ce qui rend cette histoire si fascinante, c’est que Tsutajû est venu de là, mais est devenu le chouchou de son époque. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans sa vie ?M. Y. : Tout d’abord, les livres qu’il a publiés sont extrêmement intéressants. Cela vaut aussi bien pour les livres kibyôshi que pour les livres Nishiki-e [estampes polychromes]. Je ne parle pas seulement de leur contenu. Par exemple, avec Yoshiwara Saiken [un guide des quartiers de plaisir de Yoshiwara à Edo dont le contenu comprenait un plan approximatif des quartiers de plaisir, les noms des bordels et des prostituées, leurs tarifs, une liste des maisons de thé et des auberges, et les noms des geishas], il a joué avec le format lui-même. J’ai moi-même été éditrice et je pense que son sens de l’édition, la façon dont il présente les informations et son flair, pour les attentes des lecteurs, sont exceptionnels. Son talent, sa sympathie et ses compétences en communication sont les raisons pour lesquelles il est devenu le meilleur de son époque. Même maintenant, après toutes ces années, ses œuvres n’ont pas pris une ride. C’est la deuxième fois que vous écrivez le scénario d’un taiga dorama. Quel est, pour vous, l’attrait des séries historiques, et comment comparez-vous vos deux expériences ?M. Y. : En tant qu’auteur, le format même du taiga dorama en fait un genre merveilleusement stimulant. Il dure 48 semaines, chaque épisode étant d’une durée de 45 minutes, ce qui peut être difficile pour un écrivain. Cependant, c’est aussi sa grande force. Le fait qu’il soit si long permet d’exprimer les aspects complexes de la vie et du caractère d’une personne et d’expliquer pourquoi elle est devenue ainsi. Pour moi, le plus grand attrait est de pouvoir dépeindre sa vie en profondeur plutôt que de simplement l’évoquer en quelques traits. On peut en dire autant du contexte historique.Bien sûr, écrire des histoires aussi longues est toujours difficile, mais les deux taiga dorama auxquels j’ai participé ont posé des défis radicalement différents. Lorsque j’ai écrit Onna Jôshu Naotora [Naotora, seigneure de la guerre, 2017], j’avais carte blanche : il n’y avait pas de chronologie, et le manque de documents sur lesquels fonder l’histoire en faisait un défi. Cependant, cette fois-ci, j’ai accès à une quantité impressionnante de matériaux. De nombreux documents ont survécu et, comme Tsutajû travaillait dans l’édition, nous avons accès à nombre de ses œuvres. Ensuite, en ce qui concerne les écrivains, les artistes et les autres personnes qui l’entouraient, la quantité d’archives est tout simplement énorme. Je me noie donc dans une mer de documents et cette fois-ci le grand défi consiste à trouver comment intégrer tout cela dans l’histoire. Le titre international de la série est Unbound [Sans lien] tandis que le titre japonais est Berabô. Pourquoi et quelle est sa signification ?F. H. : Morishita-san et moi avons envisagé plusieurs titres, et au début, nous avons pensé à quelque chose comme “Tsutajû eika osamu yume hanashi” [Histoire du rêve glorieux de Tsutajû]. Mais c’était trop long. Puis, Morishita-san a trouvé le mot “berabô”. A l’origine, ce terme signifiait “idiot” ou “imbécile”, mais il en est venu plus tard à exprimer quelque chose de non conventionnel ou hors du commun, et nous avons convenu que ce mot capturait l’esprit d’une personne comme Tsutajû, dont la vie et les actes dépassent notre imagination. C’est un mot très japonais et il convenait bien, mais nous avons ajouté “Tsutajû eika osamu yume hanashi” comme sous-titre. M. Y. : Oui, c’est vrai. Comme l’a dit Fujinami-san, le mot berabô portait originellement une connotation négative mais il a progressivement évolué pour décrire quelque chose d’extraordinaire, d’imprévisible. Comme vous le savez, la signification des mots change avec le temps. C’est très caractéristique de Tsutajû. Il est passé du statut d’excentrique à Yoshiwara, connu pour ses actions scandaleuses, à celui de star de l’époque.F. H. : D’un autre côté, c’est l’équipe de développement international de la NHK qui a proposé le titre Unbound. Encore une fois, nous voulions quelque chose de simple qui serait facilement compris par un public international et qui donnerait une idée claire de l’histoire. Je trouve que ce titre représente bien quelqu’un qui n’est lié à rien et qui s’élève au-dessus de son statut ; il donne l’idée d’un orphelin qui est né pauvre, n’avait...