
Le nombre de maisons vacantes ne cesse de croître dans l’archipel et oblige les autorités à trouver des parades.
La question des akiya (maisons vacantes) au Japon a longtemps été considérée comme un problème réservé aux campagnes, conséquence du dépeuplement et de l’exode rural, qui ont laissé derrière eux des maisons et des terres agricoles abandonnées. Cependant, depuis une dizaine d’années, les zones urbaines sont de plus en plus confrontées à leur propre crise du logement vacant. Dans la région métropolitaine de Tôkyô, la ville de Tokorozawa, dans la préfecture de Saitama, a adopté en 2010 une ordonnance locale visant à lutter contre les maisons vacantes, suivie par la ville d’Ushiku, dans la préfecture d’Ibaraki, deux ans plus tard. Le problème a été reconnu au niveau national en 2015, lorsque le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme (MLITT) a introduit la loi sur les mesures spéciales relatives aux maisons vacantes. Dans les villes de province, un phénomène que le MLITT qualifie d’“urbanisation éponge” est en train de se produire. Il s’agit de la propagation irrégulière de terrains vacants et de maisons vides, apparaissant par plaques éparses, y compris dans des zones destinées à accueillir commerces et habitations. Ce phénomène ne se limite pas aux villes, il touche également les quartiers suburbains des régions rurales.
A première vue, le problème des maisons vacantes semble résulter de la négligence individuelle : les propriétaires ne prennent pas soin de leurs biens, ou la génération suivante abandonne les maisons et les commerces après le départ ou le décès des propriétaires précédents. Mais si la question relevait uniquement de la responsabilité individuelle, elle ne serait probablement pas aussi répandue ni aussi difficile à résoudre qu’elle l’est aujourd’hui. L’augmentation du nombre de propriétés vacantes reflète des changements systémiques plus profonds, des transformations structurelles des villes et des cadres sociaux qui ne peuvent être résolues de manière isolée.
Au Japon, les maisons vacantes peuvent être classées en quatre grandes catégories, comme le souligne l’enquête menée en 2023 par le ministère de l’Intérieur et des Communications (MIAC) : les maisons vacantes à louer (1), à vendre (2), les résidences secondaires (3) et les maisons n’appartenant à aucune des trois catégories précédentes (4), y compris les lieux en attente de démolition ou de réaménagement.
D’après ses résultats, le nombre de résidences secondaires (villas, etc.) est resté relativement stable depuis les années 1970. Cependant, les trois autres catégories de logements ont connu une augmentation significative, en particulier depuis l’enquête de 1998. Dans de nombreux pays, les maisons situées dans la banlieue d’une zone métropolitaine (zone de navettage) sont généralement mises en location ou en vente lorsqu’elles ne sont plus habitables. Au Japon, cependant, le marché de l’immobilier ancien est peu développé. De plus, comme la plupart des maisons au Japon sont transmises par héritage plutôt qu’achetées ou vendues sur le marché immobilier, de nombreuses personnes vivant dans des villes de taille moyenne ou des zones éloignées des grands centres urbains hésitent à vendre ou à louer ces biens. Cette réticence découle souvent de valeurs culturelles : un fort attachement à la propriété ancestrale, l’idée de préserver l’héritage familial et l’attente sociale que les maisons restent dans la famille. Même si les héritiers n’y vivent plus ou n’ont pas l’intention d’y revenir, ils peuvent encore se sentir obligés d’en conserver la propriété. En conséquence, de nombreuses maisons restent vides, ni vendues ni louées, contribuant ainsi à l’augmentation du nombre de logements vacants dans tout le pays.
Le problème des akiya touche différents groupes – les habitants, les propriétaires fonciers, ainsi que les autorités nationales et locales – de manière différente mais interdépendante. Tout d’abord, l’augmentation du nombre de logements inoccupés à long terme, en particulier ceux laissés vides après le décès de leurs occupants, menace la stabilité des communautés locales. Dans les zones déjà confrontées au vieillissement et au déclin démographique, cela peut entraîner l’effondrement des services essentiels et rendre difficile le maintien de la vie de quartier.
Les maisons vacantes peuvent également causer des problèmes directs. La végétation envahissante, les nuisibles et les animaux représentent des risques pour l’hygiène. Les maisons en mauvais état peuvent devenir dangereuses : certaines parties peuvent s’effondrer ou être emportées lors de tempêtes. Les maisons vides sont également plus vulnérables aux incendies criminels, aux décharges illégales ou aux actes de criminalité.
D’un point de vue administratif, les propriétés négligées, appelées “maisons vacantes spécifiques” dans la loi, constituent une charge croissante. Elles réduisent les recettes fiscales locales tout en augmentant les coûts municipaux liés à la surveillance, à l’application de la loi et au nettoyage. Au fil du temps, ces propriétés négligées contribuent à la dégradation du cadre de vie et peuvent affaiblir la vitalité de quartiers entiers, compliquant ainsi l’urbanisme et le réaménagement.
Pour les propriétaires et leurs familles, une maison vacante héritée peut devenir un fardeau important, tant sur le plan financier que physique et émotionnel. Leurs responsabilités peuvent notamment inclure des inspections et un entretien réguliers, des mesures de prévention de la criminalité, la tonte de la pelouse et l’entretien de la végétation, le paiement régulier des taxes foncières et la prise en charge des réparations ou des dommages imprévus. Ces tâches peuvent être coûteuses et chronophages. La démolition d’une maison coûte en moyenne entre 1 et 2 millions de yens [de 6 000 à 12 000 euros], et si l’intérieur est encombré ou dangereux, le coût peut être encore plus élevé. Pour de nombreuses familles, la gestion d’un bien vacant à distance devient une source supplémentaire de stress et d’incertitude.
L’augmentation du nombre de maisons vacantes en milieu urbain est étroitement liée au 11e objectif des Objectifs de Développement Durable (ODD) : “Villes et communautés durables”. Lorsque le nombre de propriétés vacantes augmente, l’environnement de vie local et les services essentiels commencent à se détériorer, ce qui rend plus difficile pour les personnes âgées de vieillir confortablement dans les communautés qu’elles connaissent et aiment. Les recherches sur le vieillissement ont montré que même si un logement n’est pas parfaitement adapté aux personnes âgées, la familiarité avec l’environnement offre un avantage crucial.
Mais à mesure que les maisons sont abandonnées et que les infrastructures locales s’affaiblissent, même ceux qui souhaitent “vieillir chez eux” peuvent être contraints de partir. Ainsi, le problème des maisons vacantes devient un obstacle au vieillissement dans la dignité et l’indépendance, et une société où les personnes âgées ne peuvent pas vivre confortablement est peu susceptible d’être rassurante pour les jeunes générations.
Selon le MIAC, le taux de logements vacants au Japon n’était que de 2,5 % en 1963. A l’époque, le pays était confronté à une importante pénurie de logements, considérée comme un problème social majeur. Cependant, entre les années 1960 et la fin des années 1980, afin de répondre efficacement à cette problématique, le nombre d’habitations a augmenté rapidement. Mais à mesure que le parc immobilier total augmentait, le nombre de logements vacants progressait également, bien que lentement au début. En 2023, le nombre total de logements vacants avait atteint environ 9 millions, portant le taux de vacance national à 13,8 %. Si l’on compare les chiffres de 2003 à ceux de 2023, le nombre total de logements vacants a été multiplié par environ 1,4. Plus remarquable encore, le nombre de logements vacants non destinés à la location, à la vente ou à une utilisation secondaire, souvent appelés logements abandonnés ou négligés, a augmenté d’environ 1,8 fois, passant de 2,12 millions en 2003 à 3,85 millions en 2023.
La répartition des logements vacants varie considérablement selon le type et la région. Les résidences secondaires, telles que les propriétés de vacances, sont par exemple fortement concentrées dans les zones touristiques comme les préfectures de Nagano et de Yamanashi.
En revanche, les logements vacants à louer ou à vendre se trouvent généralement dans la périphérie des grandes agglomérations, où l’offre immobilière dépasse la demande actuelle. Dans l’ensemble, les logements vacants sont plus nombreux dans les zones rurales et les régions en déclin démographique et où la demande immobilière est faible, comme la région de San’in (préfectures de Shimane et Tottori), l’île de Shikoku et la région du Tôhoku, qui connaissent toutes un déclin démographique important et continu.
A l’inverse, le taux d’akiya est relativement faible dans la capitale, qui continue d’enregistrer un afflux constant de population. La préfecture d’Okinawa affiche également un faible taux de vacance, probablement en raison du nombre limité de terrains habitables répartis sur ses nombreuses îles. Cela dit, même dans la région métropolitaine de Tôkyô, le nombre et le taux de logements vacants varient en fonction de la distance par rapport au centre-ville. Les zones suburbaines (situées entre 10 et 30 km du centre) comptent un nombre élevé de logements vacants, mais comme le nombre total d’habitations est également important, le taux de vacance reste relativement faible. En revanche, les zones suburbaines éloignées (à plus de 50 km) comptent moins de logements vacants en valeur absolue, même si le taux de vacance grimpe à environ 20 %.
Ces zones périphériques représentent la limite des zones de banlieue et comprennent de nombreux lotissements construits pendant l’essor immobilier des décennies 1970 et 1980. Ces dernières années, en particulier depuis le recensement de 2010, ces zones ont également connu une forte augmentation de la population âgée, ce qui a contribué à aggraver le problème des logements vacants, ceux-ci étant laissés inoccupés par des résidents âgés ou décédés. La question des maisons abandonnées au Japon n’a pas de cause unique. Elle résulte plutôt d’un ensemble complexe de facteurs directs et sous-jacents étroitement liés.
Une cause fréquente est la complexité des successions. Après le décès d’un parent ou du propriétaire, une maison peut être laissée vacante en raison de problèmes successoraux non résolus, souvent liés à des conflits familiaux ou à l’indécision des héritiers. Au-delà des complications juridiques, l’attachement émotionnel peut également jouer un rôle. Certains membres de la famille peuvent s’opposer à la vente ou à la démolition d’une maison parce qu’ils la considèrent comme un lieu chargé d’histoire et de souvenirs familiaux. Malgré la généralisation du modèle de la famille nucléaire, la croyance traditionnelle selon laquelle les maisons et les tombes doivent être héritées et préservées persiste au Japon. Cette vision culturelle peut rendre émotionnellement difficile pour les familles de se séparer des propriétés héritées, même si personne n’a l’intention d’y vivre.
Certaines zones sont plus sujettes à la vacance simplement en raison de leurs caractéristiques physiques et urbaines. Prenons l’exemple de la ville de Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa. Cette municipalité est connue pour s’attaquer activement au problème des akiya. On y trouve une forte concentration de maisons vides dans des zones caractérisées par un relief montagneux et des vallées, connu sous le nom de topographie yato en japonais.
Ce phénomène n’est pas propre à Yokosuka. Dans tout le Japon d’après-guerre, l’urbanisation rapide et la croissance démographique ont conduit à des développements résidentiels dans des endroits peu propices à l’habitation, tels que les collines, les falaises, les vallées étroites et les zones humides.
Cependant, avec le ralentissement de l’urbanisation et le déclin démographique, ces zones ont perdu de leur attrait. Leur accès difficile, les risques naturels et le vieillissement des infrastructures les ont rendues moins attractives, augmentant ainsi le risque que les logements y soient laissés vacants.
Si certaines causes directes expliquent l’abandon des logements, d’autres, plus générales, moins évidentes mais tout aussi déterminantes, contribuent à la progression constante du phénomène. D’une part, après la Seconde Guerre mondiale, le Japon a été confronté à une pénurie de logements considérable.
Avec l’industrialisation et l’urbanisation, de nombreux jeunes ont quitté les campagnes pour s’installer dans les zones industrielles et les grandes villes à la recherche d’un emploi. Ils ont fini par fonder une famille et ont cherché des logements plus spacieux pour les accueillir. Pour répondre à cette demande croissante, le développement du logement et des infrastructures a été activement encouragé dans les zones suburbaines. Parallèlement, le gouvernement a mis en place des mesures fiscales et hypothécaires favorables à l’accession à la propriété en banlieue, contribuant ainsi à faire du Japon une “société de propriétaires”.
Cependant, cette priorité accordée aux logements neufs s’est faite au détriment du marché de l’ancien. L’achat et la vente de maisons anciennes sont restés peu accessibles, tandis que la démolition d’un bien immobilier ou le déblaiement d’un terrain impliquaient des coûts élevés d’autant plus que les terrains viabilisés sont soumis à des taxes foncières plus élevées. Dans ce système, conserver une maison inoccupée, même héritée de ses parents, devient souvent le choix le plus “rationnel”. Résultat : de nombreuses maisons sont tout simplement laissées à l’abandon.
Le problème des logements vacants dans les zones urbaines est devenu particulièrement visible depuis 2010 environ, sous l’influence non seulement de la dynamique interne du Japon, mais aussi des tendances mondiales en matière de restructuration urbaine. Depuis la fin du XXe siècle, la mondialisation a intensifié la concurrence entre les grandes villes du monde entier. Tôkyô a suivi une voie similaire. Depuis les années 2010, la ville a connu une forte augmentation des immeubles en copropriété de grande hauteur (tower mansions) et des réaménagements à grande échelle, notamment en vue des Jeux olympiques en 2020. Cette tendance se poursuit aujourd’hui.
Autrefois, il était courant que les gens vivent en banlieue et se rendent au centre-ville pour travailler. Mais aujourd’hui, de plus en plus de personnes choisissent de vivre et de travailler dans le centre de la capitale, où les services et les infrastructures sont plus pratiques. En conséquence, les banlieues, autrefois considérées comme idéales pour les trajets domicile-travail, sont désormais considérées comme étant à la limite de la faisabilité et ne sont plus attractives pour de nouveaux développements. Ce changement a entraîné un déséquilibre démographique. Les communautés suburbaines vieillissent rapidement alors que les jeunes générations migrant vers le centre-ville. Au fil du temps, les maisons de banlieue sont laissées à l’abandon et la qualité globale des services locaux et du cadre de vie se détériore, accélérant encore le cycle de vacance.
Face à ces défis, certaines municipalités ont commencé à modifier leurs politiques pour s’adapter à la réalité du déclin urbain. Plutôt que de poursuivre la croissance à tout prix, ces approches mettent l’accent sur l’amélioration de la qualité de vie des habitants actuels. La ville d’Akitakata, dans la préfecture de Hiroshima, qui a adopté une stratégie de “ville compacte”, en est un excellent exemple. Consciente du déclin et du vieillissement de sa population, la ville s’est attachée à concentrer les zones résidentielles et les services essentiels dans des centres accessibles à pied, tout en réaffectant ou en supprimant les propriétés abandonnées.
Au Japon, alors que les centres des grandes régions métropolitaines, en particulier Tôkyô, continuent de croître, il n’est plus réaliste d’appliquer les mêmes stratégies aux villes de province et aux banlieues, où le déclin démographique et le vieillissement sont les plus marqués et où les déplacements domicile-travail ont atteint leurs limites pratiques. Ces zones nécessitent une approche différente qui accepte le déclin non pas comme un échec, mais comme une phase à gérer avec soin et prévoyance.
Fondamentalement, toute solution à long terme doit également s’attaquer aux inégalités sociales profondes. Il est essentiel d’éliminer les disparités fondées sur le sexe, l’âge et le revenu, tout en acceptant la diversité des modes de vie, des modèles de travail et des préférences en matière de logement. Sans réforme systémique, les efforts de revitalisation des villes en déclin resteront superficiels. Pour soutenir véritablement le bien-être des habitants, en particulier les plus vulnérables, il est nécessaire de réimaginer ce à quoi ressemble une vie urbaine durable à l’ère du changement démographique.
La question des logements vacants dans les villes est complexe et profondément ancrée dans la dynamique urbaine au sens large, ce qui en fait un problème difficile à résoudre. Il est néanmoins encourageant de constater que le logement, longtemps considéré comme une affaire privée relevant de la famille, est aujourd’hui reconnu comme une question sociale, liée aux transformations urbaines majeures.
Pendant des décennies, le Japon a poursuivi un développement résidentiel dont le seul objectif était la croissance. Ce faisant, des logements vieillissants ont été abandonnés, et avec eux, les infrastructures, les investissements communautaires et l’identité culturelle de régions entières ont été négligés.
A l’avenir, il conviendra de s’orienter vers un modèle de développement résidentiel plus durable. Cela implique de repenser l’allocation des budgets et des ressources, non pas pour une expansion sans fin, mais pour la rénovation ou la démolition responsable des logements vacants et pour l’entretien des infrastructures existantes.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur la croissance, il est temps d’accepter le déclin urbain là où il est nécessaire et de donner la priorité aux politiques qui améliorent le bien-être et la qualité de vie des habitants actuels.
La question des akiya offre une occasion précieuse de réfléchir à notre mode de vie et de façonner une société dans laquelle les gens peuvent continuer à vivre dans les maisons et les quartiers qu’ils connaissent et qu’ils aiment.
Gianni Simone