Les événements du 11 mars 2011 ont affecté les projets de ce couple qui rêvait d’avoir beaucoup d’enfants.
Saitama, banlieue nord-ouest de Tôkyô. Nous sommes dans le coquet deux pièces d’Ida André et son épouse, Tomoko. Dans les bras de sa maman, Lukas, leur fils. Le cheveu en épi, la moue malicieuse, il lance un regard curieux à son entourage avant d’enfouir son visage, tout sourire, dans le cou de sa mère. Lukas est né en décembre 2011. Il a de bonnes joues et des jambes bien potelées. Un petit garçon souriant et timide : pour se rassurer, il vérifie régulièrement que sa maman n’est pas très loin de lui. Quand ses parents ont le dos tourné, il aime aller tapoter malicieusement sur l’ordinateur de papa qui lui est interdit. Ses parents l’observent. Ravis.
Respectivement âgés de 33 et 35 ans, André et Tomoko ont commencé à sérieusement penser faire un enfant il y a trois ans environ. Ils se connaissent depuis l’université de Fukuoka, à Kyûshû où ils ont fait leurs études ensemble. “Ma famille est d’origine japonaise, mais elle vit au Brésil et c’est à São Paulo que je suis né, explique André. Je suis arrivé au Japon pour mes études en 2005 et j’y suis resté.” Tomoko est originaire de Mie, préfecture du sud du Kansai. “Depuis très longtemps, nous envisageons d’avoir trois enfants, confie André. Mais avec toutes les difficultés que nous avons eues pour Lukas, nous avons pensé renoncer à notre projet de famille nombreuse”, s’assombrit-il. La grossesse de Tomoko a été éprouvante moralement. Mars 2011. Tomoko sait qu’elle est enceinte depuis quatre jours quand a lieu le séisme du 11 mars. Elle portait son enfant depuis 6 semaines. “J’étais tellement heureuse d’être enceinte. Puis tout s’est obscurci. Je voulais protéger mon bébé plus que tout. J’étais désemparée.”
Après le tremblement de terre, puis l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi, l’inquiétude de cette jeune maman, enceinte de son premier enfant, n’a fait que redoubler. “Je n’osais plus boire d’eau du robinet. Ni faire les courses. Quels légumes acheter sans risques ? Je n’en savais rien. Alors, j’ai commencé à acheter de l’eau minérale en bouteilles dans les magasins et à commander la nourriture par Internet pour avoir des éléments de traçabilité précis” Tomoko est révoltée lorsqu’elle se remémore ce passage angoissant de sa vie. “Nous avons souffert du manque d’informations du gouvernement à ce moment-là. Vraiment. On nous disait qu’en dessous de 10 % de microsieverts les denrées sont comestibles et sans danger pour la santé de l’homme. Mais qu’en était-il pour mon bébé ? Je n’avais aucune certitude.” Et pas question pour Tomoko de faire de son bébé, un cobaye.
Pendant les six mois qui ont suivi le tremblement de terre, Tomoko et André ont lavé leurs légumes avec de l’eau minérale. “Le prix des bouteilles d’eau a d’ailleurs augmenté à cette période-là”, souligne André. Les rendez-vous médicaux ont été réguliers. Pas plus, pas moins que pour une grossesse classique. Mais le stress est un peu plus intense. “Nous avons pensé partir nous installer au Brésil, auprès de la famille de mon mari, avoue Tomoko. Car nous ne nous sentions pas en sécurité pour élever notre enfant ici. J’ai pensé au pire : j’ai envisagé l’avortement.”
Aujourd’hui, Lukas est là. “Quand je le regarde, je suis contente d’avoir enduré toutes mes craintes et qu’il soit là, en bonne santé”, sourit Tomoko. Petit à petit, la maman a ré-utilisé l’eau du robinet, car “je peux aujourd’hui vérifier la qualité de l’eau de ma ville sur Internet”. La vie a repris son cours. Lukas arrive sur ses un an et demi. Et le projet de famille nombreuse trotte de nouveau dans la tête de Tomoko et André. En octobre dernier, Tomoko est arrivée au terme de son congé maternité et a repris le travail. Comme la crèche n’acceptera pas Lukas avant avril, “c’est ma mère qui a fait le voyage depuis le Brésil et a pris le relais pour s’occuper de Lukas : le temps que tout se mette en place”, explique André. De son côté, Tomoko a négocié de pouvoir quitter son poste à l’horaire de la fermeture de la garderie. “Je suis chanceuse. Ce genre d’arrangement n’est pas fréquent sur des postes à temps plein : mes patrons sont très compréhensifs.”
Johann Fleuri